Après la proclamation unilatérale de l'indépendance de la région nord du Mali, les Touaregs de Bamako, victimes de violences et stigmatisés, désertent peu à peu la capitale malienne.
Par Leela JACINTO ,envoyée spéciale à Bamako (Mali) (texte)
Assis en tailleur sur le sol de sa bijouterie de Bamako, la capitale du Mali, Mohammed Karbando parle plus volontiers de ses créations en argent que de la
situation de son pays, menacé de partition depuis la déclaration d’indépendance de la région nord.
"Honnêtement, je n’y connais pas grand-chose", avoue le bijoutier touareg, habillé de la traditionnelle robe indigo, les yeux soulignés de khôl. "Je sais seulement que j’ai peur. Parfois j’ai envie de
partir, d’autres fois, j’ai envie de rester mais j’ai peur en permanence et en particulier à chaque fois que j’entends parler d'Azawad à la radio."
L’Azawad désigne le territoire traditionnel des Touaregs, qui s’étend sur toute la région nord du Mali, aux confins du Niger et de l’Algérie. Depuis la déclaration d’indépendance du 6 avril par un groupe de rebelles touaregs, aidé par diverses factions islamistes, l’Azawad échappe au contrôle du gouvernement, renversé par un coup d’État le 22 mars dernier. Le terme d’Azawad est également utilisé - à tort - pour désigner le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), un mouvement extrêmement impopulaire à Bamako où la majorité de la population rejette la déclaration d’indépendance unilatérale de la région.
Le ressentiment des habitants de Bamako, provoqué par la scission autoproclamée du Nord, a fait fuir une partie de la petite communauté touareg de la capitale. Selon Mohamed Ag Ossad, le directeur du centre culturel touareg de la ville, la plupart des "hommes bleus" de la capitale, qu’ils soient fonctionnaires, hommes d’affaire, étudiants, musiciens ou artistes, sont déjà partis pour échapper à l'hostilité grandissante de la population. Selon ses estimations, 2 000 à 3 000 membres cette communauté vivaient auparavant à Bamako. Il n’en resterait aujourd’hui qu’une petite vingtaine dans cette ville comptant un peu moins de deux millions d’habitants. Aucun chiffre officiel ne permet de confirmer ces propos.
Parmi les 14 millions d’habitants que compte le Mali, environ 10 % appartiennent à la communauté touareg ou à d’autres groupes ethniques d’origine berbère. Ils sont également minoritaires dans le Nord, ce qui rend leurs velléités indépendantistes très difficiles à accepter par les autres composantes ethniques du Mali.
Une mosaïque de groupes ethniques
La mosaïque ethnique malienne - composée, entre autres, des Bambaras, des Malinkés, des Peuls et des Songhays - a été jusque là relativement épargnée par la violence qui a affaibli d’autres nations africaines, même si à son indépendance en 1960, le Mali a connu plusieurs rebellions touaregs. Une série d’accords de paix a contribué à instaurer une plus grande justice sociale à l’égard des "hommes bleus". Des problèmes de pauvreté, d’accès aux soins et à l’éducation subsistent cependant dans le nord du pays.
Depuis une trentaine d’année, les Touaregs sont mieux représentés dans la fonction publique et les professions libérales, affirme Mohamed Ag Ossad. "Les Touaregs ont le sentiment de ne pas avoir été bien traités, même si, aujourd’hui, tous les ministère et services de l’État emploient des Touaregs", assure-t-il.
Deux vagues de départ
Ces jours-ci pourtant, nombreux sont ceux qui quittent Bamako. Selon Mohamed Ag Ossad, les premiers départs remontent au mois de février, après la mise à sac, pendant une manifestation à Kati, dans la banlieue de la ville, d’une pharmacie et de plusieurs maisons appartenant à des Touaregs. Celle de Zakiatou walet Halatine, l’ancien ministre malien du Tourisme et des Arts, n’a pas été épargnée.
Ces attaques n’étaient que les dernières d’une série de violences visant cette communauté, et dont des Arabes et Mauritaniens, ressemblant physiquement aux "hommes bleus", ont également été les victimes. Les tensions semblent cependant s’être exacerbées après le soulèvement du Nord Mali en janvier, qui a coïncidé avec le retour en masse de Touaregs combattant en Libye, après la chute de Mouammar Kadhafi. En l’absence de réaction des autorités, des milliers de membres de la communauté ont quitté Bamako pour se réfugier dans les pays voisins, notamment au Niger, au Burkina Faso ou en Mauritanie, selon Amnesty International.
À en croire Mohamed Ossad, la situation se serait calmée au cours des semaines suivantes. Certains seraient même revenus chez eux. "Des hommes ont repris leur travail en laissant leurs femmes et leurs enfants chez des proches vivant à l’étranger. Mais l’exode a repris après le coup d’État du 22 mars. Cette fois-ci, ils ne risquent pas de revenir de sitôt", déclare-t-il. Mohamed Ossad a lui-même songé à envoyer ses enfants chez leur grand-mère, au Burkina Faso. Mais l’annonce d’un accord de transfert de pouvoir la semaine dernière l’a fait changer d’avis.
"Moi, je n’ai pas peur", assure-t-il. "Je suis chez moi à Bamako et le Mali est mon pays. Je n’ai jamais demandé l’indépendance. […] Je ne comprends pas quel en est le but. Je ne comprends pas ce que pensent ces gens [les rebelles, ndlr]. En fait, je crois que leur problème est qu’ils ne réfléchissent pas", poursuit-il.
Embrassant du regard les abords du centre culturel, Mohamed Ossad prend le journaliste à témoin : "Vous voyez des problèmes, vous ? Je suis là, tout le monde le sait et personne n’est venu m’embêter. […] Je défends la culture touareg. Tout le monde sait que la culture c’est l’opposé de la violence".
situation de son pays, menacé de partition depuis la déclaration d’indépendance de la région nord.
"Honnêtement, je n’y connais pas grand-chose", avoue le bijoutier touareg, habillé de la traditionnelle robe indigo, les yeux soulignés de khôl. "Je sais seulement que j’ai peur. Parfois j’ai envie de
partir, d’autres fois, j’ai envie de rester mais j’ai peur en permanence et en particulier à chaque fois que j’entends parler d'Azawad à la radio."
Le ressentiment des habitants de Bamako, provoqué par la scission autoproclamée du Nord, a fait fuir une partie de la petite communauté touareg de la capitale. Selon Mohamed Ag Ossad, le directeur du centre culturel touareg de la ville, la plupart des "hommes bleus" de la capitale, qu’ils soient fonctionnaires, hommes d’affaire, étudiants, musiciens ou artistes, sont déjà partis pour échapper à l'hostilité grandissante de la population. Selon ses estimations, 2 000 à 3 000 membres cette communauté vivaient auparavant à Bamako. Il n’en resterait aujourd’hui qu’une petite vingtaine dans cette ville comptant un peu moins de deux millions d’habitants. Aucun chiffre officiel ne permet de confirmer ces propos.
Parmi les 14 millions d’habitants que compte le Mali, environ 10 % appartiennent à la communauté touareg ou à d’autres groupes ethniques d’origine berbère. Ils sont également minoritaires dans le Nord, ce qui rend leurs velléités indépendantistes très difficiles à accepter par les autres composantes ethniques du Mali.
Une mosaïque de groupes ethniques
Depuis une trentaine d’année, les Touaregs sont mieux représentés dans la fonction publique et les professions libérales, affirme Mohamed Ag Ossad. "Les Touaregs ont le sentiment de ne pas avoir été bien traités, même si, aujourd’hui, tous les ministère et services de l’État emploient des Touaregs", assure-t-il.
Deux vagues de départ
Ces jours-ci pourtant, nombreux sont ceux qui quittent Bamako. Selon Mohamed Ag Ossad, les premiers départs remontent au mois de février, après la mise à sac, pendant une manifestation à Kati, dans la banlieue de la ville, d’une pharmacie et de plusieurs maisons appartenant à des Touaregs. Celle de Zakiatou walet Halatine, l’ancien ministre malien du Tourisme et des Arts, n’a pas été épargnée.
Ces attaques n’étaient que les dernières d’une série de violences visant cette communauté, et dont des Arabes et Mauritaniens, ressemblant physiquement aux "hommes bleus", ont également été les victimes. Les tensions semblent cependant s’être exacerbées après le soulèvement du Nord Mali en janvier, qui a coïncidé avec le retour en masse de Touaregs combattant en Libye, après la chute de Mouammar Kadhafi. En l’absence de réaction des autorités, des milliers de membres de la communauté ont quitté Bamako pour se réfugier dans les pays voisins, notamment au Niger, au Burkina Faso ou en Mauritanie, selon Amnesty International.
À en croire Mohamed Ossad, la situation se serait calmée au cours des semaines suivantes. Certains seraient même revenus chez eux. "Des hommes ont repris leur travail en laissant leurs femmes et leurs enfants chez des proches vivant à l’étranger. Mais l’exode a repris après le coup d’État du 22 mars. Cette fois-ci, ils ne risquent pas de revenir de sitôt", déclare-t-il. Mohamed Ossad a lui-même songé à envoyer ses enfants chez leur grand-mère, au Burkina Faso. Mais l’annonce d’un accord de transfert de pouvoir la semaine dernière l’a fait changer d’avis.
"Moi, je n’ai pas peur", assure-t-il. "Je suis chez moi à Bamako et le Mali est mon pays. Je n’ai jamais demandé l’indépendance. […] Je ne comprends pas quel en est le but. Je ne comprends pas ce que pensent ces gens [les rebelles, ndlr]. En fait, je crois que leur problème est qu’ils ne réfléchissent pas", poursuit-il.
Embrassant du regard les abords du centre culturel, Mohamed Ossad prend le journaliste à témoin : "Vous voyez des problèmes, vous ? Je suis là, tout le monde le sait et personne n’est venu m’embêter. […] Je défends la culture touareg. Tout le monde sait que la culture c’est l’opposé de la violence".
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