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Par Isabelle Mandraud, Tamanrasset (Algérie), envoyée spéciale
Planté devant d'énormes ignames exposées à même le sol, Jaafar accueille l'étranger avec un large sourire. "Vive l'Azawad islamique libre !", lance le Touareg malien alors que la nuit tombe, ce samedi 7 avril, sur le marché de Tamanrasset, dans le Sud algérien. "Je suis tellement content, cela fait cinquante ans que nous attendons cela !", s'exclame-t-il en
levant la main en signe de victoire, sous l'œil vaguement inquiet d'un militaire algérien en maraude.
Depuis le coup d'Etat militaire du 22 mars au Mali, suivi de la conquête de la partie nord du territoire par les indépendantistes touareg maliens, Tamanrasset, berceau des Touareg algériens du Hoggar, est sur le qui-vive, au rythme des événements de son voisin, de l'autre côté de la frontière.
Tout en rappelant son attachement à l'accord de 1964 de l'Organisation de l'Union africaine sur l'intangibilité des frontières issues du colonialisme après l'indépendance des pays de la zone, Alger multiplie les messages d'apaisement sur la recherche d'une "solution politique".
Car, bien que les Touareg algériens ne se soient jamais révoltés, à la différence des "cousins" maliens ou nigériens, la création d'une république indépendante touareg aux portes du pays est une question sensible ici, bien plus que dans la Kabylie du nord. "Un Etat touareg à nos frontières", s'alarmait ainsi à la "une", le 7 avril, le quotidien Liberté.
"Ici, les Touareg sont bien, affirme l'aménokal, le chef des Touareg du Hoggar, Ahmed Edaber. Avant, nous avions un problème d'eau mais plus maintenant, et chaque village a l'électricité. C'est la pauvreté au Mali qui a déclenché tout ça." "Tam", comme on appelle ici la capitale du Sud algérien, possède depuis cinq ans son université, et des travaux colossaux ont été entrepris pour acheminer de l'eau, depuis une importante réserve à plus de 700 km.
VICTIME D'UN ATTENTAT-KAMIKAZE
Mais l'inquiétude prévaut. Le 5 avril, le consul algérien de Gao, au Mali, et six autres diplomates ont été enlevés. Un mois plus tôt, le 3 mars, Tamanrasset a été, pour la première fois de son histoire, visée par un attentat kamikaze en plein centre-ville contre une caserne de gendarmerie, qui a fait une quarantaine de blessés.
Deux actions revendiquées par le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'ouest (Mujao), un obscur groupe présenté comme une dissidence d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui paraît se concentrer sur tous les points sensibles de l'Algérie. En décembre 2011, le même groupe avait revendiqué l'enlèvement de deux Espagnols et d'une Italienne à Tindouf, fief des Sahraouis séparatistes, au sud-ouest du pays.
A Tamanrasset, les traces de l'attentat ont été effacées. Les murs vert bouteille de la caserne ont été refaits à neuf, les véhicules incendiés ont disparu. Toutes les vitrines des petits commerces situés dans cette artère principale qui sépare deux quartiers populaires ont été réparées. Seule subsiste l'enseigne déchiquetée d'une pharmacie.
Les effectifs des forces de sécurité ont doublé dans la capitale du Hoggar qui n'en manque pas. Les casernes de l'armée, de la police et de la gendarmerie sont innombrables, à chaque carrefour. "Même moi, je ne peux pas vous dire combien il y en a", s'amuse un notable. Les avions de reconnaissance vrombissent dans le ciel. "On se croirait au Salon du Bourget", ironise ce familier de la France. Depuis 2010, la ville abrite également, derrière de hauts murs d'enceinte, le Centre d'état-major commun opérationnel conjoint (Cemoc), créé avec le Mali, la Mauritanie et le Niger, pour lutter contre l'insécurité au Sahel. Plus loin, le long des 1000 km de frontières, d'importants renforts militaires ont été déployés.
"Les ingrédients nous inquiètent, soupire Abdelkrim Touhami. Il y a une haine indescriptible depuis la guerre de Bush en Irak contre l'Occident qui veut asseoir un droit à deux vitesses, et la fin de Kadhafi a provoqué encore de la haine."
Candidat aux élections législatives algériennes, cet ancien enseignant de français connaît bien toute la région, du Mali au Niger, pour avoir été consul plusieurs années à Agadez. "S'il n'y a pas une forme d'aide pour soutenir ces pays, l'extrémisme a de beaux jours devant lui, ça gagne du terrain", observe-t-il, en soulignant la présence au Mali de nombreux Touareg revenus de Libye et lourdement armés. "Le pick-up est une arme redoutable, on peut monter des RPG [lance-roquettes] dessus, ça permet de piquer et d'être mobile", souligne encore M.Touhami.
ASSÉCHER LA RÉBELLION
Dans cette zone traditionnelle de grand trafic qu'est le Sud algérien, notamment en essence, des mesures ont été prises avec l'objectif d'assécher la rébellion touareg, qui se double d'une menace terroriste avec la présence de groupes djihadistes.
A "Tam", il est devenu nécessaire de justifier le remplissage de bidons d'essence aux pompes. Et à la frontière, que le ministre de l'intérieur, Daho Ould Kablia, n'exclut pas de fermer, les passages ne se font plus qu'au compte-gouttes. L'Algérie dispose par ce biais d'un puissant levier de pression, à manier avec précaution.
Dans une zone où le tracé des frontières n'a jamais été un obstacle et où il n'est pas rare de posséder plusieurs nationalités, les Touareg algériens "vivent bien", grâce aussi au commerce et à la contrebande. "Depuis quelques jours, la frontière est fermée, je vais devoir retourner avec mon camion par le Niger", râle Jaafar, le Touareg malien marchand de légumes et originaire de la région de Tombouctou, qui se décrit comme "un ancien combattant, formé dans le camp d'Oubaré en Libye." "Mais j'ai préféré quitter tout ça, je ne voulais pas devenir l'esclave de Kadhafi", précise-t-il.
La présence à Tamanrasset d'une forte communauté touareg malienne, implantée depuis les grandes sécheresses des années 1970, préoccupe. Et les craintes des autorités sont d'autant plus vives que l'Algérie s'apprête à voter, le 10 mai, pour des élections législatives présentées comme un enjeu majeur dans le contexte régional.
Après l'attentat, le premier ministre, Ahmed Ouyahia, chef du Rassemblement national démocratique (RND), parti de la coalition du gouvernement, est venu sur place le 6 avril. Le 9, le ministre de l'intérieur annonçait, dans Le Quotidien d'Oran, une "grande enquête" menée par la police à Tamanrasset "dans des quartiers où elle n'a jamais mis les pieds auparavant".
"Les Touareg algériens ne cherchent pas leur indépendance, ils sont en paix pour le moment", affirme, le visage enroulé dans un long turban pâle, Ourzig Chennoui, un notable touareg, ex-maire de la ville.
Reste une inconnue : les jeunes, moins sensibles aujourd'hui à l'autorité des anciens et de plus en plus réduits au chômage du fait de l'effondrement du tourisme. Depuis deux ans, les autorités algériennes n'accordent presque plus de visas aux visiteurs. Une mesure qui s'est accélérée avec le conflit en Libye et qui frappe de plein fouet les 82 agences de voyages de la ville.
Isabelle Mandraud, Tamanrasset (Algérie), envoyée spéciale
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