mardi 17 avril 2012

La crise malienne va-t-elle s’étendre au Niger et en Mauritanie? | Slate Afrique

La crise malienne va-t-elle s’étendre au Niger et en Mauritanie? | Slate Afrique

Partout où vivent des Touaregs, on redoute un effet de contagion de la crise au Nord-Mali.

Manifestation contre la prise des principales viles du Nord-mali, Bamako, avril 2012 © REUTERS/Joe Penney
Jusqu’à présent, c’était mathématique: chaque fois qu’une rébellion touarègue se rallumait au Mali, le mouvement suivait au Niger —et vice-versa. Aujourd’hui, la partition du Nord du Mali est chose faite, mais la situation reste étonamment calme au Niger.
«Il faut se méfier des expressions comme “effet de contagion” ou “effet domino”, estime Abdoulaye Tamboura, doctorant malien à l’Institut français de géopolitique (IFG) à l’université de Paris 8. En réalité, les situations sont très différentes dans tous les pays concernés. Au Niger, des dispositions ont été prises, l’armée est en état d’alerte et les services de renseignement tournent à fond
Il paraît d’autant plus difficile pour les Touaregs du Niger de se rebeller que d’importantes concessions leur ont été faites. Nommé en avril 2011 par le président Mahamadou Issoufou, l’actuel Premier ministre, Rafini Brigi, est un touareg d’Agadez. Par ailleurs, l’ancien chef rebelle Rhissa Ag Boula, élu conseiller régional d’Agadez pour cinq ans en 2011 et nommé la même année conseiller du président, a fermement condamné l’indépendance du Nord-Mali proclamée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).
«Nous disons non à cette dérive et nous lançons un appel à nos frères du Mali à garder la sérénité, se ressaisir et trouver une solution dans le cadre d’un Etat unitaire du Mali», peut-on lire dans un communiqué signé par Rhissa Ag Boula, qui se présente désormais comme un porte-parole d’un groupe de ministres, de hauts fonctionnaires, de chefs coutumiers et religieux touaregs.

Le bâton et la carotte nigériennes

Niamey sait aussi manier le bâton quand il le faut: les anciens rebelles enrôlés dans l’armée libyenne, rentrés en octobre avec armes et bagages, ont été désarmés à leur arrivée au Niger —contrairement au Mali, resté impuissant. Quant à l’ancien chef rebelle Aghali Alambo, devenu conseiller du président de l’Assemblée nationale, il a été arrêté du 20 au 28 mars pour une affaire de trafic d’armes. Il avait été dénoncé par un autre rebelle touareg, arrêté en juin 2011 en flagrant délit de livraison d’armes à Aqmi. Pas moins de 640 kg d’explosifs, 435 détonateurs et 90.000 dollars (envion 70.000 euros) en liquide avaient alors été saisis par l’armée nigérienne.
Pour Abdoulaye Tamboura, une nouvelle rébellion touarègue au Niger «n’est pas pour maintenant». En Algérie, encore moins. Des politiques spécifiques visant les Touaregs ont cherché à les impliquer dans la gestion des affaires publiques et à leur donner satisfaction sur le plan des infrastructures. A Tamanrasset, principale ville du grand sud algérien, une université a été construite en 2007, et d’importants travaux ont permis d’approvisionner les populations en eau et en électricité.
«C’est peut-être insuffisant, mais l’Algérie a aussi les moyens militaires de contenir ses Touaregs s’il le faut» rappelle Abdoulaye Tamboura.
En Mauritanie, pas de menace non plus. En dehors des réfugiés maliens qui ont afflué ces derniers mois, parmi lesquels figurent des Touaregs, il n’existe pas de communauté touarègue dans ce pays. Nouakchott, la seule capitale de la sous-région qui lutte activement contre les terroristes d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), a néanmoins renforcé ces derniers jours sa chasse aux islamistes. Quelque 200 ressortissants sénégalais soupçonnés de verser dans le salafisme ont été expulsés le 11 avril.
L’indépendance de l’Azawad se limite pour l’instant au seul Mali. L’Azawad, que beaucoup de Maliens du Sud estiment dépourvu de toute histoire et de toute légitimité, désigne sur le plan géographique une région riche en pâturages, qui va de la région de Tombouctou jusqu’à Taoudenni et Bourem.

L'Azawad, ce n'est pas tout le nord du Mali

Dans la cartographie du Nord-Mali, bien d’autres régions (l’Adrar des Ifhogas, l’Azawak qui va de la région de Ménaka jusqu’au Niger, le Gourma, qui va de la région de Mopti vers le Burkina) sont habitées par les Touaregs. Une communauté estimée à 700.000 personnes au Mali, sur une population totale de 1.122 million d’habitants dans le Nord du pays, rappelle Abdoulaye Tamboura:
«Le MNLA parle de l’Azawad comme s’il s’agissait de tout le nord du Mali, alors que les populations ne sont pas d’accord avec ses projets d’indépendance, que les touaregs restent minoritaires dans plusieurs villes du Nord, et que ceux qui réclament l’indépendance parmi les Touaregs sont encore plus minoritaires
Réplique de Moussa Ag Assarid, un porte-parole du MNLA installé à Paris:
«Même si l’Azawad désignait un arbre planté au Liban, personne ne pourrait nous empêcher de choisir ce nom. L’Azawad représente pour les nomades un lieu de pâturages où il y a de l’eau et où la vie est belle. L’ancien ministre des Affaires étrangères du Mali disait que l’Azawad n’a aucune histoire, aucune raison historique. D’accord. Mais le Mali, c’est quoi? Un pays mendiant qui tire 80% de son budget de l’aide extérieure! Pourquoi ne pourrions-nous pas vivre du lait de nos chèvres, du riz de nos Songhaïs qui sont près du fleuve, et de notre liberté?»
La donne est d’autant plus complexe que le MNLA n’est pas un mouvement exclusivement touareg.
«Les Touaregs sont majoritaires, mais les autres ethnies, les Songhaïs et les Peuls, sont aussi présentes aussi bien du côté des combattants que dans la branche politique, explique Moussa Ag Assarid, un porte-parole du MNLA installé à Paris. Moi-même, je parle souvent au téléphone avec des colonnes du MNLA en tamachek (la langue touarègue, ndlr), mais aussi en songhaï ou en bambara, pour ceux qui sont du côté de Hombori

L'urgence de pacifier le territoire

Le MNLA n’appelle pas à des révoltes ailleurs, et vise d’abord à mettre en place des institutions démocratiques et à pacifier le territoire du Nord du Mali.
«Nous ne voulons pas perturber la quiétude de nos voisins, précise Moussa Ag Assarid. Chaque fois que nous sommes en contact avec des Touaregs d’Algérie ou de Libye, avec des Peuls ou des Toubous, nous leur disons que s’ils ont trouvé la formule qui leur convient là où ils sont, tant mieux. Mais nous, au Nord-Mali, nous n’avons pas trouvé et c’est pourquoi nous avons pris les armes. C’est l’Azawad notre priorité.»
Le chercheur français Pierre Boilley, spécialiste du Sahel au Centre d’études des mondes africains (Cemaf), à Paris, auteur de nombreux ouvrages sur les Touaregs, résume en ces termes les incertitudes du moment:
«Le risque de contagion paraît limité, en raison des prises de position assez claires des Touaregs du Niger. Du côté algérien, les réactions sont plutôt négatives. Même si les Touaregs de toute la région et les Berbères du nord de l’Algérie suivent la situation avec intérêt et un peu de fierté, nous ne sommes pas dans la contagion immédiate. Je vois deux possibilités. Si jamais, ce qui paraît encore hypothétique, cette indépendance de l’Azawad finit par fonctionner, elle peut donner des idées à d’autres. D’un autre côté, si une intervention militaire extérieure se concrétise, il n’est pas sûr que tous les Touaregs du Sahel se précipitent pour renforcer le MNLA. Il y aura une émotion, certainement, mais les réactions seront plutôt de l’ordre du soutien matériel. Pour l’instant, personne n’a dit que l’Azawad serait étendu à l’ensemble du territoire touareg
Sabine Cessou

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