Après le retour à l’ordre constitutionnel au Mali, Itèrre Somé qu’on ne présente plus, fait un décryptage de la nouvelle situation. Il donne ici une lecture de la mise à l’écart d’ATT et de sa mort politique, les priorités du président intérimaire Dioncounda Traoré et estime que seule la négociation pourrait amener une paix durable dans le Nord.
“Le Mali a un nouveau Président. Au moment vous lirez ces lignes, Dioncounda Traoré aura prêté serment et été investi Président par intérim. La page de la récente crise politique dans ce pays, consécutive au coup d’Etat militaire du 22 mars 2012, est tournée. Du moins en ce qui concerne la partie retour à un pouvoir constitutionnel normal à Bamako, tel que l’exigeait, avec fermeté par la voix des Chefs d’Etat des pays membres de la CEDEAO, la communauté internationale.
Disons-le, au risque d’être accusé de vouloir encenser qui de droit et
de juste mérite, la médiation burkinabè (n’en déplaise au légendaire triomphe modeste du Président du Faso) a de quoi être fière de ce premier pas, si important et ô combien capital, vers une extinction totale et définitive du brasier malien, qui menace l’ensemble de la sous-région.
ATT, pitoyable reddition d’un général
Des tractations et subterfuges politico-juridiques ayant abouti au dénouement partiel de cet épineux dossier malien, nul doute que les observateurs garderont longtemps en mémoire quelques épisodes cocasses, totalement inédits sous nos tropiques. Tel le Président malien déchu, le Général Amadou Toumani Touré, qui sort ou que l’on sort, c’est selon, du terrier jusque-là inconnu dans lequel il se cachait ou était caché depuis le coup d’Etat, pour aller piteusement remettre une lettre de démission au représentant du médiateur.
Images pathétiques en effet, que celles montrant l’ex-«soldat de la démocratie malienne», vieilli et affaibli, tendre sa démission au ministre burkinabè des affaires étrangères. La déclaration liminaire, balbutiée quelques minutes auparavant, dans laquelle ATT assure, sans rire, avoir pris la décision de démissionner officiellement, de plein gré et sans pression aucune, n’y a rien fait. Dans le geste et le propos, il y a eu dans la mise en scène de cette démission formelle comme un air de reddition sur fond d’humiliation.
Ne comparons pas ce qui est loin de pouvoir l’être.
Néanmoins, s’étant, semble-t-il, vu opposer une fin de non-recevoir à une ultime déclaration à la nation, dans laquelle il eût souhaité annoncer sa démission au peuple malien, cette image désemparée d’ATT n’aura pas manqué de rappeler à certains, toutes proportions gardées, celle de mémoire plus pittoresque et encore plus pitoyable de Laurent Koudou Gbagbo dans les halls de l’hôtel du Golf d’Abidjan, le 11 avril 2011 après son arrestation.
Les circonstances de perte du pouvoir par les deux hommes sont, à n’en point douter, bien différentes. Tout comme, le jour de la chute officielle, le bazin immaculé de l’un tranchait assurément d’avec le simple maillot de corps et la petite serviette de bain autour du cou de l’autre.
Sous un regard croisé cependant, les images de ces deux malheureux épilogues n’en renvoient pas moins à des départs sans gloire ni triomphe du pouvoir d’ex-vrais et grands tributs de la vie politique récente dans notre sous-région. A qui l’honneur, à qui la honte ? Une chose est certaine, l’Afrique et les peuples africains, au 21e siècle, se passeraient bien volontiers de ce type de bouffonnerie, qui font de nous la risée du monde.
Bref, à présent que le Mali a été soulagé de la plaie qu’il avait à l’orteil (la junte militaire du capitaine Sanogo), il convient et il urge que, avec le même tact et davantage d’intransigeance s’il le faut, les Etats membres de la CEDEAO et la communauté internationale aident ce pays frère et ami à guérir une fois pour toutes du cancer du Nord, qui mine son unité, sa stabilité et son développement depuis l’accession du pays à l’indépendance.
Tout le monde le sait, la question touarègue n’est pas un problème propre au Mali. Pire encore, le conflit actuel, qui a abouti à l’occupation du Nord et à la proclamation provocatrice d’un Etat autonome sur le territoire de l’Azawad, a été mené et gagné par le MNLA en alliance avec les forces divisionnistes dangereuses de l’intégrisme islamique radical, du terrorisme et du grand banditisme international, incarnés par Ansar Dine, Boko Haram, AQMI et ses forces dissidentes, nommées MUJAO (Mouvement unifié pour le Jihad en Afrique de l’Ouest, qui a revendiqué la prise d’otages au Consulat algérien de Tombouctou) ou autres.
Tous s’accordent à le reconnaître, derrière le péril national pour l’Etat malien que représente l’occupation du nord de son territoire (les 2/3 à peu près de la superficie totale du pays), se cachent des menaces réelles et plus qu’évidentes de déstabilisation de l’ensemble de la région ouest-africaine et au-delà. Dès lors, nul ne devrait se complaire ou se satisfaire du seul retour à un pouvoir constitutionnel normal à Bamako. En éminent Professeur et émérite mathématicien qu’on le présente et le décrit, Dioncounda Traoré est certainement conscient qu’en accédant à la magistrature suprême de son pays dans les circonstances précises du moment, il hérite d’une équation à multiples variables et à plusieurs inconnues, qu’il va falloir résoudre et au plus vite. Seul, il n’y pourra malheureusement et assurément rien.
En première ligne de l’impérieuse urgence qu’il y a à reconquérir le nord du pays, l’armée malienne, dont c’est le devoir et la raison d’être, va donc rapidement devoir se ressouder et se remotiver pour aller, si besoin est, au combat.
C’est nul doute la raison pour laquelle, en militaire averti et aguerri, le médiateur, Blaise Compaoré, n’a pas prêté davantage d’oreille ni d’importance que ça aux boute-en-train qui, dans leur approche guerrière de gestion de sortie de cette crise, n’ont eu pour leitmotiv, péremptoire et suicidaire, que de mettre, si nécessaire manu militari, la junte militaire à la touche et hors d’état de nuire à cette si belle expérience malienne que, aux yeux des bien-pensants démocratiques, le capitaine Sanogo et sa soldatesque auront eu l’impardonnable outrecuidance de souiller au détour d’un simple mouvement d’humeur.
L’intervention militaire, l’ultime option
Ce faisant (même si l’on peut aisément supputer que le chef du CNRDRE n’est pas celui de l’armée malienne et que celle-ci, dans son ensemble, n’a probablement pas cautionné ni soutenu le coup d’Etat du 22 mars), qui, le moment et le besoin venus, irait alors combattre les islamistes et les Touaregs au Nord Mali ? Les 3 000 hommes, fièrement annoncés, de la FAC (Force en Attente de la CEDEAO) ? Je demande à voir, tant dans la mobilisation des effectifs que dans l’opérationnalité et la combativité des troupes sur un terrain hostile et inconnu.
Ce, d’autant plus que le potentiel et principal pays pourvoyeur en chaire à canons, jusqu’à preuve du contraire, pour les forces d’intervention de la CEDEAO (cas de l’ECOMOG), j’ai nommé le Nigeria, géant militaire régional, se montre particulièrement discret et peu disert dans cette affaire malienne, là où d’aucuns (suivez mon regard) ont cru devoir, précipitamment et fort maladroitement, crier leur bravoure, du haut très enivrant et enhardissant, faut-il le croire, du sommet de la Présidence de l’Union Africaine.
Dans l’hypothèse et la nécessité, le cas échéant, d’une reconquête militaire du Nord, l’armée malienne a une légitimité, un honneur et une dignité à défendre, à sauver et à restaurer, dans sa mission fondamentale et aux yeux du peuple et du territoire, dont il a la responsabilité. A ce titre, il est heureux d’avoir entendu le capitaine Sanogo, chef de la junte, dire sur les antennes d’une radio internationale que l’armée malienne n’a pas besoin d’hommes, mais de matériels et d’équipements, pour rétablir l’ordre et la sécurité dans le pays.
Même si l’on peut retenir contre de tels propos le fait, il est vrai, d’avoir lamentablement échoué en première intention (souvenons-nous des motifs avancés pour justifier le putsch du 22 mars), donnons acte à la junte déchue et, à travers elle, à l’armée malienne tout entière, dans l’unité et dans une cohésion retrouvées, de sa volonté et de sa capacité à s’acquitter avec succès de la tâche régalienne qui lui incombe en premier chef, d’assurer la sécurité et la défense de l’intégrité du peuple et de son territoire.
Tout autre chemin que celui-là est susceptible d’ouvrir la voie à un bourbier dans le sable du désert malien, dans lequel risquent fort d’aller s’empêtrer les soldats des autres pays de la région, à l’image toute relative des forces internationales de l’ISSAF, engluées dans et aux pieds des collines afghanes.
Toute chose advenue, qui ne manquerait par ailleurs et sans doute pas de donner des ailes, des idées et de l’audace aux apprentis-jihadistes de tous bords et de tous poils. Motif supplémentaire pour adeptes indécrottables de guerres saintes, bandits de grands chemins et pirates du désert, d’accourir au Nord-Mali, zone de non-droit, livré à un interventionnisme étranger.
Au-delà donc de la reddition de la junte, de la démission d’ATT, de l’arrivée au pouvoir de Dioncounda Traoré et d’un gouvernement d’union nationale et de transition, en attendant la reconquête du Nord, la partie au Mali demeure serrée à jouer. Elle se gagnera par la voie diplomatique (empreinte d’impératifs de sagesse, d’intelligence et de savoir-faire politiques de la part des chefs d’Etat de la CEDEAO) ou, hélas, par la voie militaire.
Dans l’hypothèse, toujours dommageable, malheureuse et regrettable que constitue, en ultime et dernier recours, l’option militaire, il est évident et souhaitable que, sous l’égide éthique de l’ensemble de la communauté internationale, celle-ci soit placée entre les mains et la responsabilité des forces de défense et de sécurité maliennes, dans un esprit de rétablissement de l’ordre public, plutôt que d’une quelconque fratricide guerre ouverte contre un ennemi intérieur sécessionniste, dont on peut du reste légitimement douter des réelles capacités autonomistes.
Longue vie à un Mali uni et indivisible pour que vive une Afrique prospère, tournée vers les nombreux objectifs, chantiers et priorités du développement qui défient l’avenir de notre cher continent.
Itèrre Somé
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