mardi 17 avril 2012

Geoffroy-Julien Kouao: La sécession de l’Azawad et le droit international

Geoffroy-Julien Kouao: La sécession de l’Azawad et le droit international
Écrit par Geoffroy-Julien Kouao Mardi, 17 Avril 2012 14:25
Le désir de sédentarisation, dans un cadre étatique, des Touareg, peuple nomade du Sahara, date de l’époque coloniale. En effet, c’est en 1913, que les chevaliers du désert manifestent pour la première fois leur volonté d’accéder à la souveraineté nationale et internationale. La révolte est vite étouffée par la puissance de feu des forces coloniales.


En 1963, trois années après l’accession du Mali à l’indépendance, une guerre de mouvement s’installe et les accrochages entre la jeune armée malienne et les Touareg se succèdent. Les forces armées du
Mali, avec des équipements modernes et en particulier des chars, l’emportent sur des guerriers touareg qui mènent une guerre à l’ancienne.
En Mai 1990, M. Iyad Ad Ghali, dirige une révolte touareg au Niger. Deux mois plus tard, par solidarité, les Touareg du Mali entre dans la danse. C’est à partir de cette date que la volonté autonomiste, voire sécessionniste est posée. Dès lors, une césure s’opère entre le monde arabo-berbère et le reste du pays. Les tensions de 2006 vont non seulement les confirmer, mais, et c’est essentiel, marquer l’échec  du pacte national signé le 11 Avril 1991, qui donne un statut particulier au Nord et s’appliquant aux régions de Tombouctou, Gao et Kidal. Chacune de ces collectivités est dotée d’une assemblée élue et d’un exécutif.
En 2012, le nouvel ordre politique et sécuritaire régional, marqué par la fragilisation de la Libye (terre d’asile de milliers de combattants touareg) et la montée de l’islamisme (la présence d’Al-Qaïda au Maghreb islamique), met les mouvements rebelles touareg en position de force. En fin stratèges, ils prennent successivement avec une déconcertante aisance les villes historiques du septentrion malien : Kidal, Gao et Tombouctou. La révolte se mue en révolution. Dans sa logique sécessionniste, le mouvement national pour la libération de L’Azawad (MNLA), proclame unilatéralement le vendredi 06 avril 2012 l’indépendance de l’Azawad. La réaction de la communauté internationale est immédiate et ferme. L’intégrité territoriale de la République du Mali ne peut être remise en cause. Au-delà de l’émotion et des préoccupations humanitaires, la partition de fait du Mali, pose le problème du statut juridique de l’Azawad.
La non reconnaissance de l’État de l’Azawad comme sujet du droit international, par la quasi-totalité de la communauté internationale, bien que salutaire, n’emporte cependant pas l’existence juridique de celui-ci. Loin s’en faut. En effet, il faut faire le départ entre la reconnaissance et l’existence d’un État. La première relève du droit, la seconde de la politique. À l’aube des indépendances, l’État sécessionniste du Biafra au Nigeria est reconnu par la Côte d’Ivoire, Haïti, le Gabon, la Zambie, la Tanzanie. In concreto, le Biafra n’a jamais été un État jusqu’à sa capitulation en 1970. En 1976, le Sahara occidental est reconnu par 63 États et est admis comme membre de l’Organisation de l’unité Africaine (OUA) le 25 Février 1982. Cependant, le front Polisario n’a jamais pu exercer l’effectivité et l’exclusivité du pouvoir, car l’occupation marocaine continue jusqu’à présent dans l’indifférence africaine. La Palestine dont je partage la cause et la douleur nonobstant sa reconnaissance par la majorité des États membres de l’ONU, dont certains lui reconnaissent même le droit de légation, n’est pas juridiquement un État. Inversement, Israël, non reconnu par les États arabes, exclusion faite de l’Égypte et de la Jordanie, n’en reste pas moins un État. Il en va ainsi de Taïwan n’en déplaise à Pékin. Le Kosovo est un État. Même si pour des raisons idéologiques, certaines démocraties occidentales sont réticentes à lui reconnaître ce statut.
De ce qui précède, la reconnaissance n’est pas le critère définitionnel de l’existence d’un État. Subséquemment, la problématique est moins la reconnaissance de l’Azawad que la licéité et la légitimité de l’acte posé par le MNLA.
Le sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières est une constance du droit international, explicité en droit interne par la Constitution. En effet, l’article 2 de la charte de la défunte OUA ressuscitée en Union africaine (UA), dispose que les objectifs de l’organisation sont de renforcer l’unité et la solidarité des États africains, de défendre leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur indépendance. La Constitution malienne, approuvée par référendum le 21 Janvier 1992 dispose que « la République du Mali est une et indivisible ».
À l’analyse, le principe de l’intangibilité des frontières vise avant tout à assurer le respect des limites territoriales d’un État au moment de son indépendance. Il s’oppose à la sécession. En effet, celle-ci consiste en la séparation d’une partie du patrimoine d’un État préexistant et qui laisse subsister celui-ci. Elle conduit à la formation d’un nouvel État dans la communauté internationale. Dans cette logique, on comprend alors, pourquoi les sécessions du Katanga au Congo Belge (Zaïre puis RDC), du Biafra au Nigeria, de la Casamance au Sénégal, du prospère   Somaliland de la désespérante Somalie, ont rencontré la condamnation des membres de la communauté internationale.
Et pourtant, et c’est là tout le paradoxe, des États nés de l’émancipation d’une province ou du refus d’une portion du territoire de faire allégeance aux autorités centrales, sont légions. À titre d’exemples, la Belgique est née de son émancipation des Pays-Bas en 1830, le Bangladesh des Pakistan en 1971, l’Érythrée de l’Éthiopie depuis le 24 Mai 1993, le Soudan du Sud du Soudan en 2011.
Dans ces exemples précités, surgit un autre principe, pierre angulaire du droit international : le principe des peuples à disposer d’eux-mêmes ou le principe des  nationalités, qui affirme au profit de toute nation le droit de se constituer en État indépendant. Le principe de l’autodétermination trouve ses origines dans la révolution française de 1789, repris par les principaux instruments juridiques internationaux dont la charte des Nations Unies. En effet, l’article 1 et 2 de la charte de l’ONU dispose « les buts des Nations Unies sont les suivantes :…développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe d’égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes et prendre toutes autres mesures à consolider la paix du monde ».
Le terme peuple à une consonance sociologique. Son équivalent politique est la nation. Le droit international est clair. Là où il y a une nation, il doit y avoir un État.  Relativement à l’Azawad, les Touareg qu’on surnomme poétiquement « les hommes bleus » forment-ils une nation ?
La réponse à cette interrogation suppose une définition préalable de la nation.
Celle-ci est définie sous le double prisme de l’objectivité et de la subjectivité. Dans la première, elle renvoie à un ensemble d’individus vivant sur le même espace géographique, appartenant à la même race, partageant la même langue, la même croyance religieuse, etc. Dans la seconde, elle prend une valeur contractualiste et s’analyse en une volonté de vivre ensemble.
Le territoire touareg est immense, fondé sur le désert, ancré sur des massifs sahéliens (Ahaggar, Aïr, Adrar des Iforas) et débordant sur ses marges septentrionales et méridionales plus arrosées. Au nord, le pays des hommes bleus  est en contact avec le domaine méditerranéen, alors qu’au Sud, il pénètre le monde soudanien. Le domaine des « hommes de nulle part », autre surnom des Touareg, s’étend sur la Libye, le Niger, le Mali, l’Algérie et le Burkina Faso.
Hommes des grands espaces, toujours en mouvement, avec la confusion encore  affichée entre errance et nomadisme, les Touareg sont les seuls berbérophones à posséder une écriture dont les caractères (tifinagh), anciens ou actuels sont inscrits sur de nombreux rochers sahéliens. En sus, la société touareg est hiérarchisée, avec ses chefferies et ses rigidités, soutenue par une économie  caravanière ou agro-pastorale.
Le nom de Tombouctou, évoque encore aujourd’hui les splendeurs du Soudan islamisé. En effet, chez les Touareg, la vie privée et la vie publique s’inspirent des principes religieux. L’éducation est religieuse. L’enfant dès son jeune âge est confié à un marabout qui lui inculque les notions essentielles du Coran et des pratiques religieuses.
De ce qui précède, il existe bel et bien une nation touareg. Ils ont donc le droit de créer un État. L’Azawad. Et bien non. Car l’affirmer, c’est méconnaître le droit international et ses sublimes contradictions qui rajoutent à son charme. En effet, selon les termes de la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies, en date du 14 Décembre 1960, le principe de l’autodétermination ne concerne que les peuples ou nations qui sont dans les trois postures distinctes, alternativement exigées, à savoir : le peuple doit être dans une situation coloniale où il est soumis à une subjugation, à une domination étrangère en dehors du contexte colonial, ou encore le peuple est un groupe défini dans un État qui se voit  refuser un accès réel au gouvernement.
De toute évidence, l’Azawad ne se trouve dans aucune des situations précitées. Depuis l’indépendance, les gouvernements successifs sous les présidences de Modibo Kéita, Moussa Traoré, Alpha Konaré et de Toumani Touré, comptent des personnalités touareg et plusieurs autres ont été nommés à de hautes responsabilités. C’est le cas de M. Iyad Ad Ghali nommé par le gouvernement malien le 21 novembre 2007, Conseiller consulaire à Djeddah en Arabie saoudite. La répression armée, violente, des révoltes de 1963, 1990, 1996, 2006, par Bamako, ne peut s’analyser autrement que par le devoir du pouvoir central de rétablir l’ordre public. Il serait excessif de parler d’épuration ethnique et d’oppression. Le droit à l’oppression et à la résistance des peuples et des populations, proclamé par la déclaration universelle des droits de l’homme du 26 août 1789 ne peut être évoqué dans l’espèce.
La rébellion touareg, au-delà de ses maladresses idéologiques et politiques, a le mérite de poser la problématique de l’urgence de réformes constitutionnelles importantes, relativement à la forme de l’État qui pourrait conduire le Mali, État unitaire, vers le fédéralisme, avec ses conséquences administratives et politiques pour prendre en compte les spécificités des différentes régions de ce pays trois fois grand comme la Côte d’Ivoire.
GEOFFROY-JULIEN KOUAO
Juriste-politiste
julien.kouao@yahoo.fr

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