Coups d'État, attentats-suicides et risques de guerre, la région connaît un début d'année explosif. Décryptage.
Mali, Guinée-Bissau, Nigéria, ou encore Soudan, on ne compte plus les pays d'Afrique subsaharienne en proie aux troubles en 2012. Les situations sont-elles pour autant comparables ? Tour d'horizon pays par pays, en compagnie de Philippe Hugon*, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques, en charge de l'Afrique.
Mali - Coup d'État militaire. Un groupe de militaires a renversé le 22 mars le président malien, Amadou Toumani Touré, qu'il juge coupable d'avoir échoué dans la lutte contre la progression des rebelles touareg, au nord du pays. À leur tête, le capitaine Amadou Sanogo annonce la dissolution des institutions et la suspension de la Constitution, suscitant la réprobation des
instances internationales. Or, loin de se laisser intimider par ce coup d'État, les Touareg - composés des laïques du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et des islamistes d'Ansar Dine (défenseurs de l'islam) - profitent de la confusion régnante pour s'emparer de grandes villes du Nord. Le 6 avril, le MNLA proclame l'indépendance du nord du pays : l'Azawad est créé, mais rejeté par les instances internationales. De leur côté, les djihadistes d'Ansar Dine, appuyés par al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), poursuivent le combat dans le but d'imposer la charia dans l'ensemble du pays afin d'y créer un État islamique. Dépassée par les événements, la junte militaire accepte de rendre le pouvoir. Si Amadou Toumani Touré est sacrifié, l'ancienne Constitution est rétablie, et un nouveau président intérimaire, Dioncounda Traoré, est investi, ainsi qu'un Premier ministre de transition, l'astrophysicien de renommée internationale, Cheick Modibo Diarra. D'emblée, le président menace les rebelles touareg d'une "guerre totale et implacable".
instances internationales. Or, loin de se laisser intimider par ce coup d'État, les Touareg - composés des laïques du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et des islamistes d'Ansar Dine (défenseurs de l'islam) - profitent de la confusion régnante pour s'emparer de grandes villes du Nord. Le 6 avril, le MNLA proclame l'indépendance du nord du pays : l'Azawad est créé, mais rejeté par les instances internationales. De leur côté, les djihadistes d'Ansar Dine, appuyés par al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), poursuivent le combat dans le but d'imposer la charia dans l'ensemble du pays afin d'y créer un État islamique. Dépassée par les événements, la junte militaire accepte de rendre le pouvoir. Si Amadou Toumani Touré est sacrifié, l'ancienne Constitution est rétablie, et un nouveau président intérimaire, Dioncounda Traoré, est investi, ainsi qu'un Premier ministre de transition, l'astrophysicien de renommée internationale, Cheick Modibo Diarra. D'emblée, le président menace les rebelles touareg d'une "guerre totale et implacable".
Philippe Hugon : Le cas du Mali est très grave, car il existe un risque d'afghanisation du pays. Le nord du Mali est une zone d'une grande vulnérabilité, où le mouvement touareg a pu se développer à la suite de la chute de Muammar Kadhafi et le retour des mercenaires touareg de Libye. D'autre part, Aqmi y possède des bases de repli, après avoir été chassé d'Algérie, qui ont bénéficié au mouvement islamiste Ansar Dine. Aujourd'hui, cette organisation est parvenue à prendre le contrôle de grandes villes symboliques du Nord, notamment Tombouctou. Il faut dire que les putschistes ont été très isolés par la communauté internationale, mais aussi par les forces politiques internes qui ne les ont pas soutenus, et n'ont pas agi contre l'insurrection au Nord. Mais il me paraît difficile que le Mali, qui possède une grande tradition démocratique, passe à la charia. Enfin, maintenant que l'indépendance du Nord a été proclamée, il existe un risque de conflit inter-touareg entre les laïques du MLNA et les islamistes d'Ansar Dine.
Guinée-Bissau - Coup d'État militaire. La veille du second tour de la présidentielle, des militaires enlèvent le Premier ministre et favori du scrutin, Carlos Gomes Junior, dit Cadogo, qu'ils soupçonnent de vouloir limiter leur rôle une fois au poste suprême. Les tensions sont cristallisées par la présence dans le pays depuis 2011 d'une mission militaire angolaise (Missang), fruit d'un accord secret entre Cadogo et l'Angola, destiné selon eux à protéger le Premier ministre tout en éliminant les forces armées bissau-guinéennes. Face à la pression des militaires, le contingent est finalement enlevé le 12 avril dernier par l'Angola, ce qui est interprété comme une preuve de faiblesse du Premier ministre, ouvrant la voie au coup d'État. Dimanche, la junte a dissous les institutions et a conclu un accord avec la majorité des partis de l'ex-opposition prévoyant la création d'un conseil national de transition, provoquant l'indignation des instances internationales.
Philippe Hugon : Ce coup d'État n'est pas extrêmement surprenant dans la mesure où la Guinée-Bissau a été ébranlée par les coups d'État depuis son indépendance en 1975 du Portugal. Il ne faut pas oublier que la Guinée-Bissau est un narco-État où l'armée joue un rôle extrêmement important dans le contrôle de la cocaïne. Il est donc vraisemblable que le putsch ait été mené pour empêcher le futur chef de l'État de contrôler davantage l'armée, ainsi que le narco-trafic. Enfin, il n'est pas surprenant que l'Angola soit présent dans ce dossier, étant donné sa grande puissance militaire dans la région ainsi que ses liens historiques et linguistiques avec la Guinée-Bissau.
Soudan - Vers une nouvelle guerre ? L'armée du Soudan du Sud s'est emparée, mardi 10 avril, de la zone pétrolière de Heglig, qui assure une large part de la production de brut du Nord, provoquant un grave regain de tension entre les deux pays autrefois unifiés. Depuis, les combats font rage à la frontière, laissant craindre que n'éclate une véritable guerre entre les deux voisins, qui ont appelé leur population respective à se mobiliser en vue d'un tel scénario. Jeudi, Khartoum a riposté en bombardant Bentiu, capitale de l'État sud-soudanais d'Unité. Les affrontements ont entraîné la suspension des pourparlers entre les deux pays. Le champ pétrolier de Heglig, revendiqué par les belligérants, avait déjà été brièvement conquis fin mars par les soldats sud-soudanais, entraînant d'âpres combats à la frontière, et surtout l'annulation d'un sommet historique entre le président soudanais, Omar el-Béchir, et son homologue sud-soudanais, Salva Kiir. Après des décennies de guerre civile opposant le nord et le sud du Soudan, les accords de paix de 2005 ont ouvert la voie à l'indépendance du Soudan du Sud en juillet dernier. Par là même, Khartoum a été amputé des trois quarts de ses réserves pétrolières.
Philippe Hugon : L'indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet dernier n'a pas réglé un certain nombre de questions entre les deux pays : le partage des revenus pétroliers, la délimitation des frontières, et la question de la nationalité des 700 000 Sud-Soudanais se trouvant au Soudan. Le champ pétrolier de Heglig est une manifestation du conflit de territorialité, puisqu'il se situe au Soudan, mais qu'il est revendiqué par le Sud-Soudan. Il est nécessaire de replacer cette querelle dans le contexte des négociations entre les deux pays qui ont lieu à Addis-Abeba, en Éthiopie. Soit nous sommes repartis pour une guerre, la dernière qui s'est achevée en 2005 ayant fait plus de deux millions de morts ; soit un accord est trouvé entre les deux parties : dans ce cas, le contrôle du champ de Heglig serait une des armes dont disposerait le Sud pour négocier avec le Soudan.
Nigéria - La secte islamiste qui terrorise le pays. L'organisation Boko Haram ("l'éducation occidentale est un péché") s'est rendue coupable de la mort d'au moins 430 personnes depuis le début de l'année 2012, dans le pays le plus peuplé d'Afrique. Spécialisés dans les attentats anti-chrétiens et anti-gouvernementaux dans le nord du pays, à majorité musulmane, les islamistes frappent lors de dates symboliques. Cela a été le cas le jour de Noël, où une attaque à la bombe contre une église a fait 44 morts, ou encore à Pâques, où trois attaques ont fait au total 45 victimes. L'organisation terroriste, qui réclame l'instauration de la charia dans l'ensemble du pays, et donc un État islamiste, se venge également de la répression extrêmement brutale menée par l'armée en juillet 2009 - où plusieurs centaines de membres de la secte ont perdu la vie - et qui a forcé ses cadres à se réfugier à l'étranger, où ils ont été récupérés par une mouvance djihadiste internationale. Ainsi, Boko Haram est suspecté d'entretenir des liens avec al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), dont ils ont épousé le mode opératoire, en menant des attentats-suicides.
Philippe Hugon : Créé après le 11 septembre 2001, Boko Haram, qui se réfère aux talibans, a toujours préconisé la lutte contre les chrétiens et l'Occident. La secte s'est fortement renforcée dernièrement : tout d'abord au Nigéria dans une situation de répression très violente de l'armée nigériane, qui attire dans les filets des islamistes beaucoup de jeunes désoeuvrés, mais aussi à l'étranger. Boko Haram possède des ramifications en Somalie avec les islamistes al-Shabab, mais aussi dans certains pays comme le Tchad, le nord du Cameroun, et même le nord du Mali, où ses membres ont été aperçus après la percée des Touareg. Ainsi, la secte aurait peut-être des liens avec Aqmi. Il n'existe néanmoins pas de risque de partition du Nigéria. Les ressources pétrolières du pays demeurant au Sud, à majorité chrétienne, il n'y a aucune volonté du Nord de devenir indépendant. De toute façon, le discours extrémiste de Boko Haram ne séduit pas les populations.
* Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), auteur du Géopolitique de l'Afrique (Éditions Sedes).
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