vendredi 27 février 2015

Mali : un ultime texte d’accord de paix rédigé à Alger - Afrique - RFI#./?&_suid=1425033979858043100667835792505#./?&_suid=1425033979858043100667835792505#./?&_suid=1425033979858043100667835792505

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mediaUn tonneau peint aux couleurs du MNLA à la frontière du Mali et du Niger.RFI/Moussa Kaka
A Alger, on entre dans la dernière ligne droite pour la recherche d'un accord de paix au Mali. La médiation algérienne a rédigé un dernier et ultime texte d'accord de paix. Les deux parties - groupes armés du Nord et autorités de Bamako - remettront leurs observations au médiateur ce vendredi 27 février. Alger souhaite pouvoir boucler, dès ce week-end, ces négociations qui durent depuis juillet dernier.
A Alger, tout le monde avoue qu’il est temps que ces négociations s'achèvent. Cela fait plus de sept mois que les délégations du gouvernement de Bamako et celles des groupes armés réclamant l'autonomie de l'Azawad ou bien revendiquant l'unité territoriale travaillent à la recherche d'un accord de paix.

L'Algérie - qui a succédé au Burkina Faso à la tête de la médiation - a tout fait pour rédiger un texte a minima qui puisse convenir à tout le monde à condition que chacun accepte de faire des concessions. De l'avis de certains participants et observateurs sur place, cette dernière mouture propose d'indéniables avancées, jugées pourtant insuffisantes par certains et excessives par d'autres.

L'Azawad une rélaité humaine et socio-culturelle

Le texte ne parle ni de statut d'autonomie ni de fédéralisme, mais reconnaît pour la première fois l'appellation « Azawad » comme étant « une réalité humaine, socio-culturelle mémorielle et symbolique partagée par différentes populations du Nord », dit le texte. Les groupes armés autonomistes de la Coordination des mouvements de l'Azawad s'en rejouissent beaucoup moins la délégation de Bamako et la plateforme des mouvements. La dimension politique est, elle, renvoyée à plus tard.

Abdouzeidi Ousmane Maïga est le président de l'association des chefs traditionnels du cercle de Gao. Il plaide pour un accord de paix rapide pour permettre le retour de la paix. Pour lui, l'autonomie du Nord ne serait pas une bonne solution : « Le statut particulier est déjà contenu dans la décentralisation poussée et aucune forme d’autonomie ne peut être envisagée au Nord. Aucune sorte également de fédéralisme ne peut être envisagé au Nord parce qu’on se connaît, on est dans ces territoires depuis des siècles et des siècles. Nos parents ont vécu ensemble et maintenant nous avons besoin d’être plus unis pour nous développer. Qu’ils écoutent la raison. Nous pensons que c’est le dernier round et qu’ils vont s’entendre et signer pour qu’on ait la paix, le bien-être et qu’on se développe. »

Si à Gao beaucoup estiment que l'unité territoriale du mali n'est pas négociable, à Kidal au contraire on n'imagine guère la paix sans la reconnaissance de l'autonomie de l'Azawad. « Il faut un accord. Nous en avons marre. On a besoin de vivre. Il n’y a même pas d’école ici. Il n’y a même pas de centre de santé. Il n’y a pas d’eau potable partout, tellement ça ne va pas. Le minimum qu’il nous faut, c’est une large autonomie, sinon une fédération. C’est une nécessité. Et je pense que la médiation doit comprendre cela. Je lance cet appel à la médiation », explique cet habitant de Kidal. Et de rajouter : « Nous nous avons besoin d’être unis, nous avons besoin d’être ensemble pour construire un Azawad qui pourra bien se développer. On va se développer, on va se gérer, on va s’occuper de nos affaires. L’Azawad a besoin aujourd’hui de tous ses fils, qu’ils soient Touaregs, qu’ils soient Arabes, qu’ils soient Sangos, qu’ils soient Peuls ou même qu’ils soient Bozo… Nous avons toujours vécu en symbiose sur ces territoires depuis bien des siècles. »

Trois jours pour convaincre l'ensemble des belligérants

Ainsi, l'Etat du Mali est un et indivisible, mais les collectivités territoriales ont plus de pouvoirs. En revanche, l'armée reste le domaine de l'Etat malien à une exception près, à savoir la création d'une police locale sous l'autorité des régions. Le redéploiement de l'armée est préconisé sur l'ensemble du territoire dans les plus brefs délais.

Finalement les points de divergences demeurent entre les deux camps qui ont également des comptes à rendre à leur opinion publique. A Bamako, certains souhaiteraient voir le projet d'accord validé par référendum avant d'être signé par les belligérants. Quoi qu'il en soit, « il n’est pas question d’amender une nouvelle fois le texte. Les modifications porteront sur des virgules », a fait savoir la médiation algérienne. Dans ces conditions, les parties vont-elles ou non parapher le texte pour le signer ensuite à Bamako ? Alger se donne trois jours pour convaincre, un à un, chaque participant

jeudi 26 février 2015

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Publié le 09-12-2014

«Timbuktu», un film devenu symbole

mediaScène du film « Timbuktu. Le Chagrin des Oiseaux », d'Abderrahmane Sissako.Le Pacte
Avec Timbuktu qui sort ce mercredi 10 décembre sur les écrans, Abderrahmane Sissako nous replonge dans la terreur de l’occupation jihadiste de Tombouctou. Mais ce qu’il raconte va bien au-delà. Le réalisateur mauritanien, consacré par une journée spéciale sur RFI, pose dans son œuvre l'universelle question des valeurs dans le monde d'aujourd'hui.
« Timbuktu est devenu un film emblématique, remarque Dora Bouchoucha, directrice des Journées cinématographiques de Carthage. Vu la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, le monde arabe et toute la région, ce film prend un autre sens. » Depuis le Festival de Cannes en mai, on s’arrache Timbuktu pour les avant-premières, des JCC en Tunisie en passant par le Festival Afrikamera à Berlin jusqu’au Festival Nouakshort Film dans la capitale mauritanienne. Gérard Vaugeois, programmateur du Maghreb des films à Paris n’hésite pas à parler d’ « un chef d’œuvre d’une beauté plastique absolue qui crée un choc, un contrepoint avec la violence qui, d’un seul coup, surgit dans le récit. C’est un film droit, direct, qui touche là où il faut toucher ».

Une gazelle au galop

Timbuktu, ça commence avec une gazelle au galop, prise en chasse par des jihadistes avec un pick-up. Et cela finit mal à cause d’une vache qui s’est pris les pieds dans un filet de pêche. Chez Abderrahmane Sissako tout part d’un rythme naturel : les pas d’un homme dans le sable, la vie d’une famille dans les dunes, le jeune garçon courant après un troupeau de bétail, la jeune fille qui trait les chèvres, la pirogue qui traverse la rivière…

Avec sa caméra, Sissako ouvre l’espace. Il scrute les formes et les couleurs éternelles de ce pays, les maisons ocre, les visages balayés depuis toujours par le sable et le vent. Son cadre est comme une fenêtre basse près du sol à travers laquelle on regarde son histoire. Il montre le fleuve, le désert, les rues de Tombouctou comme des univers reliés à notre monde par des voies mystérieuses. Il nous impose des images qui entrainent la lenteur, la profondeur… et la réflexion.

Timbuktu pose la question de l'islam


Tourné dans le plus grand secret près de la frontière malienne, dans une zone rouge dans l’extrême est de la Mauritanie, Timbuktu nous raconte deux histoires entrecroisées : celle bien connue et redoutée des jihadistes venus d’ailleurs qui occupent la ville de Tombouctou en 2012. Des extrémistes religieux qui tirent sur des sculptures et assassinent une culture millénaire. Ils ne parlent pas la langue des habitants, mais infligent avec leurs kalachnikovs à la population leur cruelle interprétation de la charia : obligation pour les femmes de se voiler, 40 coups de fouet pour avoir chanté ou joué au foot, des mariages forcés et la lapidation des amoureux non mariés…

L’autre histoire nous fait vivre la vie de Kidane, un éleveur qui mène avec sa femme et sa fille une vie simple et heureuse au milieu des dunes. Cette existence paisible s’arrête brusquement quand celui-ci décide que l’humiliation ne peut plus durer. Il tue accidentellement Amadou le pêcheur pour venger la mort de sa vache préférée. Quelle justice possible après la mort d’un homme ?

Des images d’un calme absolu

Pour contrer l'obscurantisme, Abderrahmane Sissako ne met pas les gyrophares, mais allume les phares. En filigrane, il pose la question de la vache sacrée et des limites qu’on se pose et tolère comme individu et en tant que société. Il y a la vendeuse de poissons qui refuse de porter des gants, la comédie des jeunes qui vivent leur passion pour le foot sans le ballon, la chanteuse qui continue à chanter sous les coups de fouet, mais aussi le jihadiste qui se cache pour fumer ou danser. Timbuktu navigue entre le Bien et le Mal, entre les langues et les cultures, entre la ville et le désert, entre les hommes et les femmes, entre la justice et la charia, entre l’islam et le jihad, entre l'éternel et l'éphémère... Un récit tragique et complexe, rythmé par des images d’un calme absolu. A la fin, la société a bien volé en éclats.



► Lire aussi : «Donaye», un autre «Timbuktu»
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A écouter : « Timbuktu » : la leçon de cinéma d’Abderrahmane Sissako
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Kidal : le nouveau chef coutumier rejette toute idée d’indépendance

Kidal : le nouveau chef coutumier rejette toute idée d’indépendance

C’est dans une interview à l’AFP, mercredi, que le nouveau chef coutumier du bastion touareg de l'extrême nord-est du Mali, a révélé sa position.
Kidal (Nord du Mali)
Kidal (Nord du Mali)
Pas question d'indépendance ou d'autonomie du nord du pays pour Mohamed Ag Intalla qui a succédé en décembre à son père comme Amenokal (chef élu par les sages) de l'Adrar des Ifoghas, après le décès de celui-ci.

Intalla suggère plutôt que Kidal devienne la capitale du Mali.

"Kidal est malien, je suis contre l'indépendance et même l'autonomie de Kidal", aux mains des rebelles touareg depuis mai 2014 après avoir vaincu l'armée malienne, a-t-il assuré.

Sa déclaration prend délibérément le contrepied de certains groupes rebelles touareg actuellement en négociation avec le gouvernement à Alger revendiquant l'autonomie du nord du Mali qu'ils appellent "Azawad".

Joint par l'AFP à partir de Bamako, Mohamed Ag Intalla, député du parti au pouvoir, a par ailleurs affirmé que dans le cadre de la réconciliation nationale, il s'apprêtait à sillonner le nord du Mali avec d'autres chefs de communauté pour "prôner la paix".

"Il faut faire la paix. Il faut parler entre Maliens pour savoir comment on va tous profiter du développement. Il faut qu'on implique les populations", a-t-il estimé.

"Il y aura une mission à l'intérieur de la région de Kidal. La même mission dans la région de Gao pour sensibiliser la société civile. Pour prôner la paix", a insisté le nouvel Amenokal.

Les revirements d'alliances au sein des mouvements armés du Nord, traditionnellement fluctuants, se sont multipliés à l'approche de la reprise des pourparlers d'Alger le 16 février.

La semaine dernière, un des chefs militaires de la branche du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA) favorable à la rébellion, Ali Idriss Hamaha, a annoncé son ralliement au camp progouvernemental.

En décembre, un chef militaire de la rébellion touareg, le colonel Hassane Ag Mehdi, avait également fait défection.

Le nord du Mali était tombé au printemps 2012 sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda. Ils ont été en grande partie chassés par l'opération Serval, lancée à l'initiative de la France en janvier 2013, à laquelle a succédé en août 2014 Barkhane, dont le rayon d'action s'étend à l'ensemble de la zone sahélo-saharienne.

Des zones entières du nord du Mali échappent néanmoins au contrôle du pouvoir central.

(L’information reprise ici provient de l’AFP).

mercredi 25 février 2015

Nouveau revers pour les séparatistes aux abois : Les unionistes font leur entrée dans trois nouvelles localités proches de Kidal

Nouveau revers pour les séparatistes aux abois : Les unionistes font leur entrée dans trois nouvelles localités proches de Kidal

C'est le jeudi 19 février dernier qu'un accord de consolidation des documents de cessez-le-feu a été paraphé à Alger par les différentes parties maliennes. Sur la base de ce nouvel accord, celles-ci doivent s'abstenir à tout acte de violence ou tenir des propos provocateurs.

UnionisteC’est le jeudi 19 février dernier qu’un accord de consolidation des documents de cessez-le-feu a été paraphé à Alger par les différentes parties maliennes. Sur la base de ce nouvel accord, celles-ci doivent s’abstenir à tout acte de violence ou tenir des propos provocateurs.

Malgré cet engagement, les violences continuent sur le terrain. Hier encore, en représailles à des attaques qu’ils auraient subies de la part des séparatistes, les forces pro-gouvernementales ont réussi à s’emparer de trois nouvelles localités dans la région de Kidal, à savoir Ersan, Tafliste et Intafouk.

Décidément, il n’est vraiment pas facile de faire respecter un accord de cessez-le-feu au nord du Mali. Quoi de plus normal puisqu’il n’y a aucune sanction prévue pour ceux qui le violent encore moins la présence d’un observateur neutre pour suivre son application stricte.

Ainsi, les affrontements qui opposent depuis la fin de l’année dernière les séparatistes aux unionistes sont loin d’être terminés. Même si un document appelant toutes les parties à geler les conquêtes territoriales a été signé le jeudi 19 février dernier à Alger, hier mardi 24 février, des combats d’une rare intensités ont été signalés dans les environs de Kidal.

De sources bien informées, ils ont opposé une nouvelle fois les séparatistes aux unionistes. Et ce sont encore ces derniers qui auraient réussi à prendre le dessus. Pour eux, il s’agit de représailles aux attaques qu’ils ont subies de la part des séparatistes malgré l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu récemment signé.

Les unionistes ont pu ainsi signer leur entrée sans grande résistance dans des localités proches de Kidal à savoir Ersan, Tafliste et Intafouk. Ils ont résolu de ne quitter ces localités qu’une fois que les attaques commanditées par les séparatistes contre leurs positions auront cessé. A Alger où des discussions sont en cours dans le cadre du 5e round des pourparlers inter-Maliens, cet incident est minimisé et n’est pas considéré comme un élément de nature à déstabiliser le processus de négociations. Bien au contraire, on se dit même optimiste et confiant quant à la signature toute prochaine d’un » accord de paix global et définitif « .

Pourtant, peu après la signature dudit document, jeudi dernier, le retour des éléments des groupes séparatistes à Kidal ne s’est pas fait dans la douceur. En effet, sur leur parcours, ils ont procédé à des braquages.

Ils ont ainsi pillé deux camions transportant des personnes et leurs biens avant de dépouiller des commerçants et voler des motos. C’est donc en représailles à ces attaques, dignes du banditisme ordinaire, que les unionistes se sont emparés de quelques localités qui étaient sous le contrôle des séparatistes. Résultats: on peut d’ores et déjà constater que cet accord de «cessation immédiate de toutes formes de violence» ( voir ci-contre texte intégral) récemment signé est fragilisé.

Massiré Diop



Déclaration des parties au Processus d’Alger

Les Parties au Processus d’Alger réunies sous l’égide de la médiation dans le cadre des négociations sur un accord de paix global et définitif :

» Rappelant la validité et la pertinence de l’accord de cessez-le-feu du 23 mai 2014 et ses modalités de mise en œuvre, la feuille de route du 24 juillet 2014 et la Déclaration de cessation des hostilités du 24 juillet 2014 ;

» Prenant acte de la Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 6 février 2015 et des différents appels incessants au calme, à la retenue et à l’accélération des négociations pour parvenir rapidement à un accord de paix global et définitif ;

» Exprimant le souci d’assurer un climat apaisé pour mener à bien les négociations sur un accord de paix global et définitif ;

En attendant la conclusion et l’entrée en vigueur d’arrangements définitifs dans le cadre d’un accord de paix global et définitif seul à même d’apporter les réponses appropriées et durables aux problèmes posés, les Parties conviennent de ce qui suit :

1- Observer une cessation immédiate de toutes formes de violence et s’abstenir de tout acte ou propos provocateur ;

2- Respecter les engagements contractés en vertu des accords susmentionnés ;

3- Mettre rapidement en œuvre avec l’appui de la MINUSMA et en étroite coopération avec elle, toutes les mesures de confiance adoptées, notamment le mécanisme visant à faciliter l’application du cessez-le-feu figurant dans la Déclaration de cessation des hostilités et à assurer la protection des civils ;

4- Participer pleinement à la CTMS élargie et ses mécanismes, de façon à vérifier, constater et signaler, chaque fois que de besoin à la Médiation, tout acte contraire à la présente Déclaration; 5- Poursuivre la mise en œuvre des mesures de confiance notamment la libération des personnes détenues ;

6- Poursuivre la négociation dans le cadre du Processus d’Alger de bonne foi et dans un esprit constructif, ouvert et inclusif en vue de s’attaquer durablement aux causes des tensions observées récemment sur le terrain ;

Les Parties au Processus d’Alger s’engagent à mettre en œuvre cette Déclaration dès sa signature.

Fait à Alger, le 19 février 2015

Que reste-t-il des frontières africaines ?, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique, décembre 2012)

Que reste-t-il des frontières africaines ?, par Anne-Cécile Robert (Le Monde diplomatique, décembre 2012)

Partition du Soudan, conflit dans le nord du Mali...

Que reste-t-il des frontières africaines ?

« Nous sommes pour les négociations et pour trouver une solution définitive dans ce conflit entre le Mali et l’Azawad », a déclaré le 16 novembre M. Bilal Ag Achérif, porte-parole des rebelles à Ouagadougou (Burkina Faso), où une médiation internationale est organisée. De leur côté, les Nations unies discutent d’une intervention militaire. La partition de fait du Mali illustre la fragilité, patente depuis la fin de la guerre froide, des frontières du continent.
par Anne-Cécile Robert, décembre 2012
Mystérieuse, l’explosion de l’usine d’armements de Yarmouk, près de Khartoum, le 23 octobre dernier, continue de semer la zizanie entre le Soudan, ses voisins et les organisations internationales. Les bâtiments détruits, où étaient produites des armes légères, servaient également d’entrepôts pour d’autres équipements militaires importés de Chine, selon le centre de recherche suisse Small Arms Survey (1). Devant l’Organisation des Nations unies (ONU), Khartoum accuse Israël — sans avancer de preuve — de les avoir sabotés, voire d’avoir bombardé le site, considéré par Tel-Aviv comme le maillon d’un trafic à destination de la bande de Gaza et de l’Iran.

Vaste pays de près de deux millions de kilomètres carrés, le Soudan affronte la rébellion du Darfour sur son flanc ouest (2). En outre, depuis juillet 2011, il est amputé d’une partie de ses territoires du Sud, devenus indépendants sous le nom de Soudan du Sud après des décennies de guerre civile. Malgré plusieurs accords sur le tracé des frontières et la répartition des ressources, les deux Etats sont loin d’avoir trouvé la paix (3).

Le Soudan, traversé de conflits, menacé par des mouvements centrifuges, n’est pas un cas isolé sur le continent noir. En effet, si les tensions au Sahel monopolisent l’attention diplomatique et médiatique, les événements qui s’y déroulent ont leurs pendants dans d’autres régions d’Afrique : aspirations autonomistes, insurrections armées, incapacité des autorités à maintenir l’ordre, trafics transnationaux d’armes et de munitions, ingérences étrangères, course aux ressources naturelles, etc. Les Etats déliquescents ont perdu le contrôle sur des « zones grises » situées à distance des capitales et autoadministrées de manière fréquemment criminelle. Ainsi, entre le Niger et le Nigeria s’étend désormais une bande de trente à quarante kilomètres qui échappe à la supervision de Niamey et d’Abuja. Les frontières, tracées au temps de la colonisation, n’ont parfois plus de réalité, tant sont importants les flux de migrants, de voyageurs et de commerçants qui les ignorent.

Un Etat de facto géré par des clans

Avec ses cortèges de morts, de réfugiés et d’exactions sans fin, la République démocratique du Congo (RDC) se révèle emblématique de ces phénomènes destructeurs. De même, on voit la Somalie se décomposer : une partie de son territoire, le Somaliland, a trouvé une forme de stabilité sous l’autorité d’une élite locale formée au Royaume-Uni, tandis qu’au nord de Mogadiscio le Puntland est un Etat de facto, géré par des clans qui vivent en partie de la piraterie. En Afrique de l’Ouest, si la plupart des pays connaissent la paix, les foyers de crise larvée sont nombreux, et gros de déstabilisations potentielles : la Casamance, région du Sénégal limitrophe de la Gambie et de la Guinée-Bissau, connaît régulièrement des explosions de violence autonomistes (enlèvements, attentats) ; dans le delta du Niger, des bandes armées rançonnent les entreprises et sabotent les installations pétrolières du Nigeria, avec des répercussions au Cameroun, au Togo et au Bénin ; dans les pays de l’Union du fleuve Mano (Côte d’Ivoire, Guinée, Liberia et Sierra Leone) (4), les conflits récents ont laissé des traces. La zone saharo-sahélienne est quant à elle le terrain d’action de mouvements criminels, de groupes islamistes radicaux et de revendications touarègues qui créent une partition de fait du Mali (5). Seule la partie australe du continent, dominée par l’Afrique du Sud, semble échapper à cette tendance déliquescente (lire « Impériale Afrique du Sud »).

Inscrit dans la charte de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1964, le principe de l’intangibilité des frontières semble bien écorné. En mai 1993, déjà, l’indépendance de l’Erythrée, séparée de l’Ethiopie, l’avait égratigné. Du moins le nouvel Etat s’inscrivait-il encore dans des limites dessinées au temps de la colonisation, donc dans un cadre doté d’une légitimité internationale par le passé. Mais que dire de la sécession du Soudan du Sud, reconnue immédiatement par la « communauté internationale », qui en avait préparé l’avènement ? Certes, l’autonomie de cette zone avait été promise lors de l’indépendance, en 1956, dans le cadre d’un Etat fédéral. Mais Khartoum ne respecta jamais son engagement, déclenchant une rébellion armée qui devait alimenter deux longues guerres civiles (6).

Pour une nouvelle géopolitique africaine

Philippe Rekacewicz, décembre 2012
Alors que la pression sur les frontières s’accroît, que répondre aux indépendantistes du Sahel ou de Casamance ? Dans un communiqué du 17 février 2012, les chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) affirment gravement leur attachement à la souveraineté du Mali, qui a perdu le contrôle du nord de son territoire. Mais la plupart d’entre eux (Nigeria, Côte d’Ivoire (7), etc.) sont confrontés à des crises latentes ou ouvertes qui dépassent leur territoire et défient leur propre autorité.

De véritables « systèmes de conflits » se sont installés, caractérisés par la dif- fusion transnationale de l’instabilité en Afrique de l’Ouest, de l’Est et centrale. Ces foyers de tension sont en général « situés le long des espaces frontaliers, dont les dynamiques intrinsèques sont souvent des facteurs de diffusion ou d’amplification des crises », explique le politologue Michel Lun- tumbue (8).

Si des phénomènes similaires ont pu affecter l’Europe centrale et orientale (partition tchécoslovaque, éclatement de la Yougoslavie), ils interviennent ici dans le contexte spécifique d’Etats africains affaiblis, voire en cours d’effondrement, en particulier en raison de leur incapacité à assurer le développement. Les projets nationaux progressistes des élites indépendantes se sont brisés sous les coups de l’autoritarisme et de la corruption. La tutelle des organismes financiers internationaux ajoute à l’infantilisation des autorités.

Sur le continent noir, la violence des inégalités sociales exacerbe les discours identitaires, perçus comme les seuls modes d’ascension sociale : reconnu membre d’une communauté religieuse, culturelle ou ethnique aux revendications spécifiques, le jeune adulte retrouve un sentiment d’appartenance et recourt parfois à des moyens armés pour faire valoir ses droits à travers ceux de son groupe, au détriment de ceux du pays dans son ensemble. Par ailleurs, de plus en plus de jeunes dénoncent l’incurie de leurs aînés, qui s’accrochent au pouvoir en oubliant souvent l’intérêt général. Patente, la rupture du contrat social entre les générations alimente, selon Luntumbue, une « culture de l’intolérance » dans des sociétés où les mécanismes de la démocratie sont encore mal implantés. Les bandes armées dans le delta du Niger sont par exemple typiques d’une jeunesse désœuvrée et avide d’obtenir sa part de l’abondante manne pétrolière. L’autonomisme de la péninsule voisine de Bakassi, au Cameroun, s’inscrit dans la contestation de la légitimité d’un Etat incapable de procéder à un semblant de redistribution des ressources.

Ces conflits, qui ont des causes locales, sont souvent alimentés ou déclenchés par un événement extérieur. L’intervention occidentale en Libye, au printemps 2011, a ainsi contribué à la dissémination d’armes de guerre issues de l’arsenal du colonel Mouammar Kadhafi, mais également des parachutages franco-britanniques. Ces armes se sont déversées dans une zone où s’étendait déjà le djihadisme islamique, tandis que la braise des tensions entre les capitales (Bamako et Niamey) et la rébellion touarègue rougissait sous le souffle de la corruption et de l’arbitraire. On sait par ailleurs que les grandes multinationales instrumentalisent, voire orchestrent, les conflits locaux pour s’emparer des richesses minières (9).

Le continent s’enferme alors dans un cercle vicieux, puisque les Etats se voient souvent contraints de faire appel à l’aide extérieure pour résoudre les crises qui les menacent, validant par là l’accusation initiale d’incompétence et d’illégitimité. Certains observateurs s’inquiètent en outre des effets pervers de l’intervention des associations humanitaires : le politologue camerounais Achille Mbembe estime qu’elles contribuent à brouiller les repères de la souveraineté étatique, les zones protégées devenant « extraterritoriales de fait (10) ».

Au-delà des différends territoriaux entre Etats, on assiste, depuis les années 1990, à la multiplication de conflits internes à caractère politico-ethnique dont les implications peuvent dépasser le cadre d’un pays (Liberia, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Mali...). La fin de l’affrontement des deux blocs de la guerre froide a pu libérer d’anciennes revendications, tandis que la mondialisation économique et financière redistribuait une partie des cartes géopolitiques. La déstabilisation des Etats est alimentée par une criminalité transfrontalière telle que le trafic d’armes, de drogues ou d’êtres humains. La Guinée-Bissau, habituée des coups d’Etat, est devenue le point d’entrée de la cocaïne d’Amérique du Sud et de l’héroïne afghane, qui, de là, sont réexpédiées vers l’Europe et les Etats-Unis. Mais la région voit également la traite de migrants destinés à l’agriculture et à la pêche (Burkina Faso, Ghana, Bénin, Guinée-Conakry, etc.). Deux cent mille enfants en seraient victimes en Afrique de l’Ouest et en RDC, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) (11).

« Crise d’identité »

Les multiples groupes qui contestent à l’Etat le monopole de la violence légitime nouent des alliances de circonstance et se jouent de frontières devenues fluides. Dans le nord du Mali, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ançar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et les groupes nomades touaregs, dont les revendications sont anciennes, se sont ainsi associés pour lutter contre l’autorité de Bamako. Mais ils se sont également liés à des trafiquants avec lesquels ils échangent argent et services. Ces alliances peuvent se dissoudre aussi vite qu’elles se sont nouées.

Les limites territoriales se diluent au profit de zones frontalières, de « pays frontières » où les régulations s’effectuent par le bas, c’est-à-dire par le jeu des acteurs eux-mêmes. Les Etats ont parfois tenté de répondre aux risques de décomposition par des réformes institutionnelles, comme la décentralisation au Mali ou l’instauration d’une fédération au Nigeria. Mais les tendances lourdes demeurent à l’œuvre. L’ancien président du Mali Alpha Oumar Konaré estime par conséquent que ces phénomènes sont la clé de la période actuelle : c’est à travers eux « que se lit la paix, c’est-à-dire la démocratie, c’est-à-dire le développement », car il n’existe « pas de paix avec des frontières contestées, non assumées, où la peur du voisin est la seule chose communément partagée » (12).

L’historien ivoirien Pierre Kipré estime que l’Afrique traverse une « crise d’identité » qui plonge ses racines dans l’histoire longue. S’il est vrai que les frontières ont été artificiellement tracées par les puissances coloniales lors de la conférence de Berlin en 1884-1885, en faisant litière des réalités sociales et humaines, Kipré souligne une carence des sociétés elles-mêmes. Selon lui, les tensions sont nées « faute d’avoir vu les communautés politiques africaines fonder l’espace autant que les réseaux de relations sociales comme composantes intimes du pouvoir (13) ». La lutte contre la colonisation s’est effectuée dans le cadre des Etats tracés par les Européens, validant les divisions instaurées à la fin du XIXe siècle. De même, les Etats indépendants, tout occupés à asseoir leur autorité naissante, n’ont pas hésité à se faire la guerre. En outre, les régimes à parti unique, parfois issus de luttes armées, recourant à des moyens autoritaires, prétendaient sublimer les aspirations divergentes des populations pour assurer le développement de la « nation ».

Le tracé de frontières rigides n’est pas une tradition africaine, celle-ci valorisant davantage la rencontre, le partage, l’échange. M. Konaré évoque des « confins mouvants » qui agissent comme des « points de suture » ou « de soudure ». Le « cousinage » et les plaisanteries qui l’accompagnent sont d’ailleurs une tradition qui, malgré tout, perdure. Les indépendances ont été obtenues dans les années 1960, alors que les populations n’avaient pas encore intégré les espaces politiques créés par Berlin seulement quatre-vingts ans plus tôt.

Faut-il alors imaginer un « contre-congrès de Berlin » ? En 1994, l’écrivain nigérian Wole Soyinka s’exclamait : « Nous devrions nous asseoir et, munis d’une équerre et d’un compas, redessiner les frontières des nations africaines (14). » Plus récemment, M. Nicolas Sarkozy, à quelques semaines d’un voyage sur place, en 2009, suggérait à propos de la RDC : « Il faudra bien qu’à un moment ou à un autre il y ait un dialogue qui ne soit pas simplement un dialogue conjoncturel, mais un dialogue structurel : comment, dans cette région du monde, on partage l’espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la géographie a ses lois, que les pays changent rarement d’adresse et qu’il faut apprendre à vivre les uns à côté des autres (15) ? » Ces déclarations ont suscité l’inquiétude dans la région des Grands Lacs, où on a craint une tentative de redécoupage « à l’ancienne ». Mais, au-delà du style éruptif de l’ancien président français, l’idée taraude de nombreux intellectuels et gouvernants africains. « Au cours du prochain siècle, écrit le politologue kényan Ali Mazrui, la configuration de la plupart des Etats africains actuels changera. De deux choses l’une : ou l’autodétermination ethnique conduira à la création d’Etats plus petits, comme dans le cas de la séparation de l’Erythrée et de l’Ethiopie ; ou l’intégration régionale mènera à des unions politiques et économiques plus vastes (16). »

Dans ce qui s’apparente à une course contre la montre, les dirigeants africains semblent avoir pris le parti de la seconde hypothèse. Les frontières seront défendues, mais des institutions régionales instaureront un cadre pacifique. En 2002, l’OUA a ainsi été transformée en Union africaine. Plus structurée, elle est dotée d’un organe exécutif permanent et d’un Conseil de paix et de sécurité. Elle a prévu une échelle de sanctions dont le Niger, la Côte d’Ivoire et le Mali ont subi les foudres : suspension de la participation à l’organisation, embargos, gels des avoirs financiers, etc. Par ailleurs, elle a pris plusieurs initiatives, comme le plan d’action sur la lutte contre la drogue et la prévention de la criminalité. La Cedeao, quant à elle, a renforcé la coopération de ses quinze Etats membres dans des secteurs cibles : stupéfiants, armes, traite des migrants (17). C’est cette organisation régionale qui devrait diriger la prochaine opération militaire dans le nord du Mali, si le Conseil de sécurité des Nations unies en donne l’autorisation.

Sortir des « stratégies réactives » constitue un impératif, selon l’économiste Mamadou Lamine Diallo (18) ; il faudrait aussi abandonner les visions purement sécuritaires, qui risquent de n’atteindre qu’une partie de l’objectif. Il s’agit de retrouver des formes de légitimité du pouvoir qui correspondent à la réalité des sociétés africaines, car les Etats s’effondrent également par manque d’ancrage dans la population.

« Vouloir agir à la place des Africains, alors qu’il s’agit de les accompagner, martèle M. Konaré, c’est prendre le risque de sortir d’une logique de chasse gardée, disons de chasse qu’on ne peut plus garder seul, pour aller vers une logique non moins condamnable et condamnée : celle d’une chasse partagée au profit de monopoles étrangers pour lesquels certains pays africains sont bons à développer, à être industrialisés et d’autres condamnés au rôle de simples marchés, de pourvoyeurs de matières premières (19). » Le renforcement des instances de régulation régionale serait sans doute le meilleur moyen de parvenir à une affirmation continentale. Il devrait s’appuyer sur les « communautés de base » qui, en mobilisant les ressources culturelles et la richesse des pratiques sociales, démontrent chaque jour leur capacité à résoudre les tensions dans de nombreuses zones tampons d’Afrique.
Anne-Cécile Robert

Comment le Sahel est devenu une poudrière, par Philippe Leymarie (Le Monde diplomatique, avril 2012)

Comment le Sahel est devenu une poudrière, par Philippe Leymarie (Le Monde diplomatique, avril 2012)

Une conséquence de la guerre en Libye

Comment le Sahel est devenu une poudrière

Le coup d’Etat militaire qui, le 22 mars, a renversé le régime « modèle » du président malien Amadou Toumani Touré a ajouté à la confusion régionale. Secouée par les nouvelles rébellions de mouvements touaregs, la bande saharo- sahélienne pâtit également de l’impunité des groupes armés se réclamant d’Al-Qaida au Maghreb islamique.
par Philippe Leymarie, avril 2012
« Incompétence... Incapacité à lutter contre la rébellion et les groupes terroristes dans le Nord... » : les jeunes officiers en tenue de camouflage qui se sont emparés du pouvoir le 22 mars à Bamako n’avaient pas de mots assez durs contre leur ancien chef, le président et ex-général Amadou Toumani Touré, longtemps présenté comme un « soldat de la démocratie ». En mars 1991, il avait participé au coup d’Etat contre le général Moussa Traoré et pris la tête du Comité de transition pour le salut du peuple. A l’issue d’une conférence nationale et d’élections, il avait remis le pouvoir aux civils. Entré en politique et devenu président en 2002, il devait terminer son second mandat avec l’élection de son successeur, le 20 avril.

Le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) a suspendu les institutions et mis fin au processus électoral, tout en assurant qu’il ne souhaitait pas « confisquer la démocratie », mais simplement « rétablir l’unité nationale et l’intégrité territoriale ». S’il se maintient, rien ne dit cependant que ce régime militaire, unanimement condamné, sera en mesure de retourner la situation à son profit dans un Nord en déshérence, aux confins de l’Algérie et du Niger.

Seule activité économique dans les zones les moins peuplées du Sahel, le tourisme est à l’arrêt. La région algéro-malienne de Taoudeni, l’Aïr nigérien, l’Adrar mauritanien sont désertés par les visiteurs étrangers (voir la carte). De plus, ces derniers mois, le retour de Libye de milliers de combattants — en majorité touaregs —, la prolifération d’armes et l’explosion des trafics de cocaïne ou de cigarettes ont achevé de propager une guerre larvée dans le sud de l’Algérie, dans le nord du Mali, dans le nord du Niger ainsi que dans une partie de la Mauritanie.

« Je n’aurais jamais imaginé qu’une poignée de fous furieux inspirés par les troubles des années 1990 en Algérie parviendraient à transformer la zone saharo-sahélienne en Far West, à apeurer les populations locales et à les réduire à la misère », déplore le voyagiste Maurice Freund, atterré « de voir aujourd’hui des gamins de 15 ans, armés de kalachnikovs, faire la loi à Gao ». Point-Afrique, l’une des agences proposant la découverte du Sahel, qu’il a fondée en 1996, a dû se retirer de la région après l’assassinat en 2007 de touristes français en Mauritanie et la prise en otage d’employés d’Areva dans le nord du Niger, en 2010.

La révolte des « hommes bleus » commence, le 17 janvier 2012, par une attaque sur Ménaka, dans le nord du Mali, suivie de plusieurs semaines d’actions victorieuses contre des garnisons de l’armée malienne, dont la prise de la base de Tessalit, le 11 mars. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), né en 2011, alignerait un bon millier de combattants, dont quatre cents ex-soldats de feu le président libyen Mouammar Kadhafi. Il s’est battu à partir de janvier 2012 en « partenariat » avec Ançar Dine (Défense de l’islam), lié à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui prétend aujourd’hui contrôler l’essentiel du nord-est du Mali.

Renouant avec les rébellions touarègues de 1963, 1990 ou 2006, le MNLA réclame l’indépendance des trois régions du Nord, Tombouctou, Gao et Kidal, soit plus de huit cent mille kilomètres carrés, et 65 % du territoire malien (une fois et demie la superficie de la France), mais seulement un dixième de la population du pays, estimée à quatorze millions de personnes et répartie entre treize « cercles » (regroupements de communes) (1).

« En 1957, déjà, les Touaregs avaient expliqué aux Français [les colonisateurs] qu’ils ne voulaient pas être intégrés à la république malienne, souligne M. Mahmoud Ag Aghaly, président du bureau politique du MNLA. Et, depuis trente ans, on discute avec le gouvernement, on signe des accords, mais sans effet (2). » Les indépendantistes estiment que le nord du Mali est complètement abandonné par l’Etat. Ce que reconnaissait M. Touré lui-même : « [Là-bas], il n’y a pas de routes, de centres de santé, d’écoles, de puits, de structures de base pour la vie quotidienne. En fait, il n’y a rien. Un jeune de cette région n’a aucune chance de se marier ou de réussir sa vie, sauf peut-être en volant une voiture pour rejoindre les contrebandiers (3) »

Un millier de soldats maliens, appuyés par un demi-millier de miliciens touaregs et arabes ralliés, avaient été dépêchés en renfort à Gao, Kidal et Ménaka. Mais ces troupes peu motivées — le taux de désertion est élevé, y compris parmi les officiers supérieurs — et parfois moins bien équipées que les rebelles ont essuyé une suite de revers. Même en temps de paix, la petite armée de Bamako n’a jamais été en état de contrôler les neuf cents kilomètres de frontière avec la Mauritanie, ou les mille deux cents kilomètres avec l’Algérie.

Même si cette nouvelle guerre risquait de gâcher la fin de son dernier mandat, M. Touré se montrait encore philosophe : « Cela fait cinquante ans que le problème du Nord existe. Nos aînés l’ont géré, nous le gérons, et nos cadets continueront à le gérer. Ce problème ne finira pas demain (4). » Selon lui, la bande saharo-sahélienne restait incontrôlable parce que les combattants, militants, trafiquants ou commerçants sillonnent une région grande comme l’Europe en se moquant des frontières.

Mis en place à Tamanrasset en 2010, le Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc) pâtit de l’absence de consensus entre les riverains du Sahara. En liaison étroite avec les instructeurs du commandement des opérations spéciales (COS) français, la Mauritanie prône le « tout sécuritaire » ; le Mali plaide pour un développement à long terme, seul à même de tarir les sources de recrutement des mouvements touaregs ou des katiba (unités combattantes) d’AQMI.

Pour Bamako, l’Algérie est à la fois la cause et le remède à l’insécurité liée au terrorisme. L’ancien Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), rebaptisé AQMI en 2007, est en effet issu à l’origine des Groupes islamistes armés (GIA) algériens, et seuls les services de renseignement et de sécurité de ce pays seraient à même de lui faire entendre raison. En outre, avec les 6 milliards d’euros de son budget de la défense (trente fois plus que celui du Mali), Alger aurait les moyens d’imposer sa loi dans les confins sahariens. Selon M. Touré, l’extrême nord du Mali, où seraient réfugiés les preneurs d’otages d’AQMI, est une excroissance algérienne de fait : « Gao, Tessalit et Kidal sont pour moi la dernière wilaya [préfecture] de votre pays. L’histoire de votre pays est liée à cette région (5). »

Risques de contagion

Alors que l’incendie dans le nord du Mali menace toute la région, la tendance à mélanger l’irrédentisme avec le terrorisme ou la criminalité contribue à brouiller les cartes (6). En outre, l’élimination en octobre du colonel Kadhafi, qui se prenait pour un roi du Sahara ou du Sahel (7), a ôté un adversaire à AQMI et lui a permis de reconstituer ses stocks d’armes. Pour le président du Niger, M. Mahamadou Issoufou, la rébellion touarègue serait ainsi un « dégât collatéral de la crise libyenne (8) ». De son côté, le MNLA — qui semble avoir rompu avec Ançar Dine — se défend de faire cause commune avec AQMI : « Les actes d’AQMI polluent notre territoire et ont perduré à cause des autorités à Bamako. Nous disons à la communauté internationale : “Donnez-nous l’indépendance et ce sera la fin d’AQMI au Mali (9). »

Le propos n’est pas sans écho en France, traditionnel parrain politique de la sous-région, qui reste dans le viseur d’AQMI pour les mêmes motifs qu’il y a deux ans : présence militaire en Afghanistan, diplomatie pro-israélienne, interdiction du port du voile intégral dans les lieux publics de l’Hexagone, mainmise sur l’uranium nigérien, attaques commandos pour tenter de libérer des otages détenus au Niger et au Mali…

A Bamako, les conseils paternalistes prodigués par le ministre des affaires étrangères français Alain Juppé — discuter avec toutes les parties, y compris le MNLA ; appliquer les anciens accords ; faire un effort de développement dans le Nord — étaient mal passés, venant d’un Etat qui a contribué à faire exploser en 2011 le chaudron libyen, et qui encourage maintenant les Etats de la région à « mieux s’organiser ». La promptitude à condamner le régime militaire mis en place le 22 mars ainsi que l’annonce de la suspension de la coopération risquent de ne pas être mieux comprises.

De leur côté, les Etats-Unis, pour lesquels le Sahara constitue un front de la « guerre contre le terrorisme », déploient leurs forces spéciales et leurs « grandes oreilles ». Ils souhaiteraient éliminer les chefs d’AQMI, mais ils butent sur le veto mis par Alger au survol de son territoire par les drones de la Central Intelligence Agency (CIA) ou de l’US Air Force, et sur la méfiance de l’ensemble des pays riverains du Sahara, qui craignent qu’une présence américaine trop voyante n’attise le feu, comme en Afghanistan.

La région est devenue une poudrière. Pour tous, le risque est celui de la contagion et de la balkanisation du Sahel. Des centaines de membres de la secte islamiste Boko Haram se seraient réfugiés au Niger et au Tchad (lire « Aux origines de la secte Boko Haram »). Les miliciens islamistes shebab, en Somalie, aux prises avec les armées kényane et éthiopienne, risquent d’essaimer vers le Sahel. Le Mouvement pour la justice et l’égalité de M. Gibril Ibrahim est tenté de reprendre les armes au Darfour. Dans le nord de la Centrafrique, le « général » Baba Laddé, à la tête d’un Front populaire pour le redressement, prétend renverser le président tchadien Idriss Déby Itno et appelle à une grande alliance entre Touaregs, AQMI, Sahraouis du Front Polisario, etc.

Pendant ce temps, l’Algérie, le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso ont vu arriver du Mali deux cent mille réfugiés fuyant les combats dans le Nord, tandis que le Programme alimentaire mondial estime que, dans le contexte actuel de sécheresse et de famine, cinq à sept millions d’habitants du Sahel auraient besoin d’une assistance immédiate.
Philippe Leymarie
Journaliste.
(1) Lire Robin Edward Poulton, « Vers la réintégration des Touaregs au Mali », Le Monde diplomatique, novembre 1996.
(2) Jeune Afrique, Paris, 21 février 2012.
(3) El Watan, Alger, 4 avril 2009.
(4) « Le débat africain », Radio France Internationale (RFI), 26 février 2012.
(5) El Watan, op. cit.
(6) Cf. Antonin Tisseron, dans « Géopolitique du Sahara », Hérodote, n° 142, Paris, troisième trimestre 2011.
(7) Kadhafi avait créé de toutes pièces à Tripoli en 1998 une Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), sorte d’Union africaine bis.
(8) Le Monde, 15 février 2012.
(9) Jeune Afrique, op. cit.

Voir aussi

En perspective

  • AperçuSauvetage du lac Tchad, un espoir de paix

    Romano Prodi, juillet 2014
    Au cœur du Sahel, le lac Tchad risque de disparaître.Une revitalisation devient d’autant plus indispensable qu’elle favoriserait la paix dans une région instable.
  • AperçuSauver le Sahel

    René Lenoir, novembre 1987
    La désertification de l’Afrique, au sud du Sahara, menace près de 200 millions d’hommes répartis sur une quinzaine de pays. Ceux de la ligne du front, sur 4 000 kilomètres : Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina, (...)
  • AperçuLes limites de la solidarité internationale

    Jacques Chevrier, février 1975
    A l’automne de 1972 les peuples des confins du Sahara, connus sous le nom de Sahel, subissaient par millions les conséquences catastrophiques de cinq années de sécheresse impitoyable. Malgré les secours (...)

« Timbuktu », une esthétique orientaliste au service de la politique française - Les blogs du Diplo

« Timbuktu », une esthétique orientaliste au service de la politique française - Les blogs du Diplo

« Timbuktu », une esthétique orientaliste au service de la politique française

mardi 24 février 2015, par Geneviève Sellier

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© Le Pacte
Dans un article dithyrambique (Le Monde du 22-23 février 2015), Franck Nouchi célèbre Timbuktu, « ce magnifique réquisitoire contre l’intégrisme et l’obscurantisme » et suggère une relation de cause à effet entre « la tuerie de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes » et les sept Césars obtenus par le film. Lors de la cérémonie, « Abderrahmane Sissako a rendu un hommage vibrant à la France, “ce pays magnifique, capable de se dresser contre l’horreur” ». Rarement le contexte de production et de réception d’un film aura autant pesé sur les lectures qu’on en propose.

Voir le dossier du Monde diplomatique, « Attentats de Paris, l’onde de choc ». Si l’on tente de prendre un peu de distance par rapport à ce contexte, que comprend-on, quand on est un spectateur français lambda, en regardant ce film d’un réalisateur mauritanien [1], produit par la France, dont le titre est le nom d’une ville du Mali qui fut récemment le lieu d’un affrontement entre l’armée française et des rebelles maliens plus ou moins associés au terrorisme islamiste qui sévit dans la région ?

Pas grand chose à vrai dire : on admire des images magnifiques d’une région semi-désertique de la savane subsaharienne, traversée par un fleuve, des rues étroites d’une localité traditionnelle construite en terre, mais on n’en saisit pas la topographie, encore moins l’organisation sociale. Des hommes armés de fusils mitrailleurs, habillés d’uniformes beiges peu identifiables (certains portent un gilet noir où est écrit « police islamique »), parlant des langues différentes, dont le français, l’arabe, l’anglais et, pour certains, les langues locales, sillonnent à moto, en 4 x 4 ou en pick-up des rues étroites bordées de maisons traditionnelles, ou la campagne semi désertique alentour ; ils terrorisent la population sous prétexte de faire appliquer la charia, en interdisant aux habitants la musique, le football, en obligeant les femmes à porter gants, chaussettes et voile intégral. Les personnages identifiables sont un éleveur qui vit sous la tente avec sa femme et sa fille, et fait garder son troupeau par un jeune garçon dont on comprend qu’il n’a pas de famille (on ne les voit jamais travailler, ni lui ni sa femme) ; un pêcheur qui pose ses filets au bord du fleuve et abattra avec sa lance une des vaches venue boire trop près ; à la suite de quoi l’éleveur vient se battre avec le pêcheur qu’il finit par tuer d’un coup de pistolet. Cette séquence est particulièrement incohérente : l’éleveur, qu’on nous a d’abord montré comme un homme pacifique vivant sous sa tente avec sa femme et sa fille qu’il aime et qu’il respecte, se précipite sur le pêcheur qu’il finit par tuer avec son pistolet, comme s’il n’existait aucune loi ni aucune capacité de résolution des conflits dans cette société traditionnelle.

L’esthétisme de la mise en scène est particulièrement choquant à ce moment-là : après le meurtre, un zoom arrière nous montre le meurtrier traversant la rivière alors que le soleil se couche, dans un paysage apparemment apaisé… Alors qu’il retourne à sa tente, des djihadistes viennent l’arrêter et organisent son procès où il est condamné à donner quarante vaches à la famille du pêcheur ; bizarrement, il est également condamné à mort et fait un long discours sur la douleur qu’il a de laisser sa fille sans protection ; il est finalement amené dans une sorte de terrain vague entouré de briques, parcouru par un troupeau de chameaux, où les villageois sont réunis ; sa femme, tenue dans l’ignorance du sort de son mari, est amenée sur les lieux de l’exécution par un mystérieux motocycliste en tenue colorée ; au moment où le couple est réuni, il tombe sous les balles des djihadistes qui poursuivent ensuite le motocycliste en pick-up et en moto ; le film se termine sur des plans alternés de la fillette, du jeune garçon, de l’homme en tenue colorée et d’une gazelle, qui courent à travers les dunes de sable.

En nombre, des personnages plus ou moins identifiables ponctuent le récit de manière épisodique, en particulier une sorte de prêtresse vaudou (elle fait allusion au tremblement de terre en Haïti) en costume bariolé et armée d’un coq, qui se promène dans les rues en invectivant les djihadistes, sans être inquiétée. Le summum de la confusion pour le spectateur est atteint quant on voit un des djihadistes se mettre à danser – en cachette – à côté d’elle, dans une chorégraphie de type occidental moderne ; beaucoup de séquences sont accompagnées d’une bande-son musicale de style occidental classique que rien ne justifie, ce qui est pour le moins incohérent dans un film qui se passe dans une localité traditionnelle subsaharienne, et dans une histoire où la musique est interdite. Quand, dans un intérieur, quelques jeunes gens, garçons et filles, chantent en s’accompagnant d’instruments à corde traditionnels, des soldats font irruption pour les arrêter ; l’une des filles sera fouettée en place publique. Une autre séquence, dont on n’identifie pas quel rapport elle a avec la précédente, nous fait assister à la lapidation par les soldats d’un homme et une femme enterrés dans le sable jusqu’au cou.

La logique qui organise le montage des séquences est largement incompréhensible ; tous les personnages parlent et agissent avec une lenteur qui semble destinée à nous faire apprécier la beauté des couleurs, des cadrages, des acteurs qui incarnent les villageois (noirs de peau). En revanche, les acteurs qui incarnent les soldats (et qui ont un type physique « arabe » et la peau claire) semblent choisis pour leur laideur… L’imam de la mosquée, un homme âgé habillé de blanc, assis en tailleur, incarne la sagesse de l’islam, face à la volonté prédatrice des djihadistes (il tente de leur expliquer, sans succès, que le mariage forcé d’une jeune fille du village avec un des leurs est contraire à la coutume et à l’islam).

D’un côté des « indigènes » idéalisés qui se livrent à diverses occupations simples et pittoresques — à quoi se réduit pour un Occidental l’Afrique éternelle (la pêche et l’élevage) —, de l’autre des djihadistes apatrides à moto (on pense aux anges de la mort du film de Cocteau, Orphée), surgis de nulle part pour faire régner la terreur. Mis à part les téléphones portables, l’économie occidentale mondialisée ne semble avoir aucunement pénétré ces lieux, dont on nous laisse entendre que leurs habitants vivaient tranquillement de l’élevage et de la pêche, tout en faisant de la musique et en jouant au football, avant l’irruption de ces prédateurs. Certains plans font penser à la peinture orientaliste du XIXe siècle pratiquée par Ingres, Delacroix, Gérome ou Chasseriau. Que les milieux français du cinéma et de la cinéphilie aient plébiscité cette esthétisation à outrance de la situation du Mali contemporain en dit beaucoup sur nos œillères, mais très peu sur ce pays africain qui souffre à la fois des frontières léguées par la colonisation, de la corruption de ses élites politiques et militaires, de la mondialisation économique et des effets de la guerre civile libyenne [2].

Non seulement on ne voit rien des contradictions de la société malienne, en particulier de la rébellion touarègue et de la sécession du Nord, des tensions entre différents groupes ethniques sur lesquelles se sont appuyés les djihadistes, mais on est conforté dans une vision sarkozyste (et hollandienne ?) de « l’homme africain pas assez entré dans l’Histoire », avec ces indigènes sans défense victimes de prédateurs apatrides. Tout ce qu’on peut leur souhaiter, c’est l’intervention d’une armée moderne capable de mettre en déroute ces pirates du désert, celle de la France bien sûr… CQFD.

Les milieux du cinéma américain semblent moins sensibles que nous au charme de ce film, puisque l’Académie des Oscars lui a préféré le film polonais Ida.

Notes

[1] Nicolas Beau, le 20 février 2015 sur Mondafrique, décrit Sissako comme « le BHL des dunes ».

[2] Lire, par exemple, Philippe Leymarie, « Comment le Sahel est devenu une poudrière », Le Monde diplomatique, avril 2012

mardi 24 février 2015

Déclaration d’Alger : Un autre coup fourré du MNLA et de ses soutiens français

Déclaration d’Alger : Un autre coup fourré du MNLA et de ses soutiens français

Les choses sont allées si vite à Alger le jeudi passé, qu’elles n’ont laissé le choix à personne d’en déchiffrer le flou artistique, sciemment orchestré qui l’entourait. Pourtant le MNLA et ses alliés rament toujours au sens contraire de la voie pour la Paix.

Les combats auraient opposé le MNLA au Mujao
Des combattants touaregs du MNLA dans le nord du Mali.
(source archives)
Même si la signature d’un quelconque accord (même parcellaire) reste l’aspiration de tous, avec le MNLA et ses alliés djihadistes, du MAA (branche séparatiste) et du HCUA, versus d’Ançar Dine, d’AQMI et leur parrain français et de la Communauté dite internationale, il faut prendre tout compromis avec beaucoup de réserve, car il y a toujours un piège qui ne dit jamais son nom. Et, l’histoire semble nous donner raison. Car, la réunion d’Alger intervient dans un contexte assez tendu. C’est à la suite des déboires du MNLA et ses alliées face aux nationalistes du GATIA à Tabankort. Et après l’échec de la tentative de la MINUSMA à créer une zone tampon, une sorte de ligne imaginaire entre Tabankort et Anefis, faisant office de frontière à l’intérieur de notre pays, au profit du MNLA. Ce jeu trouble de la MINUSMA est intervenu après la cuisante défaite infligée aux troupes séparatistes par les forces patriotiques du GATIA à Tabankort. A cette occasion, les forces Onusiennes s’étaient entendues en catimini avec le MNLA et ses alliés à l’insu du gouvernement du Mali, à travers un accord d’établissement d’une ligne tampon entre Tabankort et Anéfis, dite « Zone temporaire de sécurité (ZTS) ».

Cet accord, était naturellement un autre piège des séparatistes et leurs conseillers militaires, ayant pris la MINUSMA dans le tourbillon. Mais très vite, les jeunes de Gao ont vu le danger venir. Ils se sont levés pour faire échec à cette tentative en manifestant devant le camp de la MINUSMA. Malheureusement la manif a tourné en drame. Trois personnes y ont laissé la vie et plusieurs sortis blessés graves. Certes, elle a fait des victimes, mais a permis aux forces onusiennes de prendre conscience de la détermination des Maliens à faire échec à toute tentative de division.

Un mini-accord qui enchante le MNLA !

L’engagement ferme des Maliens à préserver l’unité et l’unicité de leur pays ne pouvait laisser indifférent les parrains du MNLA (la France et la Communauté internationale). Aussi, devraient-ils réagir en volant au secours de leurs poulains pour limiter l’humiliation qui leur ont été infligée par le mouvement patriotique GATIA. C’est dans cette atmosphère très tendue, qu’une réunion d’urgence est convoquée à Alger à la surprise générale. Officiellement, c’était pour reprendre le dialogue inter maliens. Mais, au regard de l’évolution de la situation, tout porte à croire que ce 5ème round de discussions était plutôt convoquée pour arracher du gouvernement Malien une signature destinée à faire gagner au MNLA et ses complices du temps nécessaire leur permettant de se repositionner sur le terrain en attendant les meilleurs moments pour reprendre les hostilités. Car depuis la signature de l’Accord de Ouagadougou, le MNLA entretient un climat de mi-guerre, mi-paix dans les trois régions de notre septentrion. Suivra le cessez le feu, signé sous l’égide du président mauritanien Mohamed Abdoul Aziz. Lequel exigeait aux groupes armés à ne pas dépasser les limites de la région de Kidal. Depuis lors les combattants du MNLA, en violation flagrante de cet accord n’ont fait que repousser leurs positions originelles.

Ces derniers, temps ils ont transporté le combat dans les régions de Mopti et de Ségou. Ce nouveau front est animé par de nouveaux combattants localement enrôlés. Le subterfuge est si rodé qu’on a tendance à isoler ces combattants en les assimilant à des combattants djihadistes. Or, qu’il s’agit bien des combattants (du sud du Mali) manipulés, ignorant qu’ils défendent les séparatistes sous le couvert de l’islamisme. Histoire de tromper la vigilance des militaires maliens. Selon des sources militaires, nos hommes étaient habitués à combattre des djihadistes enturbannés à la peau claire. Même, au plus fort moment de la rébellion de 2012, ils faisaient plutôt face à des combattants touaregs du MNLA et ses alliés d’Ançar Dine et d’AQMI, que des noirs locaux, originaires de ces villes ou villages.

Selon nos sources, les ‘’Katibas’’ qui y opèrent obéissent aux ordres d’Iyad Ag Ghali, via des réseaux islamistes. Or, nul n’ignore que l’ambition profonde de cet homme est plus territoriale qu’islamique. Il a juste besoin d’un territoire pour mener ses opérations de commerce illicite dans cette large bande. Il faut rappeler qu’après la rébellion de 1990, le président Alpha Oumar Konaré avait réussi à calmer son instinct guerrier à coup d’argent. Officiellement conseiller spécial à la Présidence de la République, l’officier ne sortait même pas de sa maison à l’Hippodrome, où il menait une vie de pacha, comme un sultan arabe dans son harem. Selon nos sources, la grande villa aurait servi au ravissement de toute sorte de vices. L’argent et l’alcool couleraient à flot. Le patriarche du Mouvement patriotique de libération de l’azawad (MPLA), qui devient plus tard Mouvement populaire de l’azawad (MPA) et actuellement d’Ançar Dine, se tournait et retournait dans sa villa entouré de ses principaux lieutenants, dont le colonel Hassane Fagaga de la Garde nationale. Les choses sont restées ainsi, jusqu’en 2002 avec l’arrivée d’ATT à Koulouba.

Le rebelle, Iyad Ag Ghali, toujours rebelle

L’histoire retient que c’est cet ancien officier général de l’Armé malienne, alors président de la Transition, qui avait fait la paix avec l’ancien leader du MPLA et MPA, à travers le Pacte national. Le document historique a été signé en avril 1992 dans la salle Bazoumana Cissoko du Palais de la culture de Badalabougou par un certain Zahabi Ould Sidi Mohamed, en sa qualité de membre du Front islamique arabe de l’azawad (FIAA) et porte-parole de la coordination des Mouvements et fronts unifiés de l’azawad (MFUA) et le colonel Bourama Siré Traoré, alors ministre de l’Intérieur. Mais, ATT aurait trouvé qu’Alpha en faisait un peu trop pour cet homme, qui n’a pas plus de mérite que les autres fils de la Nation. Ainsi, aurait-il décidé d’en finir avec ce qu’il qualifiait de chantage. Il aurait exigé au rebelle, Iyad Ag Ghali le travail pour mériter son salaire. Il aurait revu à la baisse l’immense gratification que son prédécesseur AOK lui avait accordée. Voyant l’étau se resserré autour de lui, il a choisi la fuite que le travail bien fait pour mériter de son salaire. Mais, avant de partir, il s’est arrangé à se faire précédé par ses principaux lieutenants. Ainsi, le colonel Hassan Fagaga s’échappe à l’anglaise pour des raisons légères. Sa fuite a coûté le fauteuil de poste de Chef d’Etat major de la Garde nationale au Général Mamadou Adama Diallo, alors colonel. Celui-ci a été remplacé à ce poste par le général Broulaye Koné, alors colonel lui aussi. Mais, le changement de tête n’aura rien servi. Puisqu’Iyad avait déjà son plan de combat. Après avoir organisé la fuite de ses éléments, il se retire en dernier ressort. Selon nos sources, il y a eu des tentatives pour l’en empêcher, mais c’était peine perdue. Le stratège a réussi à passer entre les filets des services de renseignement déployés pour le pêcher à la sortie de Bamako.

Aussitôt arrivé à Kidal par des chemins tortueux, il organise l’attaque des deux camps militaires et celui de la Garde nationale, qui a tourné à son avantage. Très vite, il réussit à s’emparer des camps militaires, excepté celui des gardes, qui était logé dans une forteresse au milieu de la ville de Kidal. Il faut rappeler qu’il y disposait déjà des forces pré positionnées sur le terrain, qui avaient l’avantage de mailler la zone avec la bénédiction du Pouvoir Politique. La bande de Bahanga, cet ancien caporal de l’armée malienne, avait investi la zone d’Abeibara et Tenin Sako, avec ses hommes. Lors des élections municipales de juillet 1999, Bahanga et ses hommes ont enlevés un officier de la garde national et ses hommes (l’adjoint au commandant de l’Unité Méhariste d’Abéïbara). C’était au cours d’une mission de sécurisation des opérations électorales. Son chef, le commandant de l’Unité, un certain colonel Elisé Daou, alors lieutenant, avait préparé la contre attaque contre Bahanga et ses hommes pour libérer ses éléments. Alors qu’il était à un doigt de cueillir Bahanga et ses hommes, il reçoit l’ordre de replier par sa hiérarchie à la demande de l’autorité politique de Bamako.

Depuis, c’est l’instabilité dans les trois régions et la bande sahélienne ainsi que dans les régions de Ségou et Mopti. Il est donc évident que tant qu’Iyad Ag Ghali reste en liberté, il n’y aura jamais de paix dans cette partie de notre territoire. Les français le savent pertinemment autant que l’ONU. Mais, pourquoi refusent-ils d’agir ? La réponse est aussi compliquée que la question. Car, Iyad Ag Ghali est un excellent stratège militaire, de surcroit très futé et un habile manipulateur. Il détient alors des informations ultra secrètes sur les agissements des français dans cette zone, ce qui fait de lui un allié de fortune. Maintenant, la question est de savoir, si les français n’ont pas signé un deal avec lui dans le dos du Mali ? Car, il est aussi le point focal des Saoudiens et des Qataries qui financent le jihadisme.

Mohamed A. Diakité

lundi 23 février 2015

Malijet « Timbuktu », le film d’Abderrahmane Sissako, loin de la réalité...Pas de trace du MNLA dans le film Mali Bamako

Malijet « Timbuktu », le film d’Abderrahmane Sissako, loin de la réalité...Pas de trace du MNLA dans le film Mali Bamako

« Timbuktu », le film d’Abderrahmane Sissako, loin de la réalité | Rues d’Afriques | Rue89 Les blogs

« Timbuktu », le film d’Abderrahmane Sissako, loin de la réalité | Rues d’Afriques | Rue89 Les blogs

Publié le 22/12/2014 à 16h14
Un déluge d’éloges a accueilli la sortie en salles de « Timbuktu », le 10 décembre. Gros consensus, donc, autour du propos « universel » revendiqué dans sa dernière œuvre par le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako.

Bande-annonce de « Timbuktu » d’Abderrahmane Sissako, sortie le 10 décembre 2014
Aussi éblouissant que soit le film, on reste gêné aux entournures après l’avoir vu. Cette oeuvre de fiction assume certes une grande liberté dans son langage poétique et son usage de la métaphore.

Le problème, c’est qu’elle entend dénoncer une réalité sur laquelle elle s’est largement basée, au stade de l’écriture du scénario, et dont elle a été très proche dans son tournage, sur le plan géographique et chronologique.

Le film a été réalisé courant 2013, en pleine opération militaire étrangère au nord du Mali, dans la ville de Oualata, près de la frontière malienne. En grand secret, dans le désert de Mauritanie, pour ne pas attirer les terroristes d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), et sous protection de l’armée mauritanienne.

Le peuple touareg idéalisé

Au moins trois grandes questions sont posées par cette fiction. La première commence avec son affiche : une belle enfant sourit entre ses parents heureux, sous une tente, au pied d’une dune.

Tout au long du film, cette famille nucléaire (père-mère-enfant), hautement improbable dans le Sahel, renvoie une image de carte postale du peuple touareg. Comme pour mieux coller à ce fantasme très répandu en France, où l’homme bleu, épris de grands espaces et de liberté, en dépit de ses contradictions et complexités, ne peut être qu’un « gentil ». Un ami.

L’ethnologue français Paul Pandolfi, directeur de la Maison des sciences humaines de Montpellier, avance cette explication sur la « construction du mythe touareg » :

« Le stéréotype touareg s’est construit dans le cadre d’une relation triangulaire. La schématique opposition Nous/Eux est insuffisante pour en rendre compte car le second terme n’est jamais unique ni homogène [il y a des Touaregs blancs et des Touaregs noirs, NDLR].

La figure du Touareg ne peut se comprendre sans référence à ces seconds autres (souvent dévalorisés) que sont les populations dites “arabes” ou “noires”. Le stéréotype s’appuie sur deux discours préexistants : la vulgate coloniale avec ses divers couples antinomiques (Arabes/Berbères, nomades/sédentaires, dominants/dominés), mais aussi le discours qui depuis le XVIIIe siècle valorise le bédouin nomade à partir de l’exemple moyen-oriental. »
La figure du « bon » Touareg est l’une de ces projections dont l’inconscient collectif français a le secret, et que les Maliens regrettent amèrement. Beaucoup d’entre eux ont dénoncé pendant et après l’opération Serval une collusion qui leur paraît plus que contre-nature entre l’armée française et les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA)...

Pas de trace du MNLA dans le film

Plus grave, aucune allusion n’est faite dans « Timbuktu » à cette rébellion touarègue, qui a mis le feu aux poudres en janvier 2012, avec le massacre de plus de 70 militaires maliens, égorgés ou tués d’une balle dans la nuque dans leur caserne d’Aguelhok. Massacre suivi par une conquête fulgurante, en mars, des trois régions administratives du nord du Mali (Tombouctou, Gao et Kidal).

Pas de traces non plus de l’association qui s’est faite entre le MNLA et les islamistes d’Aqmi pour faire cette conquête. Zéro mention du mouvement armé islamiste et touareg Ansar Dine, mené depuis mars 2012 par Iyad Ag Ghali, ancien chef de la rébellion touarègue de 1990, qui n’a pas réussi à prendre le contrôle des laïcs du MNLA.

Cet homme s’est opportunément reconverti dans le salafisme, et sert de passerelle entre le gros business d’Aqmi (rançons des otages et passage de la cocaïne latino-américaine vers l’Algérie) et les chefs touaregs de Kidal, aux alliances changeantes et aux stratégies à géométrie variable.

Toutes ces données, trop peut-être pour un seul film, sont gommées du tableau cinématographique esquissé par « Timbuktu ». Le long métrage n’a pas encore été projeté au Mali, au regret des principaux concernés, impatients de le voir.

Et, comme le relève le site Maliactu, sous la plume de son correspondant à Paris, il n’est pas question non plus dans le film des destructions du patrimoine de Tombouctou, manuscrits brûlés et mausolées détruits. Le viol des jeunes filles et des femmes n’est que suggéré, dans une production qui oublie aussi le trafic de drogue auquel participent activement les islamistes d’Aqmi. Pas de mains ou de pieds coupés dans cette fiction qui ne voulait pas forcer le trait côté violences, mais reste du coup en deçà des faits.

Abdelkrim, un chic type ?

Le troisième problème découle directement des deux premiers : Abdelkrim. Le choix de ce prénom n’est pas anodin pour l’un des personnages principaux de « Timbuktu », incarné par l’acteur français Abel Jafri.

Sous ses traits, Abdelkrim apparaît comme un type sympathique. Ce chef islamiste veille à ce qu’on donne ses médicaments à un otage occidental, sort sans moufter d’une mosquée où il est entré avec ses Pataugas et sa Kalachnikov, quand l’imam le lui demande... Il se cache derrière une dune pour fumer et se détourne d’une scène de femme fouettée en public, punie pour avoir chanté. Trop de violence pour lui !

Dans la vraie vie, Abdelkrim Taleb, alias Abdelkrim al Targui (« le Touareg »), fait peur. Ce sont les surnoms de Hamada Ag Hama, neveu de Iyad Ag Ghali et seul émir malien d’Aqmi. Toutes les autres katibas (phalanges) du groupe terroriste sont dirigées par d’anciens salafistes algériens. Or, Abdelkrim est dépeint dans le film comme un étranger qui parle arabe, comme tous les autres chefs d’Aqmi...

Ce criminel très dangereux est soupçonné d’avoir fait abattre un douanier algérien, retenu en otage après une embuscade qui a coûté la vie à 11 policiers algériens en 2010. Il aurait exécuté d’une balle dans la tête, de sa propre main, les otages français Michel Germaneau en 2010 et Philippe Verdon en mars 2013. Il serait aussi derrière l’enlèvement puis le double meurtre des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 2 novembre 2013.

C’est encore lui qui aurait fait libérer le dernier otage français détenu dans le nord du Mali, Serge Lazarevic, le 9 décembre, en échange de la libération de quatre de ses hommes emprisonnés à Bamako.

Rapport vache entre un éleveur touareg et un pêcheur noir 

Enfin, une partie du film tourne autour d’un imbroglio concernant une vache appartenant à un gentil éleveur touareg. L’animal va s’empêtrer dans les filets d’un pêcheur noir plutôt énervé, sur les rives du fleuve Niger.


Capture d’écran du film « Timbuktu (2014) d »Abderrahmane Sissako (Le Pacte)
Symbole du ressentiment accumulé au fil des rébellions touarègues, exactions et répressions successives, entre les minorités touarègues nomades et la majorité noire, songhaï, peule et bozo, sédentarisée, qui vit au nord du Mali ? On a beau manier la métaphore dans tous les sens, on ne voit pas bien où ce conflit éleveur-pêcheur veut en venir... Est-ce la méfiance dans les rapports des populations du nord du Mali qui a fait le lit des islamistes ? Mystère.

Seule certitude : le cœur du film est tiré d’une histoire vraie. Une exécution d’un éleveur touareg qu’avait relatée en novembre 2012 le journaliste mauritanien Lemine Ould Salem dans un reportage pour Libération. Le contexte était un peu différent : l’éleveur faisait lui-même partie du groupe Ansar Dine... La blogueuse Faty, une Malienne de Tombouctou, affirme ceci :

« Ce Touareg qui a été la seule personne exécutée par Ansar Dine à Tombouctou était un membre du mouvement, il n’était pas un habitant de la région et c’était une personne qui persécutait la population des villages des alentours de Tombouctou. Son acte était prémédité et il a déclaré au pêcheur qui refusait d’exécuter ses ordres qu’il était venu spécialement pour lui avant de le tuer froidement de plusieurs coups de fusil. »
Voilà aussi ce que ressent Faty, citoyenne irritée par les nombreuses inexactitudes qu’elle relève déjà, via la grosse couverture presse accordée au film qu’elle n’a pas vu :

« Il illustre parfaitement le hold-up dont nous faisons l’objet au nord du Mali : les Touaregs se révoltent, invitent tous les bandits du Sahara sur nos terres, des cheiks du Qatar prennent leur pied en regardant des obscurantistes torturer d’innocentes populations, fouetter des femmes, en enlever pour des viols collectifs, détruire des mausolées millénaires (...), et ce sont eux qui deviennent les victimes de l’oppression, du racisme. »

Un « conte pour Occidentaux » ? 

On reste perplexe, face au contenu de cette œuvre accomplie sur le plan esthétique. Soit on s’est fait prendre pour un gogo suffisamment mal informé pour gober une partie très tronquée de la réalité. Même en restant positif, très difficile de retenir l’essentiel : la dénonciation, toute en poésie et petites touches ironiques, de ces barbus si humains, incroyablement humains. Et même « fragiles » selon le réalisateur, qui ne risque pas de voir Aqmi lancer une fatwa contre lui.

Soit on n’a rien compris au film, pourtant assez didactique et bourré de bonnes intentions. « Timbuktu » aide notamment le spectateur moyen à bien faire la différence entre l’islam normal, religion de tolérance, et l’islam dévoyé, religion manipulée par des radicaux (qui peuvent quand même péter un câble et se mettre à danser façon Maurice Béjart, dans le film, sur fond de lapidation).

Cette fable est-elle un « conte pour Occidentaux » ? C’est la très bonne question que pose dans ce lien vidéo l’anthropologue André Bourgeot, spécialiste du Mali au CNRS. L’expert français critique l’accumulation de « poncifs » dans Timbuktu et souligne une « approche manichéenne qui présente les djihadistes sous un jour qui n’est pas particulièrement néfaste ni barbare ». Son explication :

« Il y a trois mythes dans ce film : le mythe du désert, celui du nomadisme identifié à la liberté et le mythe touareg. Ca ne peut que toucher la sensibilité des Occidentaux : ce sont des clichés que l’on a complètement intériorisés et le film nous confirme leur bien-fondé. De facto, il nous empêche de réfléchir aux réalités. »
Bref, on se prend les pieds dans le tapis de « Timbuktu ». Bien joli, peut-être, du point de vue du public auquel il est destiné (180 000 entrées en France la première semaine d’exploitation, sixième film au box office). Mais très loin de la situation nettement plus compliquée qui prévaut toujours à Tombouctou et au nord du Mali.