Union des terroristes et des trafiquants dans le désert africain
2012-02-24
Les Etats d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique du Nord ont émis depuis des années des mises en garde contre le partenariat criminel établi entre AQMI et les gangs de la drogue. Cette semaine, le président de l'ONU a confirmé leurs craintes.
Les Etats d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique du Nord ont émis depuis des années des mises en garde contre le partenariat criminel établi entre AQMI et les gangs de la drogue. Cette semaine, le président de l'ONU a confirmé leurs craintes.
Par Raby Ould Idoumou pour Magharebia à Nouakchott – 24/02/12
Dans le sillage de la crise libyenne, Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) a "commencé à former des alliances avec les trafiquants de drogue et autres syndicats criminels", a déclaré, mardi 21 février, le secrétaire-général de l'ONU Ban Ki-moon au Conseil de Sécurité des Nations-Unies.
Ce discours n'apprend rien de nouveau aux agents de la sécurité ni aux chefs d'états africains. Bien avant la révolution qui avait renversé Mouammar Kadhafi, ils avaient déjà constaté les conséquences des liens qui existent entre trafics de drogue et terrorisme.
"De telles alliances pourraient éventuellement déstabiliser davantage la région et défaire les accomplissements durement gagnés en termse de démocratie et d'établissement de la paix", a indiqué Ban au groupe constitué de 15 nations, lors d'une session consacrée à la lutte menée par l'Afrique de l'Ouest et le Sahel contre le
crime transnational, le trafic de drogue, la piraterie et le terrorisme.
"Nous avons constaté l'existence de ce mélange toxique dans d'autres régions d'Afrique", a-t-il dit. "Dans la mesure où l'Afrique de l'Ouest reste un point de transit pour les trafiquants de drogue entre l'Amérique du Sud et l'Europe, le potentiel d'instabilité ne fera qu'augmenter".
Ban a poursuivi : "Les avertissements sont là, les tendances sont claires".
La preuve la plus récente de ce phénomène a été apportée le 2 février, par l'accusation de dix accusés traduits en justice, sous des mesures de sécurité renforcées, dans la capitale économique mauritanienne de Nouadhibou pour y répondre de possession de deux tonnes de stupéfiants.
Des sources proches des services de sécurité ont indiqué à Magharebia que les drogues serviraient au financement financement des opérations d'AQMI.
Ce n'est pas seulement le cas en Mauritanie.
Un vaste réseau marocain de trafic de drogue, démantelé l'année passée, était lié à la fois aux cartels colombiens de la drogue et à Al Qaida au Maghreb Islamique. Selon le gouvernement marocain, Al Qaida fournissait un lien logistique et assurait le transport de dizaines de trafiquants de cocaïne appartenant à cette cellule.
"Les djihadistes en Afrique du Nord considèrent que le trafic de drogue doit être interdit, et pourtant rien n'empêche AQMI de profiter des nouveaux itinéraires africains de la cocaïne pour diversifier ses sources de financement", a récemment écrit Thierry Oberlé dans le journal français Le Figaro.
Les liens secrets entre Al-Qaida et les stupéfiants sont apparus pour la première fois en novembre 2009 lors de la découverte d'un avion incendié de type Boeing 727 dans une zone reculée du nord-est du Mali. L'avion transportait de la cocaïne et d'autres contrebandes en provenance du Vénézuéla.
S'exprimant peu après la découverte de l'avion dans le Sahara, l'ancien directeur de l'Office contre la drogue et le crime des Nations unies (UNODC) Antonio Maria Costa avait déclaré au Conseil de Sécurité que les deux courants de drogues illicites - l'héroïne en Afrique orientale et la cocaïne en Afrique de l'Ouest - se rencontraient dans le Sahara, créant de nouvelles voies de trafic à travers le Tchad, le Niger et le Mali.
"Les stupéfiants n'enrichissent pas seulement le crime organisé... les terroristes et les forces anti-gouvernementales dans le Sahel tirent leurs ressources du commerce de la drogue, finançant leurs opérations, achetant du matériel et payant des fantassins", avait ajouté le responsable onusien. "Les conséquences sur les pays avoisinants sont inévitables."
Jusqu'à 60 tonnes de cocaïne à destination de l'Europe sont chaque année acheminées à travers l'Afrique de l'Ouest, a fait savoir l''Office contre la Drogue de l'ONU.
Selon Lies Boukraa, directeur du Centre africain d'Etudes et de Recherches sur le Terrorisme (CAERT) , "le Sahel fait partie des parcours les plus favorisés par les trafiquants".
Même écho chez les officiels gouvernementaux. "L'un des corridors préférés pour le passage de la cocaïne est un corridor situé à l'extrémité de notre frontière avec le Mali et le Niger, qui s'étend sur plus de 1 000 km dans la région du Sahel", a indiqué le ministre algérien de l'Intérieur Dahou Ould Kablia lors d'un sommet organisé en mai dernier à Paris et consacré à la crise du trafic de drogue transatlantique.
L'argent généré par les trafics illégaux a permis aux groupes terroristes de renforcer leur présence dans la région, d'améliorer leurs capacités militaires et d'étendre leurs activités, a déclaré Ould Kablia aux ministres du G-8 au cours de cette conférence, dans la capitale française.
D'autres évènements dans le Maghreb ont démontré qu'un lien existe entre AQMI et le trafic de drogue. En 2010, l'armée mauritanienne avait intercepté une cargaison de drogue gardée par des militants salafistes. Les trafiquants, des ressortissants mauritaniens, maliens et algériens, charriaient, selon des informations, 9.5 tonnes de haschisch fabriqué en Inde ainsi que des armes et des munitions lorsqu'ils avaient été arrêtés à Lemzarrab, à proximité de la frontière malienne. Plusieurs trafiquants avaient été tués lors de l'arrestation.
Abdelmalek Sayeh, directeur de l'Office National algérien de lutte contre les drogues et la Toxicomanie, confirme que des groupes terroristes obtiennent des armes par le biais du trafic de drogue. Les trafiquants, transportant des cargaisons allant du cannabis à la cocaïne, sont recrutés par les groupes terroristes pour transporter des armes.
"AQMI entretient des liens étroits avec les gangs de trafic de drogue brésiliens, colombiens et mexicains", affirme Sayeh. "L'argent collecté auprès de ces gangs est investi dans l'achat d'armes qui aident à renforcer AQMI".
"Les trafiquants de drogue transportent de la cocaïne sous protection des groupes armés. De la valeur totale de la marchandise, estimée à 1.6 milliards d'euros, on a évalué les revenus des groupes armés à plus de 310 millions d'euros," indique le responsable algérien de lutte contre la toxicomanie.
Mais la dépendance d'AQMI par rapport au trafic de drogue n'est pas une nouveauté.
Il y a des années, AQMI avait commencé à suivre les pas de la branche d'Al Qaida en Irak en ce qui concerne la propagande internet et le renforcement des relations avec les trafiquants de drogue, envisagé comme nouvelle source de financement.
Al-Qaida en Irak dépend maintenant de l'argent de la drogue.
"Les drogues sont devenues une source de financement pour l'organisation la plus dangereuse en Irak – al-Qaida – qui utilise les stupéfiants pour financer ses opérations et acheter des armes", écrit Muhammad Abu Hussein sur le site Mi62.net, basé à Bagdad, le 2 février.
"Les motivations religieuses du groupe, qui apparemment n'existent pas par rapport à cette source [les profits liés à la drogue] ne l'ont pas empêché d'utiliser ces profits", écrit l'auteur irakien.
L'organisation parente d'Al Qaida est également engagée dans un partenariat avec les trafiquants de drogue. Au mois de septembre 2009, deux terroristes kowéitiens issus d'Al Qaida avaient reconnu que leurs leaders faisaient du trafic de drogues venues d'Afghanistan.
Les deux terroristes ont révélé comment les éléments d'Al Qaida en Afghanistan, non seulement cultivaient et vendaient de l'opium, mais abusaient également de stupéfiants. Les anciens membres de l'organisation terroriste ont reconnu avoir été trompés : Ce qu'ils avaient entrevu comme un "djihad religieux" n'était en fait qu'une opération de type criminel.
Au vu de ce précédent établi par les groupes d'Al Qaida, il n'était en fin de compte que normale qu'une petite organisation faisant défection à AQMI ait choisi un chef connu pour les relations qu'il entretenait avec les réseaux de stupéfiants.
Selon Magharib.com, l'un des émirs de la faction dissidente d'Al Qaida Jamat Tawhid Wal Jihad Fi Garbi Afriqqiya (Mouvement pour l'Unité et le Djihad en Afrique de l'Ouest) est Sultan Ould Badi. Les autorités maliennes ont identifié Badi en 2010 comme "un important trafiquant de drogue entretenant des liens avec un gang dont les membres ont été arrêtés dans la Mauritanie voisine, et soupçonnés de trafic de stupéfiants en partance vers l'Europe".
Le discours religieux utilisé par Al Qaida est élaboré pour gagner la sympathie. Ses paroles sont toutefois dénuées de sens, ce qui est prouvé par le fait qu'Al Qaida - contrairement aux propres valeurs religieuses et morales que le mouvement prétend avoir adoptées - collaborent avec les trafiquants de drogue.
Au delà de l'hypocrisie de cette alliance criminelle, cette relation qui existe entre Al Qaida et les trafiquants de drogue vient menacer la paix et le développement au Sahel. Les pays doivent agir de concert pour rompre ces liens dangereux, en imposant des pressions sur les organisations hors-la-loi.
Raby Ould Idoumou est écrivain et spécialiste du terrorisme. Il vit à Nouakchott. Il est également directeur de la communication de l'Association Mauritanienne des droits de l'Homme (AMDH).
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