Au Mali, des islamistes largement soutenus
En venant à Paris le 20 septembre présenter sa conviction qu'il faut "déloger les narcotrafiquants et les terroristes" de son pays, le premier ministre du Mali aura trouvé une oreille attentive en François Hollande. Un processus de légalité internationale est désormais enclenché et l'on attend que la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) donne corps à celle-ci pour enfin "chasser les bandits armés".
Cette expression fait l'unanimité à Bamako. Tout le monde semble déterminé à chasser les "bandits armés", sans pourtant qu'aucun acte n'ait accompagné ces déclarations, jusqu'à ce que le chef de l'Etat demande, le 1er septembre, le secours de la Cédéao. Décision importante car elle internationalise le conflit.
Pourtant, cette décision est malencontreuse, comme toutes les interventions extérieures jusqu'à présent. La Cedeao a été maladroite vis-à-vis du capitaine Sanogo ; elle l'a installé durablement dans sa caserne de Kati, qui domine Bamako. La Cédéao a été mal inspirée en imposant un premier ministre inexpérimenté, dont le seul atout était d'appartenir à la famille de l'ancien dictateur Moussa Traoré et de pouvoir compter sur l'équipe de ce dernier.
La Cédéao a mal choisi le médiateur, le président Compaoré, dont la situation politique est fragile dans son propre pays, le Burkina Faso. Ce médiateur lui-même a commis de lourdes erreurs, en imposant l'un de ses conseillers comme ministre des affaires étrangères du Mali, ou en lançant des discussions avec des groupes rebelles sans y associer les autorités maliennes. Le fait que l'Union africaine apporte son soutien, que les Nations unies se disent prêtes à donner prochainement leur feu vert à une intervention, que la France et les Etats-Unis promettent un appui logistique, tout cela ne fait que rendre plus probable une intervention vouée à l'échec, et accroître la mise sous tutelle du Mali.
Cette décision est malencontreuse également parce qu'une intervention armée classique n'obtiendra aucun résultat contre des djihadistes, salafistes et indépendantistes financés par des trafics en tout genre et se défendant sur leur propre terrain.
Il faudrait tenir compte de la détermination des "bandits armés" : qu'ils soient bien payés ou pas, qu'ils soient endoctrinés ou pas, ils sont animés par une envie de domination territoriale et d'élimination de toute influence occidentale, prêts à mourir pour la cause qu'ils servent. Il est clair qu'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ne s'est pas fixé au nord du Mali pour négocier l'application de la charia : les djihadistes se sont offert un sanctuaire d'où il sera possible d'entreprendre des actions de plus en plus loin. Les maux qui ont conduit le Mali à la ruine sont présents dans les pays voisins.
Il faudrait également envisager la complexité des alliances qui ont permis aux "bandits armés" d'occuper tout le nord du Mali. Il est sûr qu'AQMI a su tirer les marrons du feu, mais il n'est pas sûr que ceux qui ont bénéficié de son appui lui soient dévoués. Il se pourrait aussi que le soutien populaire aux islamistes soit plus profond qu'on ne l'imagine.
On crie "chassons les bandits armés" au Sud, mais on est de moins en moins prêt à vivre dans le même pays que les populations du Nord, contre lesquelles des violences ont été organisées en février. On crie "chassons les bandits armés" sans voir qu'au Nord, en dépit de ses excès destinés à terroriser la population, l'application de la charia est ressentie comme la réintroduction d'une forme de justice que l'Etat n'assurait plus. Et au Sud, on crie "chassons les bandits armés", mais on discute à Bamako même, au sein du Haut Conseil islamique, où s'est constitué un puissant parti wahhabite, des conditions raisonnables de l'application de la charia.
Ce n'est donc pas au Nord seulement que la religion a un bras politique. Au Sud, l'ismalisme peut mobiliser 50 000 personnes contre un code de la famille qu'il juge trop éloigné de la charia et prendre la tête de la commission électorale indépendante dans la foulée. Si on en est là, c'est que l'Etat s'est montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus, et ceci aussi bien au Sud qu'au Nord. Si on en est là, c'est que les dirigeants politiques, tous partis confondus, depuis quarante ans, se sont réparti les prébendes au lieu de faire face aux besoins de leurs concitoyens.
L'irruption sur la scène politique d'un capitaine inconnu, auréolé du mérite d'avoir chassé un chef d'Etat dont toute la carrière avait été fondée sur le mépris des partis et des débats politiques, a paralysé la classe politique et intellectuelle malienne. A part quelques vedettes médiatiques capables de croire qu'un jeune officier serait mieux à même d'établir un régime favorable au peuple, le personnel politique a été muet pendant de longs mois. Les militaires ont d'ailleurs fait ce qu'il fallait, en allant cueillir à leur domicile certains dirigeants bien connus, pour les tabasser et les garder quelque temps dans les geôles de la caserne de Kati.
Voilà pourquoi, dans ce pays, personne ne dispose plus de la moindre autorité légitime. Au-delà des aigreurs qu'expriment la presse et certaines organisations pro-putchistes sur le fait que la Cédéao, la France, les Etats-Unis bafouent la souveraineté du Mali, il faut admettre que personne ne dispose dans ce pays d'une autorité légitime capable de prendre les décisions de stratégie militaire et politique qui s'imposent et qui se présenteront pendant toute la période de guerre. Personne, sauf peut-être les religieux.
L'urgence n'est pas dans une intervention mal préparée dans la zone conquise par les islamistes. L'urgence est dans la reconstitution au Sud d'un Etat reposant sur une légitimité populaire. Sera-t-il laïque ? Sera-t-il islamique ? Nous n'en saurons rien tant qu'un peu d'ordre n'aura pas été rétabli depuis Bamako.
Ceci suppose que les Maliens s'interrogent sur l'effondrement brutal d'un Etat que, depuis des années, savaient très faible, et qui n'est que l'ultime manifestation de la disparition d'une nation ruinée par une distribution des revenus au profit de la bourgeoisie politico-administrative et de quelques grands spéculateurs.
Rares sont les personnes disposant encore de l'autorité morale qui leur permettrait de jouer un rôle dans une conférence nationale en jetant les bases de nouvelles institutions et de règles de désignation des dirigeants. Il y en a pourtant quelques-unes, bien silencieuses. Elles devraient prendre une initiative.
Boubou Cissé, économiste à la Banque mondiale ; Joseph Brunet-Jailly, économiste ; Gilles Holder, anthropologue (CNRS)
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