jeudi 12 avril 2012

Mali : "Les Touareg vivent dans la terreur" - Le Point

Mali : "Les Touareg vivent dans la terreur" - Le Point

Deux anciens combattants du mouvement qui avait pris les armes dans les années 90 expliquent comment "leur" insurrection leur a échappé.

Omar Hamaha, chef militaire du mouvement islamiste Ansar Dine, qui s'est emparé de Tombouctou début avril. Omar Hamaha, chef militaire du mouvement islamiste Ansar Dine, qui s'est emparé de Tombouctou début avril. © Capture d'écran / AFPTV/France 2
Moulaye Ahmed, chef de brigade des douanes à Bamako, et Mohamed Ag Mahmoud, directeur général de l'Agence de développement du Nord-Mali, sont d'anciens combattants. Le premier est arabe, le second touareg. Ils ont fui le Mali, "comme tous ceux qui ont la peau claire". Anciens membres du MFUA, le Mouvement et Front unifié de l'Azawad (le Nord-Mali, NDLR) à l'origine de l'insurrection touareg dans les années 1990, ils reviennent sur l'origine des troubles et sur la proclamation d'indépendance de l'Azawad par le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA).
Le Point.fr : Pour quelles raisons aviez-vous pris les armes en 1990 ?
Mohamed Ag Mahmoud : À l'époque, le Nord-Mali souffrait d'un retard de développement considérable et les Touareg étaient victimes de discrimination. Nous voulions les mêmes droits que les autres Maliens et participer à la gestion du pays, pas l'indépendance. Depuis la signature du Pacte national en 1992, de vrais efforts de développement ont été engagés : c'est pour ça que nous avons déposé les armes. Aujourd'hui, du point de vue économique, rien ne justifie une rébellion : les trois régions du Nord-Mali font partie des six régions les moins pauvres du pays !
Après une accalmie observée depuis 2006, comment expliquez-vous la reprise de l'insurrection depuis janvier ?
Moulaye Ahmed : Si les accords d'Alger de 2006 entre l'État malien et les représentants de la rébellion, qui prévoyaient une certaine autonomie et impliquaient entre autres la démilitarisation de la zone Nord, avaient été correctement appliqués, il n'y aurait pas eu de reprise des combats. La construction de nouvelles bases militaires, combinée avec le non-recrutement de Touareg dans l'armée régulière depuis 1996 ont mis le feu aux poudres. Enfin, la reprise de l'insurrection a été facilitée par les armes et munitions acquises en Libye. Mais la rébellion n'est pas un mouvement unifié !
Le MNLA est-il populaire auprès des populations du Nord-Mali ou s'agit-il d'une minorité ?
Mohamed Ag Mahmoud : C'est une minorité. Les Touareg eux-mêmes ne veulent pas tous l'indépendance et ils ont peur de se retrouver dans un État islamiste. Ils en ont assez de la violence, assez de pâtir pour les exactions des groupes armés, et vivent dans la terreur. En deux mois, plus de 200 000 personnes ont été déplacées en interne et dans les pays frontaliers à cause des règlements de comptes sur les peuples à la peau claire, notamment arabes et touareg. Les autres Maliens les associent aux sécessionnistes, juste parce qu'ils appartiennent à la même ethnie !
Moulaye Ahmed : Il faut aussi rappeler que le Nord comprend beaucoup de peuples et les rebelles ne peuvent répondre aux attentes de tous. Pour la majorité des populations, l'Azawad autoproclamé indépendant par le MNLA - soit 827 000 kilomètres carrés - ne correspond à aucune réalité, qu'elle soit géographique, ethnique ou historique !
Pensez-vous que l'influence d'al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) sur le mouvement rebelle est exagérée ?
Moulaye Ahmed : La majorité du MNLA ne partage pas l'idéologie islamiste d'AQMI, sauf le groupuscule d'Iyad Aghaly, "Ansar Dine." Son cousin est un émir d'AQMI, qui avait revendiqué l'enlèvement de Français. En revanche, tous profitent des moyens de la nébuleuse islamiste.
Mohamed Ag Mahmoud : Maintenant qu'Iyad Aghaly a obtenu ce qu'il voulait, c'est-à-dire la ville de Kidal, grâce au soutien d'AQMI, je ne serais pas surpris qu'il laïcise son mouvement. Il se rend bien compte que l'idéologie islamiste ne "prend pas" auprès des populations locales.
Depuis le putsch et la proclamation d'indépendance par le MNLA de l'Azawad, la rébellion s'est-elle renforcée ? Unifiée ?
Mohamed Ag Mahmoud : Renforcée oui, unifiée non. Quand les rebelles ont pris les grandes villes du Nord, les militaires se sont enfuis sans vraiment combattre. Ils ont laissé toutes leurs armes... que les rebelles et AQMI se sont empressés de récupérer. Ces hommes sont plus lourdement armés que jamais ! Néanmoins, le bruit court qu'Ansar Dine et le MNLA seraient sur le point de se rentrer dedans. C'est cette scission entre rebelles islamistes et laïques dont il faut profiter.
La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) menace le MNLA d'une intervention militaire...
Mohamed Ag Mahmoud : Je n'y crois pas trop... et quand bien même une opération aurait lieu, je doute grandement de ses chances de succès : la coopération régionale est trop faible pour cela - le Semoc, accord de coopération régionale ratifié en 2010, n'est actif que sur le papier. Par ailleurs une opération militaire ne peut que renforcer le MNLA qui a déjà prouvé sa supériorité.
Quelle pourrait être la solution ?
Mohamed Ag Mahmoud : La meilleure solution selon moi serait de négocier avec les "forces positives" du MNLA, c'est-à-dire avec ceux qui ne sont pas islamistes. Il faudrait un accord entre le MNLA, le Mali, la Cedeao et la communauté internationale, car il faut la menace de frappes aériennes puissantes, pas seulement de fantassins, comme on en a l'habitude. Il faut absolument que le Mali trouve un terrain d'entente avec le MNLA, car lui seul est capable d'expulser Ansar Dine et AQMI : seul le MNLA maîtrise suffisamment le terrain pour en venir à bout. Je ne pense pas que le MNLA soit fermé à une négociation. Leur proclamation d'indépendance est une façon de placer la barre haut pour obtenir des concessions.
Les élections, prévues initialement pour le 29 avril, auront-elles lieu ?
Mohamed Ag Mahmoud : Non je ne pense pas. Et ce pour longtemps probablement... Le président de l'Assemblée, un homme sérieux, est en train de prendre les rênes. Mais il faut un président reconnu au plus vite si on veut un intermédiaire de poids pour les négociations

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