Propos recueillis par Vincent Hugeux, publié le 11/04/2012 à 18:27
Dans le nord du Mali, l'issue de la rivalité entre les hommes du MNLA et les djihadistes demeure incertaine.
AFP/MNLA
Eric Denécé est directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et coauteur d'un rapport sur l'"avenir incertain" de la Libye et de son environnement, publié en mai 2011. Pour L'Express, il analyse les enjeux de la crise malienne.
Comment peut évoluer, dans la moitié nord du Mali, le rapport de forces entre les Touareg du Mouvement national de libération de l'Azawad [MNLA] et les factions djihadistes?
Le paysage demeure à ce stade assez confus, notamment parce que l'on manque de données fiables quant aux effectifs respectifs. Sur le papier, les Touareg sont beaucoup plus nombreux, mais beaucoup moins armés. Grosso modo, le groupe islamiste Ansar ed-Dine disposerait de plusieurs centaines d'hommes -moins d'un millier, à coup sûr- et Aqmi, de 300 à 500 combattants. Autre incertitude quant aux volontaires rentrés de Libye: combien ont rallié le MNLA, et combien, la mouvance djihadiste ? Même question pour la répartition des armements, des stocks de munitions et des véhicules. S'agissant de l'issue de ce bras de fer, mieux vaut se montrer circonspect. Pour autant, le phénomène le plus frappant reste la montée en puissance rapide d'Ansar ed-Dine; alors même que tous les légionnaires de Kadhafi n'étaient pas -loin de là- de sensibilité islamiste. Nombre d'entre eux sont devenus citoyens de la Jamahiriya et certains ont combattu dès 1996 les maquisards du Groupe islamique combattant libyen [GICL].
La reconquête par Bamako des territoires "libérés" du Nord est-elle envisageable ? Si oui, à quel prix?
Pour Eric Dénécé, les islamistes d'Aqmi et d'Ansar ed-Dine "s'inscriront durablement dans le paysage comme des éléments perturbateurs".
Ouest-France/ M.Ollivier
En l'occurrence, Gao, Tombouctou, Kidal et Tessalit. En face, il y aura des miliciens certes aguerris, mais dotés de moyens légers et plus redoutés pour leur mobilité que pour leur aptitude au combat urbain, et guère soutenus par les populations locales. Cela posé, on refoulera vers le désert des bandes sorties de l'aventure renforcées en armes, en moyens de transports, en effectifs et en ressources financières.
Aqmi et Ansar ed-Dine s'inscriront durablement dans le paysage comme des éléments perturbateurs.
Y a-t-il, pour le Niger voisin, un risque de contagion?
La question se pose non seulement pour le Niger, mais aussi pour l'Algérie et la Mauritanie. Adossée à une revendication ancienne, la question touareg appelle une solution politique; même si Mouammar Kadhafi, qui fut l'un des pyromanes de la cause, s'est employé à souffler sur les braises. Or chaque pays a son mode de traitement particulier. Et peut donc s'orienter soit vers un durcissement, soit vers le compromis. Comment jugez-vous, à l'aune de cet épisode, la performance des autorités françaises?
Il ne peut y avoir de remède efficace sans coopération entre la France et l'Algérie.
Quelle que soit l'antipathie qu'inspirait le colonel Kadhafi, le remède aura été pire que le mal. Soumeylou Boubèye Maïga, ancien patron du renseignement malien et ministre sortant des Affaires étrangères, venait une fois par mois à Paris tirer le signal d'alarme. "Maintenant que vous avez mis le bazar chez nous en dépit de nos mises en garde répétées, insistait-il, qu'allez-vous faire pour nous aider?"
Autre écueil, l'incapacité de la France à s'entendre avec l'Algérie -laquelle, il est vrai, n'y met pas vraiment du sien non plus. Or il ne peut y avoir de remède efficace sans coopération entre les deux pays, qui ont à la fois les moyens d'agir et la connaissance du terrain.
Enfin, Paris s'est enfermé dans une contradiction totale: on agit en Libye, en violation de la résolution 1973 d'ailleurs; mais, quand l'espace subsaharien s'embrase, le Quai d'Orsay plaide en faveur d'une forme de neutralité. Quitte à bafouer cette fois les accords de défense qui nous lient aux capitales concernées. Résultat: la France n'a plus la cote au Mali et les Algériens ne veulent plus nous voir dans les parages. Bref, nous voilà condamnés à marcher sur des oeufs.
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