La question de l’interventionnisme au Sahel
le 04.08.12 | 10h00 Réagissez
Pendant longtemps, le Sahel était surtout connu du monde comme une région aux nombreux problèmes socioéconomiques (Etats défaillants, pauvreté, crises alimentaires, etc.), favorisant le développement de réseaux terroristes et de trafics en tous genres.
Depuis la fin de l’année 2011, de nouvelles perturbations politiques viennent secouer cette région. Le Mali est le pays qui en subit les revers les plus importants. En effet, en octobre et décembre 2011, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et le groupe terroriste, Ansareddine, ont fait leur apparition sur la scène malienne. De plus, en mars 2012, le pays a vécu un coup d’Etat militaire qui a entraîné la chute du président Amadou Toumani Touré et la désignation de Dioncounda Traoré comme nouveau chef de l’Etat.
L’incompatibilité des objectifs politiques de chacun de ces acteurs a précipité le déclenchement d’une crise sans précédent dans le pays. Alors que les Touareg du MNLA souhaitent l’indépendance du Nord Mali, les membres d’Ansar eddine, aussi Touareg, veulent maintenir l’intégrité du territoire malien en y imposant la charia. Les militaires sont, pour leur part, affaiblis, et la méfiance que leur témoigne la communauté internationale constitue pour eux un fort handicap.
Aidé par le nouveau Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), le nord du Mali semble être aujourd’hui sous le contrôle des hommes d’Ansar eddine. Le MNLA, qui a clairement pris ses distances avec les groupes terroristes, est devenu de ce fait un interlocuteur privilégié par les organisations régionales africaines et par l’Occident. Le spectre terroriste au Sahel, mettant directement en danger les intérêts de plusieurs pays, au premier rang desquels la France, pousse la communauté internationale à réfléchir aux moyens adéquats à mettre en œuvre pour éviter une aggravation de la situation dans la région. Ainsi, et à l’ère du R2P (Responsabilité de protéger), la question de l’interventionnisme militaire au Mali est posée. Dès lors, envisager une opération d’une telle envergure exige de prendre en considération plusieurs éléments.
Le nécessaire bilan de l’aventure libyenne
Il semble qu’aujourd’hui l’interventionnisme politique soit consacré. Ainsi, et pour beaucoup, la problématique se résume à étudier et planifier le moment opportun pour intervenir. La réflexion sur le bien-fondé même de cette idée s’en trouve réduite dans les stratégies élaborées par les Etats et les organisations régionales ou internationales. Pourtant, un bilan des différentes interventions menées dans le cadre du droit de protection des populations s’avère nécessaire.
L’exemple libyen récent est en ce sens particulièrement édifiant. En effet, s’il est vrai que l’intervention de l’OTAN a permis la chute du régime d’El Gueddafi, la situation dans ce pays reste très préoccupante. La Libye est aujourd’hui un pays divisé. Le niveau de violence est encore élevé et les revendications sécessionnistes des uns et des autres menacent gravement l’avenir du pays. De plus, les élections du 7 juillet dernier se sont déroulées dans un climat de tension, du fait des menaces de sabotage proférées par les milices fédéralistes de Cyrénaïque, la partie est du pays, hostiles à la prédominance du pouvoir central de Tripoli.
Enfin, les conséquences régionales de l’intervention en Libye sont nombreuses. La chute d’El Guedafi a permis à plusieurs organisations rebelles de se servir, sans limites, dans le dépôt d’armes à ciel ouvert laissé par l’ancien dictateur. Par ailleurs, les combattants africains composant les anciennes milices du guide libyen sont retournés dans leur pays d’origine, provoquant la déstabilisation d’équilibres nationaux déjà fragiles.
La position de la diplomatie algérienne
Si un retour sur les résultats de l’aventure libyenne est nécessaire, il est aussi important de s’intéresser aux pays supposés être des acteurs incontournables pour solutionner la crise malienne. Dans ce cadre, l’Algérie est décrite comme le «leader» régional incontestable.
L’Algérie est effectivement le seul pays de la région disposant d’importants moyens logistiques et militaires. De surcroît, plusieurs otages algériens sont encore entre les mains du MUJAO, basé temporairement au Mali. Enfin, le problème posé par les
30 000 réfugiés maliens installés dans le Sud algérien pourrait constituer une autre raison encourageant l’Algérie à intervenir au Sahel.
Pourtant, plusieurs réserves doivent être émises. La première concerne les orientations mêmes de la diplomatie algérienne qui a toujours vu d’un œil hostile toute interventionnisme étranger, avec en toile de fond la peur constante qu’un tel scénario se produise au sein de ses frontières.
De plus, alors que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) encourage un partenariat tactique avec le MNLA, l’Algérie considère, pour sa part, que les revendications indépendantistes des Touareg sont menaçantes puisqu’elles risquent d’influencer les 40 000 Touareg vivant en Algérie.
Le point de vue américain
Enfin, une intervention au Mali ne pourrait être envisagée sans le feu vert étasunien. Or, si ce pays se dit profondément préoccupé par la situation au Sahel, il est peu probable qu’il envisage de penser cette zone grise comme un «Afghanistan africain». Ainsi et malgré une activité importante de renseignement, les Etats-Unis relèguent cette région, pour le moment, à une position secondaire sur leur grand échiquier du monde. Pour justifier l’implication des Etats-Unis, plusieurs analystes ont rappelé le rôle des Américains dans la gestion de la crise somalienne. En effet, l’opération «Restore Hope» de 1993 et le soutien des Etats-Unis aux dernières opérations kenyanes dans l’extrémité orientale de la Corne de l’Afrique présentent pour certains des similitudes avec le cas malien. Pourtant, la Somalie n’a en rien la même dimension géostratégique, puisque ce pays, bordé par le Golfe d’Aden et l’océan Indien, est un point de passage-clé pour les Américains qu’il importe de contrôler. Ainsi, la lutte engagée contre la piraterie par l’OTAN, dans l’océan Indien lui permet de positionner sa marine militaire dans un lieu hautement stratégique pour le présent et le futur. Enfin, il est important de rappeler que les prochaines élections américaines réduisent fortement la marge de manœuvre du président Barack Obama au niveau international.
Ainsi, si la question de l’interventionnisme revient régulièrement dans la presse internationale depuis quelques semaines, et notamment dans la presse française (voir la une de Libération du 12 juillet), il est à noter que plusieurs paramètres doivent être pris en compte pour permettre de repenser en profondeur et sur le long terme la nature et le type d’intervention à engager au Mali et au Sahel.
Yasmine Kacha. Titulaire d’un master 2 en relations internationales
L’incompatibilité des objectifs politiques de chacun de ces acteurs a précipité le déclenchement d’une crise sans précédent dans le pays. Alors que les Touareg du MNLA souhaitent l’indépendance du Nord Mali, les membres d’Ansar eddine, aussi Touareg, veulent maintenir l’intégrité du territoire malien en y imposant la charia. Les militaires sont, pour leur part, affaiblis, et la méfiance que leur témoigne la communauté internationale constitue pour eux un fort handicap.
Aidé par le nouveau Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI), le nord du Mali semble être aujourd’hui sous le contrôle des hommes d’Ansar eddine. Le MNLA, qui a clairement pris ses distances avec les groupes terroristes, est devenu de ce fait un interlocuteur privilégié par les organisations régionales africaines et par l’Occident. Le spectre terroriste au Sahel, mettant directement en danger les intérêts de plusieurs pays, au premier rang desquels la France, pousse la communauté internationale à réfléchir aux moyens adéquats à mettre en œuvre pour éviter une aggravation de la situation dans la région. Ainsi, et à l’ère du R2P (Responsabilité de protéger), la question de l’interventionnisme militaire au Mali est posée. Dès lors, envisager une opération d’une telle envergure exige de prendre en considération plusieurs éléments.
Le nécessaire bilan de l’aventure libyenne
Il semble qu’aujourd’hui l’interventionnisme politique soit consacré. Ainsi, et pour beaucoup, la problématique se résume à étudier et planifier le moment opportun pour intervenir. La réflexion sur le bien-fondé même de cette idée s’en trouve réduite dans les stratégies élaborées par les Etats et les organisations régionales ou internationales. Pourtant, un bilan des différentes interventions menées dans le cadre du droit de protection des populations s’avère nécessaire.
L’exemple libyen récent est en ce sens particulièrement édifiant. En effet, s’il est vrai que l’intervention de l’OTAN a permis la chute du régime d’El Gueddafi, la situation dans ce pays reste très préoccupante. La Libye est aujourd’hui un pays divisé. Le niveau de violence est encore élevé et les revendications sécessionnistes des uns et des autres menacent gravement l’avenir du pays. De plus, les élections du 7 juillet dernier se sont déroulées dans un climat de tension, du fait des menaces de sabotage proférées par les milices fédéralistes de Cyrénaïque, la partie est du pays, hostiles à la prédominance du pouvoir central de Tripoli.
Enfin, les conséquences régionales de l’intervention en Libye sont nombreuses. La chute d’El Guedafi a permis à plusieurs organisations rebelles de se servir, sans limites, dans le dépôt d’armes à ciel ouvert laissé par l’ancien dictateur. Par ailleurs, les combattants africains composant les anciennes milices du guide libyen sont retournés dans leur pays d’origine, provoquant la déstabilisation d’équilibres nationaux déjà fragiles.
La position de la diplomatie algérienne
Si un retour sur les résultats de l’aventure libyenne est nécessaire, il est aussi important de s’intéresser aux pays supposés être des acteurs incontournables pour solutionner la crise malienne. Dans ce cadre, l’Algérie est décrite comme le «leader» régional incontestable.
L’Algérie est effectivement le seul pays de la région disposant d’importants moyens logistiques et militaires. De surcroît, plusieurs otages algériens sont encore entre les mains du MUJAO, basé temporairement au Mali. Enfin, le problème posé par les
30 000 réfugiés maliens installés dans le Sud algérien pourrait constituer une autre raison encourageant l’Algérie à intervenir au Sahel.
Pourtant, plusieurs réserves doivent être émises. La première concerne les orientations mêmes de la diplomatie algérienne qui a toujours vu d’un œil hostile toute interventionnisme étranger, avec en toile de fond la peur constante qu’un tel scénario se produise au sein de ses frontières.
De plus, alors que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) encourage un partenariat tactique avec le MNLA, l’Algérie considère, pour sa part, que les revendications indépendantistes des Touareg sont menaçantes puisqu’elles risquent d’influencer les 40 000 Touareg vivant en Algérie.
Le point de vue américain
Enfin, une intervention au Mali ne pourrait être envisagée sans le feu vert étasunien. Or, si ce pays se dit profondément préoccupé par la situation au Sahel, il est peu probable qu’il envisage de penser cette zone grise comme un «Afghanistan africain». Ainsi et malgré une activité importante de renseignement, les Etats-Unis relèguent cette région, pour le moment, à une position secondaire sur leur grand échiquier du monde. Pour justifier l’implication des Etats-Unis, plusieurs analystes ont rappelé le rôle des Américains dans la gestion de la crise somalienne. En effet, l’opération «Restore Hope» de 1993 et le soutien des Etats-Unis aux dernières opérations kenyanes dans l’extrémité orientale de la Corne de l’Afrique présentent pour certains des similitudes avec le cas malien. Pourtant, la Somalie n’a en rien la même dimension géostratégique, puisque ce pays, bordé par le Golfe d’Aden et l’océan Indien, est un point de passage-clé pour les Américains qu’il importe de contrôler. Ainsi, la lutte engagée contre la piraterie par l’OTAN, dans l’océan Indien lui permet de positionner sa marine militaire dans un lieu hautement stratégique pour le présent et le futur. Enfin, il est important de rappeler que les prochaines élections américaines réduisent fortement la marge de manœuvre du président Barack Obama au niveau international.
Ainsi, si la question de l’interventionnisme revient régulièrement dans la presse internationale depuis quelques semaines, et notamment dans la presse française (voir la une de Libération du 12 juillet), il est à noter que plusieurs paramètres doivent être pris en compte pour permettre de repenser en profondeur et sur le long terme la nature et le type d’intervention à engager au Mali et au Sahel.
Yasmine Kacha. Titulaire d’un master 2 en relations internationales
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