La crise que connait le Nord de notre pays suscite à la fois exaspération et inhalation. Plusieurs réflexions et propositions pour la résolution de cette crise, les unes aussi particulières que les autres, ont été menées et formulées. Celles du Professeur Kalilou Ouattara, chef du service Urologie du Centre Hospitalier Universitaire du Point-G et non moins coordinateur de la lutte contre la fistule en Afrique, sont atypiques. Diamétralement opposé à ceux que nous avons l’habitude de vous proposez dans nos colonnes, cet entretien sort des sentiers battus et certains arguments avancés peuvent heurter le bon sens et choquer profondément. L’homme aborde des sujets très sensibles et s’attaque incessamment contre les populations et associations du Nord. Aussi, paradoxalement, les réflexions menées (n’engageant que sa propre opinion) peuvent ouvrir d’autres débats et perspectives autant suicidaires que réalistes à long terme. Monsieur Ouattara propose la proclamation de la république fédérale du Mali avec deux entités distinctes dont la République autonome du Nord-Mali et la République autonome du Sud-Mali. Lisez plutôt…
Qu’en est-il Professeur du Mali actuel selon vous ?
Pr Kalilou Ouattara : En effet, le Mali actuel, est une bombe à retardement, un cadeau empoisonné que la France a offert aux ‘’Maliens’’, sanction à l’opposition des rois maliens à la pénétration française. Après que la puissance coloniale est détruit ce qui restait de l’empire du Mali, (qui s’étendait jusqu’à l’océan atlantique, empire que nous maliens n’avons pas su hélas préservé à l’instar de la France elle-même, de la Grèce, de l’Allemagne, de la Russie, de l’Inde, de la Chine) ; l’Afrique Occidentale Française (AOF) a été créé sur les ruines des royaumes maliens. Cette AOF aussi, faute de mauvaise gestion, nous a conduit dans cette portion congrue qu’est l’actuel territoire du soi-disant Mali, sans accès à la mer, et à une structure artificielle et d’association de deux entités diamétralement opposées sur tous les plans : géographique, culturel, social, économique, émotionnel, avec une grande partie des ressortissants du nord qui en réalité n’ont jamais accepté d’être administrés à partir de Bamako, et qui devant cette impuissance n’ont cessé de mettre en œuvre des stratégies de conquête de ce pouvoir domicilié au sud, ce qui semble leur avoir réussir. ‘’Le nordiste’’ a un complexe de supériorité naturel par rapport aux sudistes. Ce complexe nourrit un sectarisme qui a causé de nombreuses ségrégations raciales et connues par tous les maliens. Ce complexe est plus exacerbé chez les Touaregs pour qui tous les noirs en fait sont des esclaves même s’ils sont musulmans. Attitude qui, d’ailleurs en fait, fait peur aux Sonrhaïs ce qui explique que tous, se sont refugiés au sud délaissant le nord du Mali leur ‘’patrie’’. Une autre particularité réside dans le fait qu’il est rare de trouver des cadres du Nord qui exercent dans les services de l’Etat au nord. Les cadres nordistes refusent catégoriquement d’aller servir chez eux. Allez y voir, combien d’entre eux qui ont les moyens, Dieu seul sait qu’ils sont nombreux, ont pu faire des réalisations au Nord, construire par exemple ?
Pourquoi un tel acharnement, plus ou moins, géographique ?
Prof Ouattara : Analysons la situation de l’administration malienne. Elle est quasi dominée par les nordistes plus particulièrement les sonrhaïs. Les nordistes ne valent pas 1/10 de la population malienne cependant 30 % des postes dans l’administration leur revient. D’ailleurs eux-mêmes disent que cela s’explique par le fait qu’ils sont, eux, des’’ cadres’’ sous – entendant que ce sont eux qui doivent gouverner. Les sudistes sont quoi alors ? Des cancres évidemment. Dans cette tache, ils ont toujours bénéficié de la complicité des différents gouvernements et l’apogée a été atteint sous ATT qui a contribué à exacerber les choses par son favoritisme pour les nordistes lors des nominations dans les institutions de l’état : ministères, gouvernorats, préfectures, directions, projets juteux, ambassades, douanes, et même dans les recrutements dans l’armée, et surtout l’octroi des marchés publics, etc. Les nordistes sont dans les rouages de l’état et dans la majorité des cas ils ne vivent que de l’argent public, tandis que les sudistes sont au soleil. Faites une analyse, vous verrez que tous les arguments que j’avance sont vérifiables. Faisons l’audit des sommes d’argent qui étaient destinées à être déversées au Nord durant tout ce temps. Elles ont servi à enrichir illicitement les dignitaires du Nord. Faites un peu l’audit des propriétaires d’immeubles de l’ACI 2000. Curieusement Gao n’a pas été construit, Tombouctou non plus, encore moins Kidal. Faites l’audit des actionnaires des grandes sociétés du Mali, la vérité blesse mais c’est bien d’appeler le chat par son nom. Tout le monde garde la langue de bois, personne n’ose le dire. Toute vérité n’est pas bonne à dire mais celle là il est grand temps qu’on la dise.
Pourquoi l’utilisation répétée du vocable ‘’Nordiste’’ dans vos propos ?
Prof Ouattara : J’utilise le vocable de ‘’Nordiste’’ parce que ces derniers temps, ce sont eux- mêmes qui se sont individualisés dans le pays avec la création de nombreuses associations comme : le Collectif des Ressortissants du Nord (COREN), Association des ressortissants du Nord, Association des femmes ressortissantes du Nord, Association des jeunes ressortissants du Nord… ils se succèdent tous les jours à la télévision nationale comme si nous autres n’avons rien perdu dans la crise. Y a-t-il l’association des ressortissants du sud à Tombouctou ou à Gao. De toutes les manières au sud les nordistes ne s’intègrent pas aux sudistes. Si cette intégration existe, elle est de façade sinon les nordistes vivent entre eux. Il y en a qui vivent au sud plusieurs années mais ne peuvent même pas placer une seule phrase en ‘’ bambara’’ hors au nord les sudistes s’y intègrent agréablement. Cela dit, n’est-il pas temps que les sudistes prennent conscience de leur situation dont ils ignorent la réalité. Qui à son avenir plus incertain aujourd’hui : les nordistes ou les sudistes ? Bien sûr ce sont les sudistes qui risquent de ramasser à la longue les pots cassés.
Vos impressions sur l’imposition de la charia au Nord ?
Prof Ouattara : les nordistes sont nés et ont grandit dans la charia que Tombouctou a incarné depuis belle lurette. Cela dit, la triste réalité est que les ressortissants du Nord n’ont rien à perdre, si le Mali restait longtemps dans cette situation. Beaucoup d’entre eux, voir tous au fond du cœur approuvent la situation actuelle et beaucoup d’entre eux en réalité sont en contact permanent avec les ‘’ nouvelles autorités ‘’ du nord avec lesquelles ils collaborent d’ailleurs. Beaucoup disent d’eux que ce sont les medias qui dramatisent la situation au nord alors qu’en réalité rien d’alarmant là- bas. La situation va durer puisque nous continuons à nourrir les touaregs sécessionnistes soi-disant que nous amenons de l’aide à des populations sinistrées. Ces tristes réalités sont au Mali depuis l’indépendance de la république. Tous les présidents maliens n’ont t-ils pas mener leur guerre contre la rébellion. Cela dit plusieurs maliens parlent du nord ne sachant pas en réalité qu’est ce que c’est que le nord du Mali.
Qu’est ce que le Nord Mali alors selon vous ?
Prof Ouattara : Le nord mali est une entité différente du sud Mali sur tous les plans. Il y a une frontière naturelle entre le nord et le sud Mali, c’est la marre de Gossi, une vérité que les gens honnêtes vont approuver.
Je ne vais pas me permettre de vous le cacher mais c’est un leurre de penser qu’à partir de Bamako on peut appréhender les problèmes du nord et gérer le nord. Depuis l’indépendance, c’est cette stratégie qui est menée et qui n’a jamais aboutit à quelque chose de concrets. Ceux qui devaient développer le nord ont démissionné et sont tous couchés à Bamako. Exemple un député, un ministre, un premier ministre, Dieu seul sait combien les nordistes en ont eu, qui facilement a acquis une parcelle au sud et qui y a construit un building climatisé et n’a plus de quoi faire avec le nord sa vraie ‘’patrie’’. Ils ne savent même plus où se trouve, Tombouctou ou Gao. Qui va aller développer le nord du Mali si ce n’est en premier lieu les nordistes eux-mêmes dont les cadres refusent catégoriquement d’aller servir chez eux.
Que proposez-vous pour une sortie de crise rapide et durable ?
Prof Ouattara : Disons d’emblée que nous ne voulons pas de solution militaire car nous ne voulons pas que le Mali devienne la Somalie ou l’Afghanistan où les occidentaux et autres partenaires tels que l’Union Africaine et la CEDEAO, malgré leurs moyens, n’ont pas pu mettre à genoux leurs adversaires. En commençant une guerre de nos jours, personne ne sait comment les choses vont évoluer et quelle en sera l’issue. La solution pour une sortie de crise et d’une façon honorable et durable est simple. Il faut tout simplement dire la vérité et admettre la réalité sur le terrain. Cette réalité et cette vérité est que depuis le départ des français, les nordistes surtout les Touareg et les sonrhaïs n’ont jamais accepté d’être administrés à partir du sud et que du fond de leur cœur ils nourrissent tous une velléité de sécession, quand bien même les sonrhaïs ne font pas trop confiance aux touaregs qui ne se gênent pas à aller chercher des armes et qui font planer le spectre d’une société esclavagiste au nord par rapport à la population noire. La réalité est que dans le passé, il y a eu l’empire songhaï qui s’étendait plus vers l’actuel Niger et le Nigeria que vers le sud. La vraie vérité est qu’un gouverneur français était à Kidal et que les différents gouvernements maliens ont petit à petit bradé le nord et reconnu que les régions du nord devraient bénéficier d’un ‘’ statut particulier ‘’. Cette réalité remonte depuis 1990 où le Mot Azawad est reconnu par les autorités du Mali (lire le livre blanc sur le problème du nord, les accords d’Alger). La réalité est que l’état malien a accepté de démilitariser le nord du Mali et sans oublier bien entendu l’attitude combien naïve d’ATT vis-à-vis de Kadhafi.
Sans oublier que les Touaregs et autres bandits armés d’Ansardine, militairement dans les faits, détiennent le nord et sont entrain de consolider leur position et qu’ils ont un allié virtuel de taille la France, sans oublier certains pays voisins et lointains du Mali (le Pakistan, le Qatar et l’Arabie Saoudite). N’oublions pas que le chef d’Ansardine a été longtemps Ambassadeur du Mali en Arabie. Il est en mission commandée pour venir détruire Tombouctou, pour que ce dernier un jour ne prétende à devenir un lieu de pèlerinage, or qui dit pèlerinage dit mobilisation d’épargne au profit de qui ? 2 300 000 (deux millions trois cent mille francs CFA par personne). Ajouter à cela qu’en réalité au fond du cœur la majorité des sonrhaïs courageux et honnêtes aspirent à une autonomie poussée, voir une indépendance du nord. En tout cas, n’approuvent pas que les problèmes du nord soient gérés à partir de Bamako. J’approuve cette position et je suis convaincu que le nord du Mali n’est pas le sud du Mali et que chaque entité doit impérativement être gérer par ces propres institutions autonomes domiciliés chez soi.
Qu’insinuez-vous, explicitement, par cette réflexion ?
Prof Ouattara : Il est temps de cesser la langue de bois, de voir les choses dans leur réalité. Il est temps de crever l’accès ‘‘Mali’’. Cela dit, considérant tout ce qui a été révélé en haut et ayant prit acte de la réalité des évènements que connaît notre pays depuis longtemps et de la situation qui prévaut aujourd’hui, je suis convaincu que la solution idoine, durable, honnête, juste, qui permet de gérer tous les autres problèmes sous-jacents et ceux qui vont surgir en amont est la proclamation de la république fédérale du Mali avec deux entités distinctes qui seront : la République autonome du nord-mali et la République autonome du sud-mali. Aussi, la République du nord ne sera pas une République ni des touaregs, ni des sonrhaïs mais celle de toutes les communautés. Cette démarche mettra chacune des communautés du nord ou du sud devant leurs responsabilités. Elle tuera en chacun l’assentiment de domination d’une partie par l’autre, ainsi que les suspicions mutuelles. Les problèmes de développement de chaque entité seront mieux appréhendés et mieux gérés. Sans doute que les problèmes du nord du Mali seront mieux gérés par des structures administratives solides domiciliées directement au nord et non à partir de Bamako à savoir une présidence, une assemblée, un gouvernement et d’autres institutions autonomes de la République. Cette démarche exclura d’emblée la solution militaire qui n’arrange personne. Un tel scénario va booster la coopération entre les deux républiques. Elle ouvrira une nouvelle ère de coopération fructueuse entre le nord et le sud Mali qui seront en réalité complémentaires dans les faits.
Cette réflexion ne serait-elle pas une élucubration d’esprit à votre avis ?
Prof Ouattara : Cela n’est point une élucubration d’esprit. Ce scénario met les uns et les autres devant leurs responsabilités. Nous n’aurons pas à inventer les modalités et politiques, administratives et économiques des Républiques autonomes et de la République Fédérale. Il suffira de s’inspirer des modèles de ceux qui ont franchit le pas avant nous pour résoudre les mêmes contradictions et problèmes similaires aux nôtres. Cela dit que certains ne pensent pas qu’ils sont plus patriotes que moi car je saurai leur démontrer le contraire.
Propos recueillis par
Dognoumé DIARRA et
Idrissa KANTAO
Le Flambeau du 8 août 2012.
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