dimanche 12 août 2012
Le Larousse l’écrit : la médiation est « une articulation au sein d’un processus dialectique ». Et je préfère, de loin, cette définition philosophique à la conception qui, en droit international, réduit la médiation à la « proposition d’une solution de conciliation aux parties en litige ». Nul ne peut nier que la médiation confiée au Burkina Faso dans le dossier malien est une des plus complexes qui soient.
Inutile de revenir sur cette complexité du fait de la faillite de l’Etat malien, de la dégénérescence de sa République et de la multiplicité des acteurs concernés ; nous ne cessons de nous en faire l’écho depuis le 17 janvier 2012. Pourtant, on « bavasse » beaucoup, un peu partout en Afrique et ailleurs dans le monde, y compris au sein des institutions internationales, sur la « crise malo-malienne » et on s’offusque, de temps à autre, de ce qui se passe dans ce pays, au Nord comme au Sud. Pendant ce temps, une flopée de responsables (sic) politiques africains est prête à « battre le tambour avec les tibias des morts » sans avoir réfléchi, un seul instant, à l’inconséquence de la proposition.
Disons les choses telles qu’elles sont : si le Burkina Faso n’était pas ce qu’il est on pourrait penser que Ouaga se sent isolée dans la conduite de cette médiation. Il y a sept mois que la crise malienne a éclaté et il n’y a que Dioncounda Traoré, le président intérimaire du Mali, pour affirmer : « Si vous nous faites confiance, nous en étonnerons plus d’un par la rapidité avec laquelle cette crise sera résolue » (discours à la Nation – dimanche 29 juillet 2012). Quelques jours auparavant, Djibrill Y. Bassolé, le ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, avait dû participer au point de presse hebdomadaire du gouvernement, le jeudi 26 juillet 2012, pour affirmer que « la médiation n’a pas échoué. Bien au contraire, a-t-il ajouté, c’est lorsqu’il y a des difficultés que la médiation doit redoubler d’attention et d’ardeur pour concilier les prises de position et amener tous les Maliens à se conformer à la normalité constitutionnelle ».
Bassolé ne ménage pas ses efforts (et sa prise de risque calculée : il s’est rendu le mardi 7 août 2012 à Gao et Kidal, deux fiefs des mouvements armés islamistes), conscient de l’impact de la « crise malo-malienne » sur la situation géopolitique de l’Afrique de l’Ouest, d’Alger à Abidjan et de Nouakchott à Ndjamena. Quand tant d’autres traitent ce dossier avec beaucoup de légèreté intellectuelle, politique et diplomatique, Bassolé affirme, jour après jour, malgré la difficulté de la tâche et l’inanité de « l’action » des autres (y compris de la classe politique malienne), une cohérence qui n’honore pas seulement les responsables politiques burkinabè mais aussi les acteurs d’une société civile qui, pour l’essentiel (et là encore malgré le jeu politique intérieur burkinabè), accompagne le gouvernement dans sa recherche d’une solution durable aux maux qui minent le Mali depuis le début de l’année 2012.
Ce qui fait, me semble-t-il, la valeur des médiations menées par Ouaga c’est la prise en compte, au-delà du dossier concerné stricto sensu, des intérêts des populations burkinabè. Avec une diaspora qui compte plusieurs millions de ressortissants dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les responsables politiques sont chaque fois préoccupés de stabiliser les pays de la zone et, surtout, lorsque ceux-ci sont déstabilisés, de ne pas jouer gaillardement « Malbrough s’en va-t-en guerre, mironton, mironton, mirontaine. Ne sais quand reviendra ».
Homme d’arme (colonel de gendarmerie), homme de droit (c’est un juriste), homme d’Etat (ministre des Affaires étrangères après avoir été, notamment, ministre de la Sécurité), homme politique (membre du BP du CDP) - j’ajoute, le connaissant personnellement : homme de rigueur et homme de cœur fidèle en amitié – Bassolé était bien armé pour mener sur le terrain cette médiation qui mobilise plusieurs personnalités diplomatiques et militaires burkinabè. Cette concordance des temps entre la classe politique et la société civile*, j’en vois une expression aboutie dans l’entretien mené par des journalistes du quotidien national Sidwaya** à la veille du départ de Bassolé pour Gao et Kidal. Etre médiateur nous dit-il, c’est « toujours garder la même humeur, ne jamais montrer que vous êtes dépassé ou excédé [et] toujours être modéré dans le propos. Cela nécessite de faire violence sur soi-même parce qu’il y a des moments de vives tensions ». On imagine la « violence » que les Burkinabè ont dû exercer sur eux-mêmes au cours de cette médiation ! Ouaga aurait pu se contenter d’une action « bling-bling » - on a vu, par le passé, des chefs d’Etat en pratiquer - mais les Burkinabè savent qu’il leur faut mener une « médiation structurante » qui résolve les problèmes du présent ; et n’injurie pas l’avenir. Réussir ce que j’appelle une « médiation structurante », c’est « faire la part des choses » nous dit Bassolé. « Apaisement et réconciliation » au Sud. Et c’est le rôle dévolu à Dioncounda Traoré « qui, avec l’implication de l’ensemble des forces vives de la nation malienne,[pourra] réaliser les objectifs de la transition, à savoir gérer la crise au Nord du Mali et organiser des élections crédibles sur toute l’étendue du territoire national ». On notera que Bassolé prend soin de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures du Mali ; même si le schéma présenté par Traoré lors de son discours à la nation*** doit beaucoup aux « entretiens de Paris » lorsqu’il y séjournait en convalescence. Ces structures visent, selon Bassolé, la « concertation » et le « partage des responsabilités ». Les mots ont un sens : ils signifient concrètement « qu’on ne peut pas […] ignorer ce qui s’est passé le 22 mars à Bamako » donc : « les militaires doivent être associés à l’œuvre de la paix et de la réconciliation ». Ils signifient aussi que « le MNLA est toujours un interlocuteur parce qu’il se veut être une force politique et militaire qui a lancé le mouvement d’indépendance ». Et c’est là que le savoir-faire de Compaoré et de Bassolé entre en jeu : « Nous devons songer à obtenir des mouvements armés maliens qu’ils s’entendent sur une plateforme minimale et qu’ils harmonisent leurs points de vue pour que la négociation puisse être plus efficace, pour davantage consolider la paix ». Bassolé précise : « Le président du Faso envisage de réunir ici [à Ouaga] les représentants des différentes communautés vivant au Nord-Mali, afin de les impliquer dans la recherche d’une solution durable de paix ». « Solution durable » : c’est le fil rouge ! C’est aussi, pourquoi, Bassolé souligne que l’Algérie et la Mauritanie « ont toujours été associées à tous les sommets des chefs d’Etat qui ont été convoqués sur la crise malienne » ; et qu’il se « félicite » que le Tchad (qui a l’expérience militaire du terrain sahélo-saharien) soit « disponible » en vue « d’accroître l’efficacité opérationnelle d’une intervention militaire ». Difficile d’être plus cohérent dans la démarche. Pour le reste, espérerons que la qualité des hommes, au Mali, et que la conjoncture géopolitique, en Afrique de l’Ouest, soient au rendez-vous de l’Histoire. C’est une autre affaire bien soulignée d’ailleurs par Christophe Châtelot dans Le Monde daté du 9 août 2012.
* Dans l’entretien avec Sidwaya (cf. infra), Djibrill Y. Basolé ne manque par de noter que « ce qui est remarquable au Burkina Faso, c’est la capacité de la société elle-même de se prendre en charge et de s’assumer, même dans l’adversité ».
** Il faut les nommer : Romaric Ollo Hien, Enock Kindo, Bachirou Nana, Ozias Tiemtore. Ce qui fait la qualité de cette interview c’est, bien sûr, la personnalité de l’interlocuteur mais aussi, et surtout, le bien fondé des questions et la capacité des journalistes à rebondir à partir des réponses.
*** Sécurité des institutions confiée aux forces de défense et de sécurité maliennes ; Haut Conseil d’Etat (HCE) comprenant le président de la République et deux vice-présidents, l’un en charge des forces de défense et de sécurité, président du Comité militaire de la réforme des forces de défense et de sécurité (un job pour la capitaine Sanogo ?), l’autre en charge des forces vives de la Nation (un job pour Cheick Modibo Diarra ?) ; un Conseil national de transition (CNT), organe consultatif ; une Commission nationale aux négociations (CNN) réclamée par le groupe de contact sur le Mali de la Cédéao.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Disons les choses telles qu’elles sont : si le Burkina Faso n’était pas ce qu’il est on pourrait penser que Ouaga se sent isolée dans la conduite de cette médiation. Il y a sept mois que la crise malienne a éclaté et il n’y a que Dioncounda Traoré, le président intérimaire du Mali, pour affirmer : « Si vous nous faites confiance, nous en étonnerons plus d’un par la rapidité avec laquelle cette crise sera résolue » (discours à la Nation – dimanche 29 juillet 2012). Quelques jours auparavant, Djibrill Y. Bassolé, le ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, avait dû participer au point de presse hebdomadaire du gouvernement, le jeudi 26 juillet 2012, pour affirmer que « la médiation n’a pas échoué. Bien au contraire, a-t-il ajouté, c’est lorsqu’il y a des difficultés que la médiation doit redoubler d’attention et d’ardeur pour concilier les prises de position et amener tous les Maliens à se conformer à la normalité constitutionnelle ».
Bassolé ne ménage pas ses efforts (et sa prise de risque calculée : il s’est rendu le mardi 7 août 2012 à Gao et Kidal, deux fiefs des mouvements armés islamistes), conscient de l’impact de la « crise malo-malienne » sur la situation géopolitique de l’Afrique de l’Ouest, d’Alger à Abidjan et de Nouakchott à Ndjamena. Quand tant d’autres traitent ce dossier avec beaucoup de légèreté intellectuelle, politique et diplomatique, Bassolé affirme, jour après jour, malgré la difficulté de la tâche et l’inanité de « l’action » des autres (y compris de la classe politique malienne), une cohérence qui n’honore pas seulement les responsables politiques burkinabè mais aussi les acteurs d’une société civile qui, pour l’essentiel (et là encore malgré le jeu politique intérieur burkinabè), accompagne le gouvernement dans sa recherche d’une solution durable aux maux qui minent le Mali depuis le début de l’année 2012.
Ce qui fait, me semble-t-il, la valeur des médiations menées par Ouaga c’est la prise en compte, au-delà du dossier concerné stricto sensu, des intérêts des populations burkinabè. Avec une diaspora qui compte plusieurs millions de ressortissants dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les responsables politiques sont chaque fois préoccupés de stabiliser les pays de la zone et, surtout, lorsque ceux-ci sont déstabilisés, de ne pas jouer gaillardement « Malbrough s’en va-t-en guerre, mironton, mironton, mirontaine. Ne sais quand reviendra ».
Homme d’arme (colonel de gendarmerie), homme de droit (c’est un juriste), homme d’Etat (ministre des Affaires étrangères après avoir été, notamment, ministre de la Sécurité), homme politique (membre du BP du CDP) - j’ajoute, le connaissant personnellement : homme de rigueur et homme de cœur fidèle en amitié – Bassolé était bien armé pour mener sur le terrain cette médiation qui mobilise plusieurs personnalités diplomatiques et militaires burkinabè. Cette concordance des temps entre la classe politique et la société civile*, j’en vois une expression aboutie dans l’entretien mené par des journalistes du quotidien national Sidwaya** à la veille du départ de Bassolé pour Gao et Kidal. Etre médiateur nous dit-il, c’est « toujours garder la même humeur, ne jamais montrer que vous êtes dépassé ou excédé [et] toujours être modéré dans le propos. Cela nécessite de faire violence sur soi-même parce qu’il y a des moments de vives tensions ». On imagine la « violence » que les Burkinabè ont dû exercer sur eux-mêmes au cours de cette médiation ! Ouaga aurait pu se contenter d’une action « bling-bling » - on a vu, par le passé, des chefs d’Etat en pratiquer - mais les Burkinabè savent qu’il leur faut mener une « médiation structurante » qui résolve les problèmes du présent ; et n’injurie pas l’avenir. Réussir ce que j’appelle une « médiation structurante », c’est « faire la part des choses » nous dit Bassolé. « Apaisement et réconciliation » au Sud. Et c’est le rôle dévolu à Dioncounda Traoré « qui, avec l’implication de l’ensemble des forces vives de la nation malienne,[pourra] réaliser les objectifs de la transition, à savoir gérer la crise au Nord du Mali et organiser des élections crédibles sur toute l’étendue du territoire national ». On notera que Bassolé prend soin de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures du Mali ; même si le schéma présenté par Traoré lors de son discours à la nation*** doit beaucoup aux « entretiens de Paris » lorsqu’il y séjournait en convalescence. Ces structures visent, selon Bassolé, la « concertation » et le « partage des responsabilités ». Les mots ont un sens : ils signifient concrètement « qu’on ne peut pas […] ignorer ce qui s’est passé le 22 mars à Bamako » donc : « les militaires doivent être associés à l’œuvre de la paix et de la réconciliation ». Ils signifient aussi que « le MNLA est toujours un interlocuteur parce qu’il se veut être une force politique et militaire qui a lancé le mouvement d’indépendance ». Et c’est là que le savoir-faire de Compaoré et de Bassolé entre en jeu : « Nous devons songer à obtenir des mouvements armés maliens qu’ils s’entendent sur une plateforme minimale et qu’ils harmonisent leurs points de vue pour que la négociation puisse être plus efficace, pour davantage consolider la paix ». Bassolé précise : « Le président du Faso envisage de réunir ici [à Ouaga] les représentants des différentes communautés vivant au Nord-Mali, afin de les impliquer dans la recherche d’une solution durable de paix ». « Solution durable » : c’est le fil rouge ! C’est aussi, pourquoi, Bassolé souligne que l’Algérie et la Mauritanie « ont toujours été associées à tous les sommets des chefs d’Etat qui ont été convoqués sur la crise malienne » ; et qu’il se « félicite » que le Tchad (qui a l’expérience militaire du terrain sahélo-saharien) soit « disponible » en vue « d’accroître l’efficacité opérationnelle d’une intervention militaire ». Difficile d’être plus cohérent dans la démarche. Pour le reste, espérerons que la qualité des hommes, au Mali, et que la conjoncture géopolitique, en Afrique de l’Ouest, soient au rendez-vous de l’Histoire. C’est une autre affaire bien soulignée d’ailleurs par Christophe Châtelot dans Le Monde daté du 9 août 2012.
* Dans l’entretien avec Sidwaya (cf. infra), Djibrill Y. Basolé ne manque par de noter que « ce qui est remarquable au Burkina Faso, c’est la capacité de la société elle-même de se prendre en charge et de s’assumer, même dans l’adversité ».
** Il faut les nommer : Romaric Ollo Hien, Enock Kindo, Bachirou Nana, Ozias Tiemtore. Ce qui fait la qualité de cette interview c’est, bien sûr, la personnalité de l’interlocuteur mais aussi, et surtout, le bien fondé des questions et la capacité des journalistes à rebondir à partir des réponses.
*** Sécurité des institutions confiée aux forces de défense et de sécurité maliennes ; Haut Conseil d’Etat (HCE) comprenant le président de la République et deux vice-présidents, l’un en charge des forces de défense et de sécurité, président du Comité militaire de la réforme des forces de défense et de sécurité (un job pour la capitaine Sanogo ?), l’autre en charge des forces vives de la Nation (un job pour Cheick Modibo Diarra ?) ; un Conseil national de transition (CNT), organe consultatif ; une Commission nationale aux négociations (CNN) réclamée par le groupe de contact sur le Mali de la Cédéao.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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