Les “guerres nomades” gagnent le Mali |
Lundi, 13 Août 2012 |
Vous avez beaucoup écrit sur les « guerres nomades ». Assistons nous à un phénomène comparable au Mali ? Dès 1989, on a vu la guerre gagner du terrain, depuis le Liberia jusqu’en Sierra Leone, puis, en 2002, atteindre la Côte d’Ivoire. A cette époque déjà, il s’agissait de peuples guerriers. Ils étaient favorisés par des frontières poreuses, qui coupent des ethnies qui se retrouvent de chaque côté des frontières. Les mécanismes de ces guerres se ressemblent : les groupes armés disposent d’une base arrière, (à l’instar de Charles Taylor qui pouvait se replier sur Danane en Côte d’Ivoire) puis établissent un foyer de l’autre côté de la frontière et de là, tentent de progresser vers la capitale. Où se trouve aujourd’hui le foyer de cette nouvelle guerre nomade ? Si on essaie de transposer le concept, il apparaît que le foyer se trouve dans le Nord du Mali. Il dispose de ressources en hommes et en matériel au départ de la Libye, cette Libye qui a implosé après la chute de Kaddhafi et la guerre néocoloniale menée par la France et de l’Otan. Les spécialistes estiment qu’entre 5 et 10.000 missiles ont été mis en circulation dans la nature. Les guerriers touaregs qui faisaient partie des troupes irrégulières de Kaddhafi, -la légion arabe-, ont été remis à disposition de leur pays d’origine. Le président du Mali Amadou Toumani Touré a très mal négocié, puisqu’il a laissé ces Touaregs revenir dans le nord du pays avec armes et bagages, avec leur vieille revendication d’un Etat touareg. Les Touaregs sont comme les Kurdes, un peuple sans Etat. Le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) incarne leurs aspirations : disposer d’un territoire, l’ Azawad, qui s’étendrait sur le Nord du Mali au nord du Niger (où Areva exploite l’uranium) Si la guerre nomade se poursuit, elle atteindra la Mauritanie, l’Algérie et le groupe Boko Haram, du Nigeria, aurait rejoint les combattants. Comment les Touaregs seraient ils devenus islamistes ? Il y a au fond deux revendications parallèles, qui s’étendent sur un même territoire : les Touaregs sont prêts à demeurer dans le Nord du Mali, autour des villes de Gao, Mopti, Tombouctou tandis que les islamistes ont pour objectif soit de descendre vers la capitale soit de créer une sorte de réduit islamiste. Un Afghanistan nomade aux portes de l’Europe… La dictature libyenne avait fixé beaucoup de groupes guerriers itinérants et l’OTAN a favorisé, en Libye, le retour des groupes guerriers touaregs surarmés, dotés de RPG et de missiles vers le Nord du Mali et du Niger…Au sein de certains milieux militaires français, on nourrissait une sympathie larvée pour les Touaregs, avec des réminiscences coloniales… On se rappelle que les compagnies méharistes étaient naguère dirigées par des officiers français…J’ai rencontré autrefois des officiers français qui disaient qu’il fallait collaborer avec les Touaregs pour contrôler le désert… Favoriser les Touaregs pour lutter contre Al Qaida notamment à propos des otages français : c’était une sorte de partie de billard à trois bandes…Mais on jouait avec de la dynamite car finalement, les deux parties se sont alliées pour conquérir le Nord du Mali… On a donc obtenu le contraire de ce que l’on souhaitait et on a déstabilisé un Etat fragile, où cohabitaient les nomades et les peuples sédentaires, que les premiers considèrent toujours comme d’anciens esclaves. Les ressources de l’Azawad (gaz, pétrole) ont-elles joué ? L’idée d’un Azawad indépendant rejoint de très vieux projets coloniaux, qui datent du moment de l’indépendance de l’Algérie : garder le Sahara indépendant, pour pouvoir exploiter ses ressources en pétrole et en minerais…Ces scénarios géopolitiques assez primaires remettent tous en question la légitimité des Etats sahéliens et notamment le Mali et le Niger. Une intervention militaire de la CEDEAO (Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest) pourrait-elle être efficace ? Pas du tout : la force militaire de l’Ecomog a été une catastrophe ambulante et je ne vois pas ce que pourraient apporter des présidents issus de coups d’Etat comme Blaise Compaoré au Burkina Faso ou appuyés par une rébellion armée comme Ouattara en Côte d’Ivoire…En Côte d’Ivoire, les anciennes Forces nouvelles ou leurs alliés les combattants dozos sont plus qu’opposés à aller combattre au Mali. Ce sont des peuples frères et ils préfèrent poursuivre leur entreprise de pillage du Sud de la Côte d’Ivoire. En plus, en Côte d’Ivoire il y a des liens entre des « com zones » (comandants de zone) pro Ouattara et certains milieux islamistes… Ne seraient ce que des complicités au niveau des trafics, d’armes et de drogue… Qui pourrait jouer un rôle stabilisateur ? L’Algérie pourrait le faire, mais n’a aucun envie de sortir de ses frontières. Au contraire elle a poussé vers le Sud le GSPC, (groupement salafiste), ancêtre d’Aqmi, au-delà de ses frontières. L’Algérie considère qu’elle doit avoir une position dominante dans le Sahara et repousse toute idée d’une intervention française ou américaine… A terme toute cette zone va être interdite d’accès aux Occidentaux…Pour moi c’est aussi la conséquence des deux interventions militaires sarkozistes, en Côte d’Ivoire et en Libye…Les effets pervers de ces interventions s’avèrent plus importants que les bénéfices momentanés que les intérêts français ont pu en retirer. Mais de telles considérations n’ont pas pesé dans la campagne électorale… Colette Braeckman / Blog / le 19.04.12 Entretien avec Michel Galy, politologue |
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