Le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, l'assurait il y a quelques jours sur France 24 : "Les Touareg, sauf ceux qui se sont laissés embrigader par des groupes terroristes (… ), sont nos amis". Pourtant, ce point de vue est loin d'être partagé par l'allié malien, avec qui la France combat depuis le 11 janvier. "La population de Bamako a plus de haine contre les Touareg que contre les groupes islamistes", rappelle le politologue Michel Galy.
Une position que l'on retrouve jusque sur le compte Twitter officiel de la présidence malienne. Lorsque le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), principal groupe laïque touareg, a annoncé lundi 28 janvier la prise de Kidal, la seule ville du nord qui échappe encore au contrôle de Bamako, il a assuré vouloir protéger les civils contre "les exactions criminelles" de l'armée malienne. La présidence du Mali a réagi en qualifiant le mouvement d'"imposture".
C'est dans cette atmosphère tendue que les armées française et malienne reprennent progressivement le contrôle du nord du Mali, où vivent Touareg et Arabes. Francetv info détaille les risques qui pèsent sur ces populations.

Pillage et craintes d'exécutions à Gao et Tombouctou

Sévaré, Diabali… Les armées malienne et française n'étaient même pas entrées dans le nord du Mali que des premières exécutions et bastonnades étaient signalées, comme dans ce reportage de France 2 ou celui de France 24. Après la prise de Tombouctou, les commerces tenus par des "Arabes" ont été pillés, mardi 29 janvier, par une foule en colère.

Barbe trop fournie, peau un peu trop claire, il suffit d'un rien pour être assimilé aux groupes islamistes armés qui occupaient le nord du pays depuis avril 2012. "La population de la ville de Gao dénonce comme un membre d'Aqmi toute personne à la peau claire, qu'elle soit touareg ou arabe, l'attrape et la remet à l'armée malienne", explique depuis la frontière entre le Mali et le Burkina Faso Mossa Ag Attaher, porte-parole du MNLA, contacté par francetv info. Un bon connaisseur de la région nuance cependant ces affirmations, expliquant que les organisations touareg ont tendance à "dramatiser la situation".
La haine à l'égard du MNLA, accusé d'avoir donné les clés du nord aux groupes islamistes et d'avoir massacré une centaine de militaires maliens à Aguelhok en février 2012, alimente aussi le ressentiment. Certes minoritaires, "ils font l'amalgame entre MNLA et Touareg, puis entre MNLA et terroristes", regrette André Bourgeot, spécialiste du Mali au CNRS, après avoir souligné "l'hostilité extrêmement importante des populations maliennes contre le MNLA".
Du côté de l'organisation humanitaire Human Rights Watch (HRW), on ne recense pour l'instant que quelques pillages à Tombouctou, deux lynchages par la population et une mort suspecte à Gao. Corinne Dufka, membre de l'équipe d'HRW à Bamako, estime cependant que le plus dur est à venir. "Quand les habitants [qui avaient pris la fuite devant l'avancée des jihadistes] vont revenir, ils vont voir ce qu'ils ont perdu et le risque de représailles va augmenter, explique-t-elle. Il y a un vide de pouvoir qui peut provoquer beaucoup de violence si les armées malienne et française ne prennent pas leurs responsabilités."

9 000 réfugiés depuis le début de l'opération Serval

Certains habitants de la région n'ont pas attendu pour se mettre à l'abri. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), 9 000 personnes ont fui depuis le début des opérations militaires françaises au Mali, le 11 janvier. "J'ai tout perdu, les militaires maliens ont tout brûlé, ma maison, mes boutiques. Plus rien ne reste. Mais ce qui compte, c'est d'être vivant", témoigne l'un d'entre eux, réfugié à Nouakchott, en Mauritanie, sur Rue89.
Toujours selon le HCR, des centaines de personnes ont fui la ville de Kidal ces derniers jours pour gagner l'Algérie. Si ces mouvements de population sont également dus aux pénuries de nourriture provoquées par le conflit, le HCR a lancé "un appel aux chefs de ces communautés et aux autorités maliennes pour que la priorité soit donnée aux initiatives destinées à promouvoir la paix et la réconciliation entre les différents groupes ethniques".

Le risque d'un nouveau conflit touareg

Mais ces tensions pourraient relancer à nouveau le conflit qui oppose régulièrement l'armée malienne aux indépendantistes touareg depuis la première révolte de 1963. Un conflit mis en sommeil en avril 2012 par l'irruption des groupes jihadistes dans le paysage."Nous considérons toute avancée unilatérale de l'armée malienne vers Kidal comme une déclaration de guerre", menace Mossa Ag Attaher, qui affirme à l'inverse que l'armée française, qui a pris le contrôle de l'aéroport de la ville mercredi 30 janvier, est "la bienvenue".
Côté malien, on assure que la reconquête du fief touareg, situé à 1 500 km de Bamako, n'est qu'une question de temps. "Le moment venu, l'armée va les chasser", a déclaré le colonel Souleymane Maïga à un journaliste de la BBC. Comment la France, dont l'objectif premier est la chasse aux groupes jihadistes, va-t-elle se positionner dans ce conflit ? Va-t-elle laisser au MNLA le contrôle de Kidal ? "Si l'armée française laisse Kidal en l'état, on est en droit de se demander pourquoi. Aucun pays ne reconnaît le MNLA", s'interroge André Bourgeot, pour qui les propos de Jean-Yves Le Drian relèvent de l'ingérence dans les affaires intérieures du Mali.
La France, qui a affirmé à plusieurs reprises vouloir aider le Mali à retrouver son intégrité territoriale, peut difficilement soutenir les velléités d'autonomie du MNLA. Mais elle ne peut pas non plus prendre le risque d'un nouveau conflit touareg. D'autant plus que les Touareg qui vivent au Niger, en Libye ou en Algérie pourraient décider d'intervenir. "Il pourrait y avoir une guerre nomade qui s'étende dans les pays alentours", estime Michel Galy. Un ancien rebelle touareg du Niger confiait ainsi à L'Express, le 25 janvier: "Si les opérations tournaient au massacre de nos frères, nous ne pourrions pas rester les bras croisés."