mercredi 20 février 2013

Si les Touaregs ont un problème, ce n'est pas avec les Maliens, mais avec l’État

Si les Touaregs ont un problème, ce n'est pas avec les Maliens, mais avec l’État
Cheikh Ag Tiglia
Musicien du groupe Tamikrest

Si les Touaregs ont un problème, ce n'est pas avec les Maliens, mais avec l’État

08 février 2013, 19:09
Les Touaregs ont, de toute évidence, droit à l'autodétermination, une aspiration partagée par une grande majorité au sein de notre communauté. Malheureusement, la proclamation de l'indépendance de l'Azawad du 6 avril dernier a été entachée par l'avancée des milices islamistes. Mais, qu'entendons-nous par autonomie? La réponse est simple: la même chose que quiconque dans le monde. On veut se sentir acceptés, on veut sentir que notre peuple existe aux yeux des autres. Et cela peut aussi passer, comme ailleurs, par un système fédéral.
L'autonomie? Cela veut dire des écoles, des hôpitaux et des accès à l'eau
La souffrance n'est pas un vain mot pour le peuple Touareg. Nous vivons au Sahel, des régions désertiques immenses, ce qui implique des moyens pour vivre décemment. Or, l’État malien ne fait rien pour nous aider, aujourd'hui comme hier. Depuis l'indépendance, le Mali nous a toujours considérés comme des citoyens de seconde zone, a toujours ignoré nos revendications.
Que veut dire donc cette autonomie? Cela veut dire des écoles, des hôpitaux, des services publics. Qu'enfin le nord du Mali ne soit plus négligé, que la priorité des investissements y soit, pour une fois, consacrée, que l'on cesse d'être obligés de traverser le pays afin de faire soigner nos familles. Le pays entier connaît notre situation, personne ne peut affirmer l'ignorer.

Les grands problèmes sont connus. En premier lieu, demeure le manque de moyens pour l'éducation, l'absence d'écoles secondaires et d'universités. Sans cela, comment instruire la jeunesse, lui donner pleinement ses chances? Ensuite, les services de santé quasiment absents au Nord et bien plus présents au Sud. Après, l'accès à l'eau bien trop inégal. Le fait qu'avec l'aide de financements internationaux, ils aient pu détourner le fleuve Niger pour alimenter Tombouctou, ville à la réputation mondiale, prouve bien que tout est question de volonté politique. Les intérêts du pouvoir central sont systématiquement favorisés et ce, à notre détriment.
Une simple question de liberté et de respect des droits
Que l'on reconnaissance aussi notre langue - le tamasheq - et nos droits politiques. Et tout cela, l'autonomie peut nous l'apporter, que ce soit dans l'indépendance ou dans un Mali plus décentralisé. Le fait est, les Touaregs ont toujours été mis à l'écart. Loin d'être des racistes, des terroristes, des islamistes ou des rebelles, ce sont surtout des gens qui cherchent la liberté et le respect de leurs droits. Cette fois, avec la crise actuelle, on ne peut plus attendre, il faut que Bamako accède à nos revendications. Que le dialogue politique reprenne pleinement ses droits.
Un autre point me paraît essentiel à rappeler. Contrairement à ce que certains disent, les Touaregs ne sont pas racistes, n'ont rien que les autres populations maliennes. Si les Touaregs ont un problème, ce n'est pas avec les Maliens, mais avec l’État. Ne confondons pas revendications politiques et rejet de l'autre. Ceux qui essayent d'envenimer la situation, de jouer les uns contre les autres, d'attiser les questions raciales ne le font qu'à des fins politiques et dans le cas présent, pour discréditer les aspirations du peuple Touareg. Mais la réalité est autre, nous avons toujours cohabité sans mal avec les Noirs, la couleur de peau n'est jamais entrée en compte. Et depuis que je suis né, c'est comme ça.
Les premières victimes des jihadistes, ce sont les Touaregs !
Dans le même esprit, affirmer que le MNLA n'est pas représentatif du mouvement touareg n'est qu'illusion, manœuvre de déstabilisation. Les revendications du MNLA ne font que reprendre les aspirations de l'ensemble des Azawadiens. Les Touaregs ne sont ainsi pas les seuls à soutenir le MNLA, les Songhaïs également et la majorité des populations du nord Mali. Le MNLA n'a, en outre, rien à voir avec les milices islamistes, ils ont juste saisi l'opportunité de«doubler» le mouvement nationaliste au moment de leur attaque. Aqmi n'est pas dans la région depuis un an, que je sache! Cela fait plus de dix ans qu'ils ont des bases dans la région et qu'on les laisse faire. Feindre la surprise est donc assez révoltant.
Les premières victimes des jihadistes, ce sont les Touaregs. Qui a combattu les terroristes en 2006 si ce n'est les combattants touaregs? Aujourd'hui, on a tendance à faire l'amalgame mais beaucoup de jihadistes dans la région viennent de l'étranger (Nigeria, Egypte, Europe aussi, etc.). C'est la double peine en fait, les Touaregs souffrent depuis des années de la présence de ces groupes terroristes internationaux et en plus, on les assimile à eux. Toutes ces années, qu'a fait l'armée malienne pour protéger les populations du nord Mali contre Aqmi? Rien.
Aujourd'hui, sur le terrain, avec la guerre qui sévit, la situation des populations civiles – déjà difficile – s'est beaucoup aggravée. Comme toujours, ce sont elles qui souffrent le plus, qui tentent tant bien que mal de se nourrir, de se déplacer afin de se protéger. Par nature, le désert est un milieu hostile et avec cette guerre, cela devient catastrophique. Je suis très inquiet du sort de tous ces réfugiés Mais, qui pensent à eux aujourd'hui?
Pour finir et pour être sincère, je me sens bien plus Touareg que Malien. Pour avoir vécu toujours dans le Nord, pour avoir été élevé parmi les miens, lorsque je descends dans le sud du pays, je vois les changements. La différence de moyens est trop forte. Comment se sentir Malien devant autant d'inégalités? A Bamako, j'ai l'impression d'être dans un autre pays. Le jour où ce pays me mettra sur un même pied d'égalité que les autres, peut-être me sentirais-je un peu plus malien.

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