mardi 19 février 2013

Hollande à Tombouctou : la deuxième défaite de Samory - maliweb.net

Hollande à Tombouctou : la deuxième défaite de Samory - maliweb.net
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Le 29 septembre 1898, au petit matin, des colonnes de tirailleurs menées par le sergent Bratieres, le lieutenant Jacquin et le commandant Gouraud, foncent les unes après les autres, vers une petite clairière à l’extrême est de ce qui est aujourd’hui la république de Guinée. En quelques minutes elles investissent le camp où Samory Touré s’était retranché à bout de forces et de munitions. Le vieil homme, surpris alors qu’il lisait son coran sur le pas de sa case, tentera d’abord de chercher un cheval pour échapper à ses ennemis, avant de reconnaître sa défaite et d’inviter ses sofas à baisser les armes pour éviter un bain de sang.

C’était l’épilogue de quinze ans de lutte acharnée contre les Français, la fin de la dernière grande résistance, en Afrique de l’ouest, contre l’occupation coloniale. L’homme qui avait refusé de se transformer en souverain protégé sera durement sanctionné par l’exil et la torture morale.

L’entrée de troupes françaises à Tombouctou ou Gao constitue une nouvelle défaite pour Samory : cent quinze ans après sa reddition, nos pays sont redevenus des états protégés. Ce retour de la France en Afrique n’est certes pas le retour de la Françafrique mais c’est la manifestation de l’échec de nos « indépendances » et celui de l’instauration d’une doctrine Monroe à l’africaine. En dépit du lyrisme, et peut-être de la sincérité dont Hollande a fait preuve à Bamako ,ce qu’il faut d’abord regretter c’est que, plus d’un demi siècle après son accession à la souveraineté nationale , le Mali soit contraint de faire appel à son ancien colonisateur pour régler des problèmes internes et qu’aucun pays africain n’ait été en mesure de précéder ni même d’accompagner l’ancienne métropole. La France était donc seule pour bouter les terroristes de Konna, Diabali, Douentza, Gao, Tombouctou…

Certes l’intervention militaire française peut se prévaloir d’une légitimité garantie par une résolution des Nations-Unies.Elle répond à une demande pressante du gouvernement légal de Bamako.

Elle vise à neutraliser non des résistants mais des terroristes coupables de violences gratuites et de violations des droits de l’homme. Certes François Hollande a eu la délicatesse de reconnaitre que la présence des forces françaises au Mali n’était qu’un rendu pour un prêté et qu’elle répond au soutien que les soldats africains avaient apporté pour la libération de la France. Mais, malgré ces précautions et ces bonnes paroles, on ne peut pas ignorer que l’armée malienne n’a été qu’une armée « embedded »et que la France n’est pas un allié qui combat à ses côtés et s’en tient aux limites qu’elle lui fixe. La France est un parrain, libre de ses mouvements, qui agit quelquefois à son propre compte et toujours selon ses propres priorités. La meilleure preuve en est fournie par son escapade solitaire à Kidal, où elle est allée sans avoir eu la courtoisie d’informer l’armée malienne, et où, déjà, elle a ouvert des négociations. La paix se fera à ses conditions parce qu’elle est justement la seule à pouvoir la garantir et François Hollande ne s’est pas privé de distribuer des conseils à Bamako.

En réalité c’est tout ce qui se passe au Mali depuis près d’un an qui nous chagrine et constitue une défaite pour tous les Africains.

En 1960 nous croyions tous que « le temps de nous-mêmes » était enfin arrivé, celui de notre émancipation politique, mais aussi celui de la prise en mains de notre destin, de la maîtrise et de la réorientation de notre économie, de la restauration de nos valeurs. Il n’en est rien et aujourd’hui la marchandise la plus prisée dans les rues de Bamako est le drapeau français et les élèves des écoles maliennes réapprennent à chanter la gloire de la France.

Nous avions cru, il y a quelques années, qu’après deux coups d’état et des répressions sanglantes le Mali avait, enfin, acquis définitivement le statut d’état démocratique. Ses institutions fonctionnaient, sa presse était l’une des plus libres de la sous-région. Subitement il a basculé à nouveau dans la sédition et l’anarchie révélant sa face cachée d’état maffieux où la corruption régnait en maître au plus haut niveau de la nation. Comme si cela ne suffisait pas, au désastre intérieur s’est ajouté l’invasion. On découvre alors que l’armée malienne était plus riche en généraux qu’en munitions et surtout en ardeur combattive, qu’elle était une milice plus apte à réprimer les révoltes urbaines et à organiser les pronunciamientos qu’à affronter un ennemi extérieur. Son repli stratégique était en réalité une débandade qui l’avait expulsée des deux tiers du territoire qu’elle était censé défendre.Car, l’appétit venant en mangeant les mouvements qui s’étaient rebellés contre elle et dont l’ambition première était de restaurer l’unité et l’autonomie des peuples nomades du nord, s’étaient emparés sans coup férir des vieilles métropoles songhoï que sont Gao et Tombouctou, avaient franchi le fleuve Niger, frontière symbolique entre le nord et le sud et menaçaient Bamako.Heureusement Zorro est arrivé !

La France réussira à faire en deux semaines ce que les pays africains n’avaient pas réussi à faire en huit mois malgré une demi-douzaine de sommets de chefs d’état et de chefs des armées. Le retour des soldats français sur notre sol, à notre demande cette fois, nous remet à notre vraie place : notre survie dépend toujours de l’ancien colonisateur. Nos armées ont encore besoin d’être « entrainées » à faire la guerre, elles ne sollicitent pas seulement de l’argent et des munitions, elles veulent désormais qu’on vienne faire le boulot à leur place !

« France is back ! » donc. Ses navires débarquent des armes dans nos ports, le cortège de son armada sillonne nos routes, ses généraux s’expriment à la sortie des bureaux de nos présidents.

Le blitzkrieg mené par les 3500 soldats de l’opération Serval contre des rebelles à peine plus nombreux mais éparpillés, eux, sur 1000 km est une aubaine pour un président en manque de reconnaissance. Jamais sans doute un président français n’avait foulé le sol de la mythique Tombouctou, mais l’image de François Hollande devant la mosquée de Djinguereber est comme celle d’un chasseur qui pose le pied sur la crinière du lion qu’il a abattu : elle est du domaine de la communication. Au Mali Hollande a acquis la stature internationale qui lui manquait et en se rendant à Tombouctou il donnait la preuve qu’il n’y a pas au Mali de cité qui lui soit interdite.

Pour les Français la guerre, « leur guerre », est presque finie, même si le combat n’est pas terminé. Acculé, pressé de questions le président français a fini par dire qu’il restera « le temps qu’il faudra » : ce temps se mesure désormais en semaines, celui de permette aux « Africains » de s’installer. Mais si la guerre des Français est terminée, celle des Maliens n’a pas encore commencé. De ce qui s’est passé nous n’avons ni images ni bilan, matériel et humain, y compris au plan des éventuelles bavures françaises et des probables exactions maliennes. Il n’y a eu, presque, aucun affrontement direct au sol et rien ne permet de dire qu’il y a eu défaite des rebelles et non pas repli stratégique. L’armée malienne devra bien aller là où la France refuse de l’amener. Or elle est troublée par son manque de compétences et par la cacophonie qui règne à son sommet puisque son commandant suprême obéit à un petit capitaine calfeutré à Kati et qui fait et défait les gouvernements. Apres le départ des Français elle devra composer avec la présence de 8000 soldats africains, car désormais la première force du pays est une force étrangère.

Après la guerre par les armes le Mali aura à mener une guerre plus intérieure. Il devra se guérir d’avoir, pendant des mois, donné à croire à sa jeunesse et à son peuple qu’ils ne pouvaient compter que sur les autres. « Allah est grand, Hollande est le sauveur ! » chante t-on dans les écoles depuis des semaines. Comment continuer à y enseigner que la France a été une puissance impérialiste face à ceux qui traitent son président de libérateur ? Comment continuer à glorifier Soundiata et Kankan Moussa si le peuple ne jure plus que par « François Hollande Keïta » proclamé 334e saint de Tombouctou ?

Par SudQuotidien (Sénégal) - sudonline.sn – 05/02/2013

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