Me Kassoum Tapo sur la Radio nationale du Mali : «Il faut qu’on retrouve les valeurs d’intégrité, de combativité et de solidarité»
Par - Date: 27 Février 2013
Le 4ème vice-président de l’Assemblée nationale, Me Kassoum Tapo, vient d’accorder un entretien à la Radio nationale du Mali. Il a été question de la crise que traverse le Mali, ses conséquences, le rôle joué par l’Assemblée nationale, la préparation et l’organisation des élections, l’intervention française, les enseignements qu’il faut tirer de la crise. Mais aussi l’adoption par le Parlement de la feuille de route de la transition à l’unanimité, sans oublier le traitement de l’information par les journalistes de la presse étatique. Sans langue de bois, Me Tapo a répondu à toutes ces questions.
Pensez-vous qu’il faut aujourd’hui une refondation de la société malienne basée sur des institutions démocratiques et crédibles ?
Me Kassoum Tapo : Il ne peut en être autrement, parce qu’aujourd’hui tous les défis nous sont lancés : une cohésion totale, une unité absolue de tous les Maliens. Et l’Assemblée nationale a donné cette preuve qu’on est capable de discuter. Vous avez vu les débats ; ils ont été vifs. Donc, cela prouve qu’on est capable de discuter, de ne pas être d’accord sur certaines choses, mais de nous retrouver autour de l’essentiel. En témoigne la feuille de route qui comporte l’essentiel et qui porte aujourd’hui sur la récupération du nord de notre pays et l’organisation de bonnes élections.
Vous avez dit deux points essentiels : la récupération du nord et l’organisation de bonnes élections. S’agissant du premier point, comment se passent les choses, êtes-vous satisfait de la manière dont elles se déroulent ?
Là également, j’ai dit que l’histoire nous a donné raison, raison à ceux qui avaient toujours pensé qu’on avait besoin d’un appui de la Communauté internationale pour pouvoir combattre les islamistes et les terroristes qui étaient au nord du Mali. Dieu merci, la France a pris ses responsabilités parce qu’elle est la puissance la plus proche du Mali. Elle avait certainement des informations que nous-mêmes n’avions pas. Donc, elle ne s’est pas laissé surprendre par l’avancée des islamistes vers le sud du pays. La France a anticipé et fait son devoir. Grâce à elle, nous avons l’appui aérien que nous n’avions pas. C’est grâce à l’appui aérien que la France a pu stopper l’avancée des rebelles vers le sud. Ce qui a permis à notre armée nationale d’avancer et de reprendre le territoire, très rapidement en deux, trois semaines. Vous avez vu que l’intégralité du territoire a été récupérée par notre armée, appuyée par la France et la Communauté internationale.
Second point : les élections. On a commencé à avancer une date. On pense qu’elle peut se tenir avant la fin du mois de juillet au plus tard, en tout cas. Pourtant, il y a des Maliens qui se posent des questions à ce sujet. Qu’en pensez-vous ?
Evidemment, je me pose aussi des questions. À l’Assemblée nationale, j’avais dit que de mon point de vue, qu’on ne pouvait pas faire les élections maintenant. J’étais très pessimiste. J’avais même envisagé qu’on puisse aller jusqu’au mois de mai, avril-mai de 2014, pour jumeler les élections municipales aux législatives. C’était ça mon point de vue. Mais, si l’administration dit qu’elle peut être techniquement et matériellement prête pour le mois de juillet, pourquoi pas nous, classe politique. Notre souhait n’est pas que nous sortions très rapidement de cette transition, par l’organisation de bonnes élections. Il ne sert à rien de se précipiter pour faire des élections bâclées, qui vont conduire à une crise post-électorale, qui va nous ramener à la case départ. Moi, mon inquiétude, c’est ça. Dans la mesure où l’administration se dite prête, qu’elle a un chronogramme des élections, elle peut reprendre le fichier pour cette date, pourquoi pas. Nous ne voyons absolument aucun inconvenant. J’ajoute que, personnellement, j’ai entièrement confiance en le ministre de l’Administration territoriale, qui est un officier supérieur, qui paraît intègre et neutre par rapport à la classe politique et qui a une qualité extrêmement importante pour l’organisation des élections. Donc, s’il est à même de nous départager par des élections bien organisées, transparentes et crédibles, pourquoi pas !
Le Mali se bat aujourd’hui pour sortir d’une crise très profonde, et tout porte à croire qu’il y parviendra très prochainement. Pour vous, comment cette crise est arrivée au Mali ?
Je crois honnêtement que personne ne pouvait s’attendre à ce que les institutions démocratiques du pays s’écroulent à ce point. Il y avait des problèmes comme dans tous les pays démocratiques du monde, comme dans tous les pays de la sous-région. Mais, comme j’ai dit, ces problèmes ne peuvent pas justifier un coup de force. J’ai eu à le rappeler à Ouaga 1 lorsque les gens de la COPAM ont voulu dire que le coup d’Etat était salutaire, qu’il y avait des problèmes à l’école, les problèmes de santé, les problèmes de bonne gouvernance etc. C’est Blaise Compaoré qui a apporté la meilleure réponse : il leur a dit, écoutez, si ces problèmes-là que nous partageons tous devaient justifier un coup de force, il y aurait plus d’Etats dans la sous-région. Il a parfaitement raison. Cette crise est certainement due à beaucoup de choses, beaucoup de malaises sur le plan politique, sur le plan social, sur le plan économique ; beaucoup de frustrations qui se sont accumulées, et notamment, au niveau de l’armée. Cette crise a permis de savoir que notre armée était maltraitée, sous-équipée, sous-payée, et même malgré les galons qu’on donnait tous les jours, c’était des choses factices qui ne reposaient pas sur une base sérieuse. Les militaires, comme on les appelle la grande muette, ils ne communiquent pas beaucoup ; ils n’ont jamais voulu que la classe politique, malgré l’intérêt qu’on a pour eux, s’immisce dans le domaine militaire. Ils ont d’ailleurs raison pour ça. Il y a beaucoup de choses qu’on ignorait, qui a éclaté au grand jour. Donc toutes ces faiblesses là, à tous les niveaux, ont pu catalyser cette crise. Mais, honnêtement, bien malin qui pouvait dire qu’il s’attendait à ce degré d’effondrement de nos institutions. Je ne crois pas.
Déjà, est-ce qu’on peut tirer des enseignements ?
Les enseignements à tirer, désormais qu’on ait des institutions véritablement démocratiques, qui soient assises sur des bases solides ; qui soient assises sur des bases solides ; qui soient assises sur une économie solide, que le Malien retrouve ses valeurs d’antan : d’intégrité, d’honnêteté, de combativité, solidarité etc. Il faut qu’on retrouve ces valeurs-là ; il faut qu’il y ait un Etat ; il faut restaurer l’autorité de l’Etat ; il faut une armée républicaine, dont la mission est la protection des Maliens et l’intégrité territoriale du pays, et que cette armée ait les moyens de sa mission. Ce sont les défis majeurs pour l’avenir entre autres. Mais, la bonne gouvernance, c’est ça le défi le plus grand qui nous attend.
Est-ce que les Maliens n’ont pas péché quelque part par leur attitude en laissant par exemple s’installer presque tranquillement les islamistes au nord du pays ?
Je ne sais pas. Mais ce que je peux dire, la rébellion a toujours été traitée avec une certaine faiblesse vis-à-vis d’une certaine minorité. On a toujours voulu la protéger parce que la Communauté internationale l’a toujours présentée comme une minorité qui a fait l’objet de ségrégation, etc. Ce qui n’est pas vrai. Nous avons d’autres minorités dans le nord du pays. Ce ne sont pas seulement les Arabes et Touaregs seulement qui sont minoritaires. Vous avez des Sonrhaï, des Bozos, vous avez des Peuls qui s’ajoutent à cette minorité à la peau blanche. Elles sont logées à la même enseigne, il n’y a pas de raison de privilégier les uns par rapport aux autres. Il n’y avait aucune raison de mettre des militaires parce que simplement, ils sont touaregs, parce qu’ils ont pris des armes contre le pays, les réintégrer et en plus avec des grades. Alors que dans notre armée, ça j’ai eu à le dire à l’Assemblée nationale, nous avons des officiers valeureux qui ont été formés dans des grandes écoles en France, aux Etats Unis, et on les fait commander par des officiers félons, parce qu’ils sont issus d’une certaine race, et au premier coup, ce sont eux qui trahissent la République. Le ministre de la Défense l’a dit : on a eu un millier d’intégrés qui ont rejoint la rébellion. Ça s’est dû effectivement à des faiblesses qu’on a eues, et dont il faut tirer les leçons pour l’avenir. Et c’est cet état d’esprit qui a fait qu’on a accueilli des gens comme des Maliens, en disant ils reviennent au pays ; mais ce n’était sûrement pas pour prendre des armes contre le pays. Je pense que personne n’aurait accepté cela. Donc, ces gens qui ont trahi la confiance de tous les Maliens, on leur a fait confiance, on les a traités comme des frères et ils ont dirigé leurs armes contre le Mali. Ce sont des gens qui ont trahi la confiance de tous les Maliens. La question aujourd’hui ce n’est de nous reprocher de les avoir laissé entrer au pays, c’est de leur avoir laissé prendre le temps de se préparer contre le pays, appuyés par des jihadistes, des trafiquants de drogue et des rebelles de toutes sortes.
Cependant, il y a certaines personnes qui pensent que l’Assemblée nationale aurait dû interpeller le gouvernement, dès que celui-ci s’est permis de laisser les combattants avec leurs armes franchir les frontières maliennes. Et puisqu’on leur a donné de l’argent, d’aucuns pensent qu’ailleurs on aurait quand même suscité débat au sein de l’Assemblée nationale…
Je vous dis que l’Assemblée nationale du Mali a fait beaucoup de choses au mois de janvier 2012. L’Assemblée nationale avait envoyé une mission au nord du pays, qui a fait deux ou trois semaines dans le nord et qui a rencontré toutes les communautés, qui a déposé un rapport circonstancié et avec de fortes recommandations. Ce rapport a été remis au gouvernement et au président de la République à son temps. Et, nous avons interpellé, il y a eu des débats à huis clos, qui n’ont pas été publics mais au cours desquels le ministre de la Sécurité, le ministre de la Défense, ont été interpellés pour cette situation que vous évoquiez. Donc on l’a fait. Mais encore, je vous dis que l’esprit qui a prévalu à l’époque ce n’était pas le gouvernement, c’est le chef de l’Etat qui avait dit, étant garant de l’unité nationale, qu’il se devait d’accueillir tous les Maliens. Je pense qu’il était de bonne foi. Il a pensé que vu les problèmes de la Libye, nos compatriotes qui étaient là-bas et qui se sont refugiés au Mali, avaient le droit de revenir. Mais, croyez-moi, l’Assemblée nationale a toujours tiré la sonnette d’alarme, a toujours fait ce qu’elle avait à faire. Mais nous ne sommes pas l’exécutif ! Je pense que c’est là où les gens se trompent. Ils pensent que l’Assemblée a le pouvoir de changer les décisions de l’administration, non ! Nous, notre devoir c’est d’interpeller le gouvernement, voilà ce qu’il faut faire et voilà ce qu’il ne faut pas faire. Et ça, l’Assemblée n’a jamais été défaillante sur ce plan là.
On dirait que vous n’êtes pas satisfait du travail des médias publics surtout l’ORTM ?
Non, ce n’est pas ça. Vous faites allusion à ce que j’ai dit lors du débat sur la feuille de route. Ce que j’ai dit, c’est qu’il faut laisser les médias, surtout les médias publics, faire leur travail. Le politique s’est souvent ingéré dans la gestion des médias, même dans les débats d’idées. Je connais d’excellents journalistes à l’ORTM, qui ont des idées d’organiser des débats qui ont été refusés par la direction ou par le département. Lorsque ces débats ont eu lieu, on visionne d’abord la cassette, on écoute la cassette avant la diffusion, on enlève même souvent des parties de ces débats, donc on censure. Ce ne sont pas des journalistes qui sont en faute, c’est l’autorité. C’est ça que j’ai dénoncé. Pour moi, la liberté de la presse est essentielle dans une démocratie, et la presse qu’elle soit publique ou privée, elle a droit aux mêmes libertés. Certainement il y a des contraintes de service public, qui font que les médias d’Etat ne peuvent pas, bien entendu, s’autoriser une même liberté que la presse privée. Mais, si la presse publique n’est pas indépendante, totalement indépendante de l’autorité politique, évidemment, c’est la démocratie qui est menacée. C’est ce que j’ai dénoncé. Sinon je sais que nous avons d’excellents journalistes, d’excellents professionnels. Mais il faut qu’on les laisser faire leur travail, en conformité avec leur déontologie et leur conscience.
Un dernier mot ?
Je suis ravi que vous me posiez toutes ces questions là, qui interpellent tous les Maliens. Ce que je souhaite, c’est que de cette crise qu’on en tire toutes les leçons, que les Maliens se retrouvent sur l’essentiel pour les années à venir que plus jamais, que nous n’ayons plus une situation pareille. Cela suppose des sacrifices de la part de chaque Malien et de chaque Malienne. Je vous remercie.
Soure : Radio Nationale du Mali
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire