Par Francis Kpatindé
Que faire après avoir démantelé les groupes jihadistes et parachevé la destruction de leur arsenal de guerre ? Rester le temps que le Mali consolide son unité territoriale retrouvée ou céder la place à une mission de maintien de la paix des Nations unies ? Le sujet suscite des passions, à Paris, Bamako comme dans beaucoup de capitales africaines. Les options sont ouvertes.
La France maintient ses forces au Mali avec, au besoin, une Mission africaine (la Misma) recomposée. Cette solution semble avoir la faveur de nombre de Maliens, comme frappés, depuis quelques semaines, de « francolâtrie ». A l’image de l’ancien chef de la diplomatie et ex-patron de la Sécurité d’Etat, les services de renseignement malien, Soumeylou Boubeye Maïga, joint au téléphone :
« Un éventuel retrait des forces françaises et leur remplacement par les casques bleus marquerait à coup sûr un changement stratégique majeur, confie-t-il. Les soldats onusiens interviennent généralement pour servir de tampon et s’interposer entre des belligérants. Dans le cas du Mali, cela reviendrait à légitimer des terroristes ou leurs proches cousins, le MNLA. Je suis donc très réservé sur une telle solution... »
Ce n’est pas l’avis de son compatriote Tiébilé Dramé, lui aussi ancien ministre des Affaires étrangères, et surtout ex-haut responsable de l’ONU, notamment en Haïti, au Burundi et à Madagascar. « J’appuie totalement l’idée d’une mission de maintien de la paix, lorsque la France aura parachevé le travail en cours, confie ce dernier dans un entretien téléphonique. Il ne s’agira nullement d’une interposition entre les forces de libération et les groupes d’occupation, mais d’une opération dont l’action s’inscrira dans la durée contre le terrorisme, avec des volets monitoring des droits de l’homme et assistance électorale. »
Le maintien sur place du contingent français rassurerait pourtant beaucoup de monde. Les Maliens, premiers concernés, leurs voisins immédiats, mais aussi le reste du continent, l’opération Serval ayant quasi-unanimement été saluée par l’Union africaine (UA), lors de sa dernière conférence au sommet, fin janvier à Addis-Abeba. La guerre au Mali a plutôt bonne presse. Aux yeux de l’opinion, elle met aux prises des « bons » et des « méchants ». Et, ce qui ne gâche rien, elle s’est montrée efficace : en quelques semaines, les soldats français et leurs alliés africains ont libéré les principales villes du septentrion malien et refoulé plus au Nord les terroristes.
« Se dégager en douceur »
Mais comme toute opération militaire, Serval comporte des risques, et elle a un coût ; une charge dont se passerait volontiers un pays en proie au chômage et où des fermetures d’usines ne sont pas rares. A terme, l’opinion, qui semble pour l’instant faire corps avec le président François Hollande, pourrait se retourner et la situation devenir ingérable pour un pouvoir socialiste qui cherche encore ses marques. Autant dire qu’au Sahel malien, l’Elysée marche sur des œufs.
D’un autre côté, imagine-t-on un pays comme la France tout lâcher et tourner casaque au milieu du gué ? « J’ai du mal à croire que les soldats français soient chez nous pour quelques mois seulement, poursuit Soumeylou Boubeye Maïga. Lorsqu’on voit ce qu’ils ont débarqué comme matériel, on peut difficilement croire qu’ils soient dans le provisoire. » Comment, dans ces conditions, persuader l’opinion française que l’action en cours pourrait s’inscrire dans la durée ? Et surtout, comment en supporter, au besoin seul, le coût ?
« Le nerf de la guerre, c’est l’argent, confirme Tiébilé Dramé. Il y a eu beaucoup de promesses lors du dernier sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. Au mieux, les premiers décaissements interviendront dans deux ou trois mois. Au pire, jamais ! C’est dangereux d’envoyer des milliers de soldats au front sans s’assurer que l’intendance suivra. Au vu de l’importance des enjeux, seuls une mission de maintien de la paix et un financement sur le budget régulier de l’ONU permettraient à la France de se dégager en douceur. »
Les casques bleus prennent le relais des Français
Une telle formule aurait le mérite de diluer le face à face France-Afrique francophone, d’où provient le gros des contingents subsahariens. Elle aurait aussi l’avantage de ne pas faire peser le poids financier de l’opération sur les seules épaules françaises. Dans un tel schéma, tout ou partie des soldats africains seraient reconvertis en casques bleus. Ils subiraient alors ce qu’on appelle dans le jargon maison un « re-hatting ». Ils substitueraient leurs bérets verts et rouges contre les célèbres casques bleus.
Ils seraient rejoints, comme cela se fait de la République démocratique du Congo au Sahara occidental, en passant par la Côte d’Ivoire et le Liberia, par des soldats européens, sud-africains, éthiopiens ou originaires de la Jordanie et du Bangladesh, deux gros fournisseurs de troupes aux Nations unies. « Il faudrait, pour cela, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, explique Dramé. Après, tout peut aller très vite. Ce sera tout "bénef" pour les soldats maliens et africains qui bénéficieront d’un meilleur confort matériel et logistique. Et cela permettrait de placer tout le monde sous un commandement unifié, y compris les forces tchadiennes qui sont, pour l’instant, des électrons libres. »
Cela dit, une opération de maintien de la paix n’est pas non plus donnée. Avec ses 19 166 membres, dont 17 000 soldats, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) est dotée, selon nos informations, d’un budget de 1,3 milliard de dollars, rien que pour couvrir la période allant du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013. A titre de comparaison, pour la même période, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), avec ses 11 033 membres (dont 9 360 militaires), ne coûte « que » la bagatelle de 575 millions de dollars.
« La logique actuelle de la Misma, c'est la Saint-Glinglin »
Question légitime : venus d’horizons aussi disparates, les casques bleus auront-ils le même degré d’engagement que les Français dans une région où les températures affolent les thermomètres et un environnement hostile qui n’a aucun secret pour l’ennemi ? « Tout le monde peut vivre au Congo ou au Liberia, mais il faut être un enfant du pays, un habitué, ou être bien équipé pour survivre à Kidal ou à Tessalit », souligne un natif de Gao.
L’idée de l’envoi d’une mission de maintien de la paix fait en tout cas son bonhomme de chemin au siège de l’ONU, à New York. Comme signe précurseur, on peut déjà signaler l’ouverture d’une « représentation politique » des Nations unies à Bamako, en janvier dernier. Elle est dirigée par un diplomate mozambicain, João Honwana. Ce dernier sera bientôt rejoint, si le Conseil de sécurité décidait d’une opération de maintien de la paix, par un représentant spécial du secrétaire général et un commandant en chef des casques bleus. « C’est la meilleure chose qui puisse arriver au Mali, car la logique actuelle de la Misma, c’est la Saint-Glinglin », renchérit Tiébilé Dramé. Reste à savoir quelle forme prendra l’intervention onusienne. Sur le sujet, plusieurs cas de figure se présentent.
Solutions intermédiaires
En premier lieu, on peut imaginer une force de maintien de la paix à « double tutelle », pilotée à la fois par l’Union africaine et l’ONU. C’est le cas par exemple au Darfour, où le représentant spécial relève à la fois du Conseil de sécurité des Nations unies et du Conseil de paix et de sécurité de l’UA. Considérée comme une opération « hybride », la Mission de l’Union africaine et des Nations unies au Darfour (Minuad, 20 780 membres, dont 15 600 militaires) est dotée d’un budget de près de 1,5 milliard de dollars (1er juillet 2012-30 juin 2013). Pour autant, elle piétine, à en croire nombre d’experts ès affaires onusiennes.
« La Minuad ne tourne pas rond », lâchent en chœur deux habitués du palais de verre, le siège de l'ONU situé au bord de l’East River à New York. Les atermoiements, les méthodes, les dysfonctionnements en matière de commandement au Darfour ne semblent donc pas plaider pour une telle solution, du moins à en croire un autre diplomate qui requiert l’anonymat. « L’instauration d’une double tutelle au Mali sonnerait l’échec de l’opération, explique-t-il. Il est difficile de mettre en musique deux organisations, comme l’UA et l’ONU, dont le fonctionnement et les méthodes de travail sont aux antipodes. »
« Nation-cadre »
Une autre approche serait donc une opération de maintien de la paix avec des casques bleus et, à leur côté, une force française autonome. Dans ce registre, comme en témoignent des exemples récents, toutes les combinaisons sont possibles. Du temps de la défunte Minurcat (Mission des Nations unies en Centrafrique et au Tchad), des forces européennes déployées dans l’est du Tchad opéraient en symbiose avec le dispositif français Épervier.
En d’autres temps, coexistaient aussi en RDC des troupes onusiennes et une force dite « de réaction rapide », ayant la France comme « nation-cadre ». Par ailleurs, Licorne - en Côte d’Ivoire - est seulement « missionnée » par l’ONU, selon la formule consacrée. A ce titre, elle ne relève pas du commandement onusien mais de l’état-major français. Un exercice d’équilibrisme joliment résumé par un responsable africain de l’ONU en ces termes : « Licorne a un pied dedans, un pied dehors ».
« Un éventuel retrait des forces françaises et leur remplacement par les casques bleus marquerait à coup sûr un changement stratégique majeur, confie-t-il. Les soldats onusiens interviennent généralement pour servir de tampon et s’interposer entre des belligérants. Dans le cas du Mali, cela reviendrait à légitimer des terroristes ou leurs proches cousins, le MNLA. Je suis donc très réservé sur une telle solution... »
Ce n’est pas l’avis de son compatriote Tiébilé Dramé, lui aussi ancien ministre des Affaires étrangères, et surtout ex-haut responsable de l’ONU, notamment en Haïti, au Burundi et à Madagascar. « J’appuie totalement l’idée d’une mission de maintien de la paix, lorsque la France aura parachevé le travail en cours, confie ce dernier dans un entretien téléphonique. Il ne s’agira nullement d’une interposition entre les forces de libération et les groupes d’occupation, mais d’une opération dont l’action s’inscrira dans la durée contre le terrorisme, avec des volets monitoring des droits de l’homme et assistance électorale. »
Le maintien sur place du contingent français rassurerait pourtant beaucoup de monde. Les Maliens, premiers concernés, leurs voisins immédiats, mais aussi le reste du continent, l’opération Serval ayant quasi-unanimement été saluée par l’Union africaine (UA), lors de sa dernière conférence au sommet, fin janvier à Addis-Abeba. La guerre au Mali a plutôt bonne presse. Aux yeux de l’opinion, elle met aux prises des « bons » et des « méchants ». Et, ce qui ne gâche rien, elle s’est montrée efficace : en quelques semaines, les soldats français et leurs alliés africains ont libéré les principales villes du septentrion malien et refoulé plus au Nord les terroristes.
« Se dégager en douceur »
Mais comme toute opération militaire, Serval comporte des risques, et elle a un coût ; une charge dont se passerait volontiers un pays en proie au chômage et où des fermetures d’usines ne sont pas rares. A terme, l’opinion, qui semble pour l’instant faire corps avec le président François Hollande, pourrait se retourner et la situation devenir ingérable pour un pouvoir socialiste qui cherche encore ses marques. Autant dire qu’au Sahel malien, l’Elysée marche sur des œufs.
D’un autre côté, imagine-t-on un pays comme la France tout lâcher et tourner casaque au milieu du gué ? « J’ai du mal à croire que les soldats français soient chez nous pour quelques mois seulement, poursuit Soumeylou Boubeye Maïga. Lorsqu’on voit ce qu’ils ont débarqué comme matériel, on peut difficilement croire qu’ils soient dans le provisoire. » Comment, dans ces conditions, persuader l’opinion française que l’action en cours pourrait s’inscrire dans la durée ? Et surtout, comment en supporter, au besoin seul, le coût ?
« Le nerf de la guerre, c’est l’argent, confirme Tiébilé Dramé. Il y a eu beaucoup de promesses lors du dernier sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. Au mieux, les premiers décaissements interviendront dans deux ou trois mois. Au pire, jamais ! C’est dangereux d’envoyer des milliers de soldats au front sans s’assurer que l’intendance suivra. Au vu de l’importance des enjeux, seuls une mission de maintien de la paix et un financement sur le budget régulier de l’ONU permettraient à la France de se dégager en douceur. »
Les casques bleus prennent le relais des Français
Une telle formule aurait le mérite de diluer le face à face France-Afrique francophone, d’où provient le gros des contingents subsahariens. Elle aurait aussi l’avantage de ne pas faire peser le poids financier de l’opération sur les seules épaules françaises. Dans un tel schéma, tout ou partie des soldats africains seraient reconvertis en casques bleus. Ils subiraient alors ce qu’on appelle dans le jargon maison un « re-hatting ». Ils substitueraient leurs bérets verts et rouges contre les célèbres casques bleus.
Cela dit, une opération de maintien de la paix n’est pas non plus donnée. Avec ses 19 166 membres, dont 17 000 soldats, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) est dotée, selon nos informations, d’un budget de 1,3 milliard de dollars, rien que pour couvrir la période allant du 1er juillet 2012 au 30 juin 2013. A titre de comparaison, pour la même période, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci), avec ses 11 033 membres (dont 9 360 militaires), ne coûte « que » la bagatelle de 575 millions de dollars.
« La logique actuelle de la Misma, c'est la Saint-Glinglin »
Question légitime : venus d’horizons aussi disparates, les casques bleus auront-ils le même degré d’engagement que les Français dans une région où les températures affolent les thermomètres et un environnement hostile qui n’a aucun secret pour l’ennemi ? « Tout le monde peut vivre au Congo ou au Liberia, mais il faut être un enfant du pays, un habitué, ou être bien équipé pour survivre à Kidal ou à Tessalit », souligne un natif de Gao.
L’idée de l’envoi d’une mission de maintien de la paix fait en tout cas son bonhomme de chemin au siège de l’ONU, à New York. Comme signe précurseur, on peut déjà signaler l’ouverture d’une « représentation politique » des Nations unies à Bamako, en janvier dernier. Elle est dirigée par un diplomate mozambicain, João Honwana. Ce dernier sera bientôt rejoint, si le Conseil de sécurité décidait d’une opération de maintien de la paix, par un représentant spécial du secrétaire général et un commandant en chef des casques bleus. « C’est la meilleure chose qui puisse arriver au Mali, car la logique actuelle de la Misma, c’est la Saint-Glinglin », renchérit Tiébilé Dramé. Reste à savoir quelle forme prendra l’intervention onusienne. Sur le sujet, plusieurs cas de figure se présentent.
Solutions intermédiaires
« La Minuad ne tourne pas rond », lâchent en chœur deux habitués du palais de verre, le siège de l'ONU situé au bord de l’East River à New York. Les atermoiements, les méthodes, les dysfonctionnements en matière de commandement au Darfour ne semblent donc pas plaider pour une telle solution, du moins à en croire un autre diplomate qui requiert l’anonymat. « L’instauration d’une double tutelle au Mali sonnerait l’échec de l’opération, explique-t-il. Il est difficile de mettre en musique deux organisations, comme l’UA et l’ONU, dont le fonctionnement et les méthodes de travail sont aux antipodes. »
« Nation-cadre »
Une autre approche serait donc une opération de maintien de la paix avec des casques bleus et, à leur côté, une force française autonome. Dans ce registre, comme en témoignent des exemples récents, toutes les combinaisons sont possibles. Du temps de la défunte Minurcat (Mission des Nations unies en Centrafrique et au Tchad), des forces européennes déployées dans l’est du Tchad opéraient en symbiose avec le dispositif français Épervier.
En d’autres temps, coexistaient aussi en RDC des troupes onusiennes et une force dite « de réaction rapide », ayant la France comme « nation-cadre ». Par ailleurs, Licorne - en Côte d’Ivoire - est seulement « missionnée » par l’ONU, selon la formule consacrée. A ce titre, elle ne relève pas du commandement onusien mais de l’état-major français. Un exercice d’équilibrisme joliment résumé par un responsable africain de l’ONU en ces termes : « Licorne a un pied dedans, un pied dehors ».
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