On a beaucoup parlé, par le passé, de l’arrogance, de l’inculture et du manque d’intérêt pour le reste du monde des journalistes américains. A y regarder de près, et à la lumière de la crise malienne, l’on pourrait affirmer, sans risque de se tromper, qu’ils ne sont pas seuls dans cette posture.
En effet, à propos de la question touareg et la crise malienne, certains media français, et non des moindres, ont largement étalé leur ignorance crasse. D’abord, dans l’une de ses récentes éditions, c’est le très sérieux quotidien français «Le Monde» qui soutenait «les trois plaies du Mali sont l’effondrement de l’Etat, l’occupation du Septentrion par les narcotrafiquants et les jihadistes et… la discrimination à l’égard des Touaregs».
Si, dans les deux premières affirmations, on peut effectivement déceler des parts de vérité, s’agissant du dernier point, le célèbre quotidien a tout faux. Non seulement il n’y a pas d’ostracisme anti-Touareg au Mali, mieux, cette communauté, en sa qualité de minorité nationale, a plutôt bénéficié d’une discrimination positive. Avec les Accords d’Alger, qui ont sanctionné la rébellion du début des années 90, ce sont des centaines d’ex-combattants Touaregs qui ont étés intégrés dans l’armée malienne, souvent avec des grades sans aucune mesure avec leurs compétences ou leur formation.
D’autres, des centaines, ont été versés dans la fonction publique, sans diplôme, la plupart du temps. Malgré ces avantages, fruit du sacrifice de tout un peuple, au nom de la concorde et de la réconciliation nationale, près d’un millier de Touaregs intégrés ont déserté l’armée nationale pour rejoindre les rangs de la rébellion à la faveur des derniers événements.
Autre exemple: au cours de l’émission «Internationales» du dimanche 3 février dernier de RFI et TV5, dont l’invité n’était autre que le Président du Niger, Mahamadou Issoufou, quand celui-ci, répondant à une question posée par une journaliste de RFI, confirmait que le Premier ministre nigérien, Brigi Rafini, était un Touareg, la journaliste de suggérer que le Mali devrait s’inspirer du Niger, à travers cet exemple d’intégration à un niveau élevé.
C’est tout simplement méconnaître que, sur ce terrain, le Mali a précédé le Niger. Car le premier acte de l’ancien Président Amadou Toumani Touré, lors de son premier mandat, fut de nommer en 2002 un Premier ministre Touareg, en la personne de Mohamed Ag Hamani. Ce dernier, au demeurant, a eu à assumer de hautes charges sous la IIème République, avec Moussa Traoré à la barre. L’ancien dictateur poussera même le jeu jusqu’à intégrer des Touaregs dans le saint des saints d l’époque, le BEC (Bureau Exécutif Central) , l’instance du parti unique, l’UDPM, qui était au-dessus de toutes les institutions.
Etait également membre de droit du BEC, en sa qualité de Secrétaire Général de l’UNJM (Union Nationale des Jeunes du Mali) Baye Ag Mohamed, autre Touareg bon teint. Celui-ci avait même la sulfureuse réputation d’être un «casseur» de 4X4. Combien de Nissan Patrol, à l’époque le nec plus ultra au Mali, a-t-il usés en si peu de temps?
Le cas de Mohamed Ag Hamani n’est pas une exception confirmant la règle. Loin s’en faut. En effet, malgré leur infériorité numérique, les Touaregs sont bien visibles dans les hautes sphères de la politique et de l’administration au Mali. Ils ont toujours été associés, sous pratiquement tous les régimes et à tous les niveaux, à la gestion de la cité au Mali: gouvernements, cabinets ministériels, services centraux Assemblée nationale, Haut Conseil des Collectivités, gestion de projets…
Peut-être que les Assarid Ag Imbarcawane, Oumarou Ag Ibrahim, Mohamed Ag Erlaf et autre Mohamed Ag Sidalamine devraient se fendre d’une tribune dans la presse française pour apporter la bonne information et mieux éclairer la lanterne de l’opinion publique française et européenne. Car certains media français ont vite fait le choix de la facilité, en se laissant abreuver à la source de la propagande du MNLA. Au lieu de faire des investigations sur le terrain et de recouper les informations, démarche certes plus difficile mais qui serait tout à leur honneur. Loin de nous l’intention de donner des leçons de journalisme à nos amis et non moins confrères français, mais notre déontologie ne nous commande-t-elle pas à tous de respecter cette règle d’or: les faits sont sacrés, les commentaires sont libres?
Comme l’a souligné, à juste titre, le Président nigérien, minoritaire, le MNLA ne peut nullement représenter le peuple Touareg – de qui en a-t-il reçu mandat? Car les Ifoghas ne sont pas les seuls Touaregs du Mali. Il y a aussi les Imrads, les Iullemeden, les Chemnamas, les Kel Adagh, les Daoussak…. dont l’écrasante majorité est sans reproche. Le Président Mahamadou Issoufou est même allé jusqu’à affirmer que les éléments du MNLA doivent être désarmés et qu’au demeurant Paris a commis une erreur en se gardant de le faire.
Pour notre part, ce serait commettre une grave erreur qu’aider à l’émergence d’une catégorie de super citoyens, ayant tous les droits, face aux autres, des citoyens de seconde zone qui n’ont aucun droit. Il ne fait aucun doute que Paris veut utiliser les éléments du MNLA à cause de leur supposée connaissance du terrain – les massifs des Ifoghas – pour libérer les sept otages français qui y seraient probablement détenus, l’autre volet de l’Opération Serval. Tant mieux si le MNLA peut être d’un secours ici.
Mais, pour que son action, dont le monde entier a salué le caractère salutaire, ne soit pas entachée, la France doit se faire forte d’aider à résoudre l’équation MNLA avant qu’elle ne se transforme en quadrature du cercle. Le fin mot de l’affaire, c’est que nous sommes devant un problème de démobilisation, dans le meilleur des cas et, dans le pire, en face d’éléments endurcis dans la délinquance. Passe encore le trafic de carburant, de pâtes alimentaires, de couscous arabe et de biens d’équipement, comme les congélateurs entre l’Algérie et le Septentrion malien. S’y ajoutent le faux-monnayage, le trafic d’armes de drogues.
La France rendrait un signalé service au Mali en l’aidant à désarmer ces délinquants et à les reconvertir dans des activités saines de développement. Des opportunités existent pour ce faire. L’on pourrait, à titre d’exemple, ouvrir de grands chantiers dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage, en exploitant les immenses réserves en eaux souterraines fossiles des bassins de Tamesna et de Lullemeden au profit des populations. Ceux d’entre eux qui ont du sang sur les mains devront payer pour leurs crimes.
Yaya Sidibé
SOURCE: 22 Septembre du 7 fév 2013.
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