Accueilli triomphalement, le président français a relevé que ses troupes resteraient « le temps qu’il faudra ». Un changement radical des relations avec Paris s’impose plus que jamais.
Bamako (Mali),
envoyé spécial. Bamako, 15 heures. Sur la place de l’Indépendance à dont les forces de l’ordre ont bouclé tous les accès, des centaines de Maliens se pressent le long des barrières décorées des drapeaux de l’ancienne puissance coloniale. François Hollande, le « sauveur du Mali », ne prendra la parole que trois heures plus tard et assumera sans risques ce surprenant mélange des symboles : l’ex-gendarme de l’Afrique, quelles que soient ses arrière-pensées, n’est cette fois pas intervenu pour remettre en selle un autocrate bienveillant à l’égard de ses intérêts, mais bien pour chasser des groupes armés qui avaient instauré, au nord, la dictature de la charia.De Bamako à Tombouctou, les instantanés de bains de foule et les remerciements mutuels échangés avec le président par intérim, Dioncounda Traoré, resteront comme un grand moment de communication politique. La colère était pourtant encore perceptible le matin même, séquelle de l’entrée des troupes françaises dans Kidal, sans l’armée malienne, et de l’annonce de discussions avec les Touareg du MNLA, qui concentrent au moins autant de haine et de rancune que les islamistes d’Ansar Eddine et du Mujao. « Comprenons la France », tentait d’apaiser le journal les Échos, en faisant valoir la nécessaire discussion avec une organisation armée susceptible de peser dans la libération des otages français : « Au Mali, personne n’est dupe, poursuivait le quotidien. Toutes les villes conquises l’ont été par la France, qui a toujours été élégante en s’effaçant pour mettre au-devant des caméras nos forces maliennes. »
François Hollande a explicité que l’armée française, qui n’avait pas vocation à occuper le Mali, y resterait « le temps qu’il faudra », ouvrant la voie à une présence militaire durable dans le Nord, qu’elle soit le fait de la France ou de ses alliés de la Cedeao.
Un pays laminé par la corruption
Rondement menés sur les plans militaire et médiatique, plébiscités par une écrasante majorité de Maliens et ses représentants politiques, l’opération « Serval » et son épilogue provisoire resteront comme le moment fort du mandat de « papa Hollande », comme le clament toutes les affiches sur les murs de Bamako, le président français n’hésitant pas d’ailleurs à qualifier cette journée comme « la plus importante de (sa) vie politique ». Tout n’est pourtant pas réglé dans ce pays laminé par la corruption et le sous-développement, privé de pouvoir politique légitime – le scrutin présidentiel d’avril 2012 avait été annulé à la suite du coup d’État du capitaine Sanogo – et sans perspectives malgré son important potentiel économique (lire page 14). En annonçant la tenue d’élections autour du mois de juillet 2013, tout en confirmant son refus d’être candidat, Dioncounda Traoré a sans doute fait grincer des dents. « Beaucoup souhaitent que la transition dure le plus longtemps possible », explique un fonctionnaire de la présidence malienne, « car ils ont peur d’affronter les électeurs et cela leur permet d’amasser un maximum. Mais il y a urgence : quel pays va consentir à investir au Mali si on reste dans cette situation d’instabilité ? Il va également falloir convaincre les électeurs de sortir de l’abstention massive qui avait caractérisé les derniers scrutins, et éviter que ceux qui se déplacent le fassent contre de l’argent ». Les prétendants au scrutin annulé de 2012 devraient cependant être présents. L’ancien premier ministre et président de l’Assemblée nationale, Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, « se prépare pour cette échéance », confirme son conseiller en communication, Mamadou Camara. « Il sera les 4 et 5 février au Portugal, pour assister à une réunion de l’Internationale socialiste, où il y aura des représentants français. » Si François Hollande tente de faire passer le message qu’il ne se mêlera pas de la politique malienne, il ne fait guère de doute que la France pèsera sur le scrutin et que chacun tentera d’obtenir son appui, officiel ou officieux. Modibo Sidibé, lui aussi ancien premier ministre, devrait tenter sa chance, à l’heure où aucun homme politique ne paraît en mesure d’incarner la rupture avec un système qui s’est effondré comme un château de cartes, à mesure que progressaient, au mois de janvier 2012, les rebelles du MNLA. « La classe politique malienne est sans projets », résume le politologue malien Cheick Oumar Diarrah.
Toutes proportions gardées, cette absence d’alternatives aux politiques d’ajustement structurel qui, après avoir ruiné le continent africain, ont traversé la Méditerranée pour s’attaquer (via les plans d’austérité) à l’économie européenne, est aussi un mal français. En ce sens, l’insistance de François Hollande à promouvoir le concept absurde de « guerre contre le terrorisme », qui était un des piliers de son discours tenu à Bamako, agit aussi comme un révélateur : bien avant la crise financière de 2008, les spin doctors de Tony Blair (1) avaient, entre autres, bien compris comment l’utilisation et la promotion d’une menace diffuse, mondiale et insaisissable (al-Qaida) pouvaient servir de paravent à l’absence de projet politique progressiste et au désenchantement lié à la fin des idéologies.
(1) Voir l’éclairante série documentaire produite par la BBC : le Pouvoir des cauchemars : la montée d’une politique de la peur (The power of nightmares – The rise of the politics of fear), 2004.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire