Soumeylou Boubèye Maïga, l’incontournable du gouvernement malien (3/3)
mercredi 28 mai 2014Soumeylou Boubèye Maïga a été ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale à compter du 7 avril 2011 et jusqu’à la chute d’Amadou Toumani Touré. Il s’est activé à promouvoir la « coordination régionale » de la lutte contre le terrorisme dans l’Espace Sahélo-Saharien (cf. LDD Mali 0134/Mercredi 30 avril-Jeudi 1er mai 2014). Chérif Ouazani, dans Jeune Afrique (2 octobre 2011), va évoquer « l’effet Boubèye ». Son arrivée à Koulouba, au ministère des Affaires étrangères situé sur la même colline que le Palais présidentiel, aura « décomplexé la diplomatie malienne » dont JA stigmatisera la « médiocrité » passée de son action. On pouvait penser que, désormais, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
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Mais moins de deux ans après son retour aux affaires, SBM va être « confronté à un problème de sécurité ». C’est ce qu’il dira en janvier 2012, quelques jours avant le déclenchement de la « guerre » par le MNLA, à Alain Chevalérias, « journaliste militant », adepte de « l’identité nationale », animateur du Centre de recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001. SBM ajoutait alors aussitôt : « Mais derrière celui-ci, et qui lui est lié, c’est toute la question de la difficulté, pour l’Etat, d’asseoir sa souveraineté sur l’ensemble du territoire qui apparaît ».
Il précisera également, alors qu’il est encore, pour quelques semaines, ministre des Affaires étrangères : « Les réseaux mafieux ont infiltré l’appareil de l’Etat et corrompu les populations. Tout cela a contribué à susciter une véritable extraterritorialité du Nord. De vastes zones sont gérées directement par les communautés locales qui essaient de rentabiliser comme elles le peuvent leurs territoires et le trafic de cocaïne, par exemple, leur offre un moyen […] Tout cela ne se serait pas produit si l’Etat avait été plus présent ». Il dira encore : « Nous avons un sérieux problème. Si les Etats de la région ne parviennent pas à asseoir leur souveraineté sur leurs territoires, il y a le risque d’une tribalisation d’une partie de ces derniers ». Il évoquera la nécessité d’une « reconfiguration » de l’armée malienne pour l’adapter aux tâches sécuritaires dans le Nord, mais aussi la nécessité d’une coopération « occidentale » dans trois domaines : le renseignement, la logistique et la formation. Il prônera également « une cohérence dans la durée », « une harmonisation des modes opératoires » des différentes armées de la région, la détermination précise de l’objectif à atteindre afin de définir « les moyens nécessaires et les étapes par lesquelles nous devons passer ».
Le 22 mars 2012, la donne change. ATT est renversé par quelques militaires. Le CNRDRE prend le pouvoir. SBM retourne à ses réflexions. En mai 2012, il va contribuer à un ouvrage sur le « printemps arabe » : « La Face cachée des « révolutions » arabes », ouvrage collectif publié par Ellipses sous la direction d’Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et patron de Risk Management. Pour SBM, pas de doute, ce qui se passe alors dans le Nord-Mali a sa source en Libye et dans l’intervention « occidentale » contre Mouammar Kadhafi. Cette intervention a nourri une nébuleuse au sein de laquelle différents mouvement : AQMI, Ansar Dine, etc. sont entrés en « joint-venture ». La crise malienne résulterait donc de la volonté affirmée d’AQMI de prendre possession du Nord-Mali. Le jihad serait le cri de ralliement et la chute des Etats la finalité de l’opération. SBM regrette que ses avertissements n’aient pas été entendus par les « occidentaux ».
Le Mali étant coupé en deux et la junte étant encore dans les coulisses du pouvoir à Bamako, SBM va prôner « l’option militaire » : l’armée malienne avec un noyau dur de un ou deux régiments pour mener les actions en profondeur ; une force de la Cédéao pour contrôler les villes libérées et les axes routiers et sécuriser les populations ; des moyens extérieurs « occidentaux » pour l’appui logistique au sol et dans les airs, un soutien en matière de renseignement et de formation. Mais, dira-t-il à Vincent Hugeux (L’Express – 7 juin 2012) à qui il expose cette « formule idéale » : « Encore faut-il, pour parvenir à ce modèle, lever l’hypothèque de la gouvernance à Bamako ».
Pour « lever cette hypothèque », le médiateur, Blaise Compaoré, a entrepris de faire signer au capitaine Amadou Haya Sanogo l’accord-cadre de Ouagadougou (6 avril 2012). Une démarche que SBM jugera « pour le moins accommodante envers Amadou Sanogo » et qui « a suscité un certain agacement ». Il expliquera à Hugeux : « Dès lors que vous signez les documents sensés baliser la transition avec la junte, vous lui conférez un statut d’acteur central, y compris à l’heure de choisir le premier ministre et de composer le gouvernement ». Ce qui ne l’empêchera pas de noter que si, « côté opérationnel, l’équipe Sanogo doit bien entendu être tenue à l’écart, il suffit d’offrir à son patron, pourvu d’ailleurs d’un statut d’ancien chef de l’Etat, une porte de sortie ». C’était oublier qu’il ne suffisait pas de dégager en touche Sanogo ; encore fallait-il établir un cadre légal permettant de mener les opérations sur le terrain, politiques, diplomatiques et militaires. C’était l’objet de l’accord-cadre de Ouagadougou qui sera prolongé par l’accord préliminaire de Ouagadougou (18 juin 2013). SBM considérait alors, également qu’il fallait « élargir le front » et « donc intégrer au dispositif, le Tchad, la Mauritanie et, bien sûr, l’Algérie ».
C’est d’ailleurs à la suite de l’accord-cadre et de l’accord préliminaire de Ouagadougou que l’élection présidentielle pourra se dérouler aussi convenablement que possible au Mali et permettre la mise en place d’un gouvernement au sein duquel SBM va se retrouver en charge du portefeuille de la Défense et des Anciens combattants. Il a soutenu la candidature d’Ibrahim Boubacar Keïta après avoir, en juin 2012, franchi le pas en lançant son propre parti : Alliance pour la solidarité au Mali/Convergence des forces patriotiques (ASMA/CFP). Celui-ci obtiendra trois députés « directs » lors des législatives 2013 mais sera à même de constituer un groupe parlementaire du fait de députés indépendants ralliés.
C’est dire que Soumeylou Boubèye Maïga n’a pas tiré un trait sur sa carrière politique. D’autant qu’il se trouve en position de force : il est l’homme qui peut redonner sa dignité à l’armée. « Serval » et les Tchadiens ont fait le gros du boulot. L’European Training Mission (EUTM) a d’ores et déjà formé quatre bataillons interarmes maliens et quatre autres vont être formés d’ici 2016.
Et les choses se passent plutôt bien, la formation visant les quatre missions essentielles qui doivent être assumées par les FAMa : contrôle de zones ; opérations défensives ; reconnaissance offensive ; attaques interarmes. Reste à savoir ce que cela donnera sur le terrain, la grande inconnue demeurant la capacité de la chaîne de commandement à assumer sa tâche. Quoi qu’il en soit, cette formation, réclamée de longue date par SBM ne peut qu’améliorer l’existant. Et si cet existant ne permettra pas aux FAMa de sécuriser seuls, durablement, le Nord-Mali, il permet cependant de laisser penser, à Bamako, que l’armée est républicaine et qu’après les dérives du 22 mars 2012 tout est rentré dans l’ordre.
Pour SBM, c’est le point majeur. Dès lors que les partis politiques africains – un quart de siècle après la généralisation du multipartisme – n’ont qu’une existence artificielle, la seule force organisée demeure l’armée. De la même façon, d’ailleurs, qu’elle était le seul contrepoids au parti unique dans les décennies 1960-1980. SBM en a fait l’expérience au début des années 1990 quand il a fallu dégager Moussa Traoré du pouvoir. D’où, d’ailleurs, pour lui, qui était strictement « politique » et « syndicaliste », cette connexion étroite dont il a eu la responsabilité avec les « militaires », à commencer par ATT. C’est dire que la discrétion actuelle (et habituelle) de SBM ne doit pas faire illusion. S’il est un homme qui n’entend pas « injurier l’avenir », c’est bien lui !
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Il précisera également, alors qu’il est encore, pour quelques semaines, ministre des Affaires étrangères : « Les réseaux mafieux ont infiltré l’appareil de l’Etat et corrompu les populations. Tout cela a contribué à susciter une véritable extraterritorialité du Nord. De vastes zones sont gérées directement par les communautés locales qui essaient de rentabiliser comme elles le peuvent leurs territoires et le trafic de cocaïne, par exemple, leur offre un moyen […] Tout cela ne se serait pas produit si l’Etat avait été plus présent ». Il dira encore : « Nous avons un sérieux problème. Si les Etats de la région ne parviennent pas à asseoir leur souveraineté sur leurs territoires, il y a le risque d’une tribalisation d’une partie de ces derniers ». Il évoquera la nécessité d’une « reconfiguration » de l’armée malienne pour l’adapter aux tâches sécuritaires dans le Nord, mais aussi la nécessité d’une coopération « occidentale » dans trois domaines : le renseignement, la logistique et la formation. Il prônera également « une cohérence dans la durée », « une harmonisation des modes opératoires » des différentes armées de la région, la détermination précise de l’objectif à atteindre afin de définir « les moyens nécessaires et les étapes par lesquelles nous devons passer ».
Le 22 mars 2012, la donne change. ATT est renversé par quelques militaires. Le CNRDRE prend le pouvoir. SBM retourne à ses réflexions. En mai 2012, il va contribuer à un ouvrage sur le « printemps arabe » : « La Face cachée des « révolutions » arabes », ouvrage collectif publié par Ellipses sous la direction d’Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et patron de Risk Management. Pour SBM, pas de doute, ce qui se passe alors dans le Nord-Mali a sa source en Libye et dans l’intervention « occidentale » contre Mouammar Kadhafi. Cette intervention a nourri une nébuleuse au sein de laquelle différents mouvement : AQMI, Ansar Dine, etc. sont entrés en « joint-venture ». La crise malienne résulterait donc de la volonté affirmée d’AQMI de prendre possession du Nord-Mali. Le jihad serait le cri de ralliement et la chute des Etats la finalité de l’opération. SBM regrette que ses avertissements n’aient pas été entendus par les « occidentaux ».
Le Mali étant coupé en deux et la junte étant encore dans les coulisses du pouvoir à Bamako, SBM va prôner « l’option militaire » : l’armée malienne avec un noyau dur de un ou deux régiments pour mener les actions en profondeur ; une force de la Cédéao pour contrôler les villes libérées et les axes routiers et sécuriser les populations ; des moyens extérieurs « occidentaux » pour l’appui logistique au sol et dans les airs, un soutien en matière de renseignement et de formation. Mais, dira-t-il à Vincent Hugeux (L’Express – 7 juin 2012) à qui il expose cette « formule idéale » : « Encore faut-il, pour parvenir à ce modèle, lever l’hypothèque de la gouvernance à Bamako ».
Pour « lever cette hypothèque », le médiateur, Blaise Compaoré, a entrepris de faire signer au capitaine Amadou Haya Sanogo l’accord-cadre de Ouagadougou (6 avril 2012). Une démarche que SBM jugera « pour le moins accommodante envers Amadou Sanogo » et qui « a suscité un certain agacement ». Il expliquera à Hugeux : « Dès lors que vous signez les documents sensés baliser la transition avec la junte, vous lui conférez un statut d’acteur central, y compris à l’heure de choisir le premier ministre et de composer le gouvernement ». Ce qui ne l’empêchera pas de noter que si, « côté opérationnel, l’équipe Sanogo doit bien entendu être tenue à l’écart, il suffit d’offrir à son patron, pourvu d’ailleurs d’un statut d’ancien chef de l’Etat, une porte de sortie ». C’était oublier qu’il ne suffisait pas de dégager en touche Sanogo ; encore fallait-il établir un cadre légal permettant de mener les opérations sur le terrain, politiques, diplomatiques et militaires. C’était l’objet de l’accord-cadre de Ouagadougou qui sera prolongé par l’accord préliminaire de Ouagadougou (18 juin 2013). SBM considérait alors, également qu’il fallait « élargir le front » et « donc intégrer au dispositif, le Tchad, la Mauritanie et, bien sûr, l’Algérie ».
C’est d’ailleurs à la suite de l’accord-cadre et de l’accord préliminaire de Ouagadougou que l’élection présidentielle pourra se dérouler aussi convenablement que possible au Mali et permettre la mise en place d’un gouvernement au sein duquel SBM va se retrouver en charge du portefeuille de la Défense et des Anciens combattants. Il a soutenu la candidature d’Ibrahim Boubacar Keïta après avoir, en juin 2012, franchi le pas en lançant son propre parti : Alliance pour la solidarité au Mali/Convergence des forces patriotiques (ASMA/CFP). Celui-ci obtiendra trois députés « directs » lors des législatives 2013 mais sera à même de constituer un groupe parlementaire du fait de députés indépendants ralliés.
C’est dire que Soumeylou Boubèye Maïga n’a pas tiré un trait sur sa carrière politique. D’autant qu’il se trouve en position de force : il est l’homme qui peut redonner sa dignité à l’armée. « Serval » et les Tchadiens ont fait le gros du boulot. L’European Training Mission (EUTM) a d’ores et déjà formé quatre bataillons interarmes maliens et quatre autres vont être formés d’ici 2016.
Et les choses se passent plutôt bien, la formation visant les quatre missions essentielles qui doivent être assumées par les FAMa : contrôle de zones ; opérations défensives ; reconnaissance offensive ; attaques interarmes. Reste à savoir ce que cela donnera sur le terrain, la grande inconnue demeurant la capacité de la chaîne de commandement à assumer sa tâche. Quoi qu’il en soit, cette formation, réclamée de longue date par SBM ne peut qu’améliorer l’existant. Et si cet existant ne permettra pas aux FAMa de sécuriser seuls, durablement, le Nord-Mali, il permet cependant de laisser penser, à Bamako, que l’armée est républicaine et qu’après les dérives du 22 mars 2012 tout est rentré dans l’ordre.
Pour SBM, c’est le point majeur. Dès lors que les partis politiques africains – un quart de siècle après la généralisation du multipartisme – n’ont qu’une existence artificielle, la seule force organisée demeure l’armée. De la même façon, d’ailleurs, qu’elle était le seul contrepoids au parti unique dans les décennies 1960-1980. SBM en a fait l’expérience au début des années 1990 quand il a fallu dégager Moussa Traoré du pouvoir. D’où, d’ailleurs, pour lui, qui était strictement « politique » et « syndicaliste », cette connexion étroite dont il a eu la responsabilité avec les « militaires », à commencer par ATT. C’est dire que la discrétion actuelle (et habituelle) de SBM ne doit pas faire illusion. S’il est un homme qui n’entend pas « injurier l’avenir », c’est bien lui !
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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