L’avenir politique au Mali : LE CHEMIN DU DIFFICILE | L'ESSOR
L’avenir politique au Mali : LE CHEMIN DU DIFFICILE
Face aux bouleversements de situations qui se sont concentrés en cinq jours, l’heure est aux réajustements
Ne pas se répéter, ne pas se contredire. La règle première des chroniqueurs n’est sans doute pas la plus facile à respecter en matière de journalisme. Mais il est des circonstances dans lesquelles il ne faut pas hésiter à la transgresser. Comme à l’instant présent où il nous semble indispensable de rappeler encore et encore une difficile vérité que nous avions déjà proposée. A notre avis, nos compatriotes ont tous admis le caractère exceptionnel de la situation que nous traversons, mais ils ne mesurent pas entièrement la gravité des risques que nous continuons à encourir et qui marquent du sceau de la fragilité notre avenir sur le court terme. Nous n’en sommes qu’à la toute première phase de réappropriation de notre destin. Ce qui signifie que notre maitrise des événements reste partielle et que le rétablissement de la normalité demeure embryonnaire et inégal. Il nous faut par conséquent accepter de composer aussi bien avec nos alliés qu’avec nos adversaires sans abdiquer de nos principes, ni abandonner nos intérêts.
L’exercice est sans aucun doute complexe. Et il ne peut se mener que dans la lucidité et dans la solidarité. Lucidité pour constamment procéder à l’appréciation la plus juste possible de la conjoncture aussi bien dans notre pays qu’à l’international et ne pas nous tromper dans la vision stratégique que nous nous choisissons. Solidarité par la pratique d’une culture du compromis de confiance, de la concession mutuelle et du renoncement temporaire. Le respect de ces deux principes est primordial. Car une spécificité essentielle nous concernant ne doit pas être perdue de vue. La situation que nous vivons est parfaitement inédite dans son essence, elle peut donc s’avérer, par moments, totalement imprévisible dans les enchaînements d’évènements qu’elle génère. Il arrive que cette imprévisibilité produise de véritables miracles. Comme l’organisation réussie de la présidentielle bouclée dans un esprit exemplaire alors que qu’étaient redoutées une débâcle organisationnelle et une déstabilisation supplémentaire du pays qu’aurait introduite la contestation violente des résultats.
Il arrive aussi que le phénomène contraire survienne et que l’imprévisibilité amène une très grave remise en cause de ce que nous considérions comme acquis comme les positions occupées par les FAMA à Kidal ou la perte de crédibilité des groupes armés au niveau de la communauté internationale. En l’espace de cinq jours, entre le samedi 17 mai et le mercredi 21 mai, les événements se sont bousculés et entrechoqués de manière contradictoire à Kidal, occasionnant une onde de choc qui s’est propagée jusque dans l’enceinte des Nations unies. Ces événements ont fait se succéder à un rythme accéléré le rappel symbolique de l’unicité du pays à travers la réunion du Premier ministre avec l’administration locale au gouvernorat de la 8ème Région ; puis le défi lancé à l’Etat et à la communauté internationale par les groupes armés avec l’assaut lancé contre le gouvernorat, la capture d’une trentaine d’otages civils et surtout l’assassinat de sang-froid de huit innocents ; ensuite la montée d’un puissant élan de soutien international en direction de notre pays, l’expression d’une condamnation unanime des actes terroristes et la ferme exigence adressée aux groupes armés de libérer les otages et d’évacuer le gouvernorat ; et enfin la consternation de l’opinion nationale et l’incompréhension de nos partenaires face à la tentative avortée des FAMA de reprendre le gouvernorat et de sécuriser l’entièreté de Kidal.
UN AVANTAGE NON NÉGLIGEABLE. En toute chose, il faut malheureusement considérer la fin. Le revers militaire est à plusieurs égards un coup dur porté au processus de « re-crédibilisation » de notre pays. Sur le plan diplomatique, il a ruiné une bonne partie du terrain gagné auprès de la communauté internationale dans la dénonciation du double jeu des groupes armés. L’attaque lancée contre la délégation du Premier ministre, la prise du gouvernorat qui avait été pourtant restitué il y a quelques mois à la MINUSMA, mais surtout la prise en otage d’agents de l’administration et l’exécution de huit innocents avaient ébranlé les plus sceptiques de nos interlocuteurs extérieurs.
Pour preuve, le Conseil de sécurité des Nations unies avait en sa réunion du 19 mai pris une résolution d’une sévérité exceptionnelle condamnant fermement les actes de violence qui s’étaient déroulés à Kidal. Le texte – fait nouveau – avait identifié explicitement la responsabilité des groupes armés « dont le MNLA » dans « l’occupation inacceptable et forcée des bâtiments administratifs et dans « la prise d’otages ». Le Conseil avait aussi insisté sur « la nécessité que les responsables de ces actes soient identifiés et poursuivis ». Il avait enfin stigmatisé très durement le comportement des groupes armés en indiquant que leurs « actions sapent les efforts vers la paix et la sécurité dans le nord du Mali, en particulier dans la région de Kidal et constituent une grave violation de la résolution du conseil de sécurité 2100 (…) et de l’accord préliminaire de Ouagadougou ». En outre, même si les membres du Conseil avaient « réitéré leur plein soutien à la Minusma dans l’application de son mandat », ils ne pouvaient ignorer que la Mission avait manqué à son devoir de protection des populations civiles puisque les huit suppliciés du gouvernorat ne faisaient pas partie des forces armées et de sécurité maliennes.
Notre pays avait donc obtenu un avantage non négligeable en faisant constater la nature belliqueuse des groupes armés et surtout la collusion de ceux-ci avec des éléments djihadistes dont la signature était facilement reconnaissable dans la terrible exécution des otages. Mais l’opération militaire infructueuse réduit substantiellement les avancées obtenues. A travers cet épisode, notre pays a donné l’image d’un Etat qui a, de manière inexplicable, tenté de résoudre par la force ce que la diplomatie onusienne s’efforçait de lui restituer par la négociation, c’est-à-dire toutes les positions indûment occupées par les groupes armés à Kidal. Le cessez-le-feu unilatéral décidé par le président de la République au soir du 21 mai a limité le préjudice d’image, mais ne pouvait pas totalement réparer celui-ci.
Aujourd’hui, prévoir que les négociations avec les groupes armés seront encore plus ardues qu’auparavant serait formuler une lapalissade. Un aperçu de ce qui va se produire dans les semaines à venir a d’ailleurs été donné lors de la négociation du cessez-le-feu par le président en exercice de l’Union africaine. La troïka de Kidal a refusé d’inclure dans l’accord le retour des troupes maliennes à leurs positions antérieures. Ce qui pourrait bien signifier que nos soldats seront encore plus cloîtrés qu’auparavant lorsqu’au terme de pourparlers, ils pourront faire leur entrée dans la capitale de la 8ème Région.
D’autre part, les groupes armés tenteront certainement de convertir leur réussite militaire en avantage politique. Ce qui consisterait pour eux à obtenir un statut d’autonomie très avancée pour la zone de Kidal, statut qui leur abandonnerait l’administration de la zone tout en laissant à l’Etat le soin de pourvoir aux besoins de base des populations et d’animer un modèle de développement économique « spécial ». Un tel scénario est a priori inacceptable pour le gouvernement malien. Mais gageons qu’il se trouvera des partenaires très pressants pour pousser à la roue sous le prétexte qu’aucune concession n’est excessive du moment que la paix est en jeu.
PRESQUE PLUS RIEN NE S’IGNORE. Le dernier dommage collatéral des événements de Kidal frappe évidemment l’armée malienne elle-même et son image au niveau des populations. Mais ici le préjudice a été contenu. Parce qu’ils sont revenus de loin, nos compatriotes se gardent de certaines réactions excessives susceptibles d’envenimer des situations déjà très compliquées. Des FAMA, la plupart d’entre eux ne veulent pour le moment ne retenir que deux choses. Primo, le courage au combat de nos soldats le 17 mai dans la protection du PM et de sa délégation alors que la MINUSMA s’était mise de côté. Secundo, la volonté de l’Armée de consacrer définitivement le retour de Kidal dans le giron de la République en lançant son opération de sécurisation totale de la ville. Il n’y aura pas donc de véritables clameurs publiques sur le bien-fondé ou non de l’opération, ni de critiques prolongées sur le montage de celle-ci.
Mais cela n’empêche pas que nos compatriotes se soient retrouvés totalement désemparés mercredi dernier et qu’à défaut de voir la critique pointer, on a senti le doute s’insinuer. A juste raison, puisque l’Armée a échoué dans une action symbolique, sa première confrontation avec une alliance de groupes armés. En attendant les conclusions de l’enquête annoncée sur les circonstances de la prise de décision et sur la conduite de l’engagement, une conclusion évidente s’impose, la réforme des FAMA doit se poursuivre avec une rigueur accrue. Et le niveau d’exigence doit s’élever concernant le comportement d’éléments qui dans certaines localités se sont autorisés à organiser leur propre retrait. La chose a été rapidement sue puisqu’à l’heure de la démocratisation du cellulaire, presque plus rien ne s’ignore. Par contre, presque tout s’amplifie sous l’effet des rumeurs et des interprétations. Il est donc aisé de comprendre l’affolement qui a gagné les populations de Gao et de Tombouctou. Affolement renforcé par les traditionnelles rodomontades du MNLA.
Les autorités analysent certainement avec le plus grand soin tout ce qui s’est passé la semaine dernière et qui nous fait entrer dans une toute nouvelle séquence. La chute de Kidal constitue en effet un signal pour les djihadistes qui se sont délibérément mis en sommeil dans le Septentrion ou que les patrouilles de l’armée malienne avaient dissuadé de se montrer trop actifs. Beaucoup ont certainement dans l’esprit de tester le répondant du dispositif malien. C’est pourquoi pour prévenir une éventuelle multiplication des escarmouches, les éléments de Serval et de la Minusma se déploient auprès de nos troupes pour assurer la sécurité des populations. Nos partenaires français connaissent mieux que quiconque la volatilité des situations du Nord du Mali et surtout l’adaptation aux réalités du terrain démontrée par les entités terroristes Ancar Dine et MUJAO qui ne sont pas sans appuis locaux dans leur zone d’opération.
CONTINUER À FAIRE BLOC. Quant à la MINUSMA, même si elle insiste toujours sur les limites de son mandat, elle a bien conscience de la montée des nouveaux dangers et de la nécessité de neutraliser ceux-ci dès maintenant. Il ne fait donc aucun doute que la communauté internationale a interprété à sa juste gravité le signal envoyé par le revers de l’armée malienne et qu’elle renforcera certainement son appui à notre pays. Mais elle se montrera aussi plus attentive aux réajustements auxquels nous-mêmes procéderons. Aujourd’hui, le constat à dresser pourrait intégrer la célèbre formule du philosophe Soren Kierkegaard qui affirmait « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin ». L’heure n’est donc pas à la polémique, mais à l’estimation objective de la nouvelle conjoncture. Très vite va s’imposer à nous l’impératif de tracer une ligne tactique face aux négociations désormais plus complexes avec les groupes armés qui chercheront à capitaliser au maximum leur succès militaire. Il faudra aussi éviter une fragmentation de cette ligne du fait de la multiplicité des médiateurs.
En attendant, il y a déjà à faire face à l’élévation d’un cran du niveau d’alerte au Septentrion avec un possible regain d’activité du MUJAO et le réveil de toutes les bandes qui opèrent sous la franchise MNLA. Les FAMA sont donc astreintes à une efficacité accrue puisque de leur vigilance et de leur réactivité dépendra la consolidation pour les populations de la normalisation.
Il restera en fin à surveiller l’état d’esprit de nos concitoyens. La plupart d’entre eux ont choisi l’attitude qu’ils jugent la plus raisonnable : continuer à faire bloc derrière nos forces armées et de sécurité, s’abstenir d’instruire des procès superflus et opposer le barrage de la cohésion nationale à la vague de l’adversité. Néanmoins nombre d’interrogations bouillonnent sous le couvercle de la retenue et de l’union sacrée. Interrogations qu’il convient de ne pas ignorer. La bataille de Kidal et ses retombées collatérales se trouvent en effet depuis mercredi dernier au centre d’un espace d’échanges dans lequel s’entremêlent informations, rumeurs et intox, un espace que la communication gouvernementale, pourtant très active, ne couvre pas entièrement, car la reconstitution des responsabilités n’est pas encore achevée. Mais il arrivera forcément un moment où, sans affaiblir la nation, il sera possible de souscrire à l’obligation d’expliquer. Afin de continuer à avancer en confiance.
G. DRABO
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