mardi 3 juillet 2012

MALI. "La communauté internationale fait un pari insensé" - Le Nouvel Observateur

MALI. "La communauté internationale fait un pari insensé" - Le Nouvel Observateur
MALI. "La communauté internationale fait un pari insensé"

Créé le 03-07-2012 à 10h20 - Mis à jour à 13h51


Par Sarah Halifa-Legrand


Dimitri Brelière (*), ancien conseiller français de l'ex-président malien Amadou Toumani Touré, explique pourquoi il faut, selon lui, intervenir de toute urgence au Mali.

Mots-clés : Mali, Aqmi, Al-Qaïda, intervention, Onu, Cédéao




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Rebelles touaregs islamistes d'Ansar Dine près de Tombouctou (ROMARIC OLLO HIEN / AFP)

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Les Nations unies semblent finalement renoncer au projet d'intervention armée de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao). Sage décision ?

- Je ne crois pas. Pour des raisons compréhensibles – éviter un embrasement régional, préserver la vie des otages aux mains d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et ne pas mettre en danger celle des ressortissants étrangers présents au Mali et dans tout le Sahel –, elle fait le pari insensé de ne rien faire ! Elle laisse Aqmi, les rebelles touaregs d’Ansar Dine et du MNLA et les narcotrafiquants s'installer sur un territoire grand comme une fois et demie la France et commettre des exactions sur les populations. Pendant que la communauté internationale hésite sur la stratégie à adopter pour le Mali, on voit Aqmi et Ansar Dine profaner des tombes comme on l'a vu à Tombouctou, recruter et s’entraîner en vue de perpétrer des attentats ou des enlèvements. On peut craindre une guerre civile, voire un embrasement de toute la région. Et le Niger risque d’être le prochain sur la liste. Il y a urgence à agir.

La plupart des Etats africains en sont convaincus et appellent à une intervention. Mais alors qu'on était proche d'obtenir de l'ONU un mandat pour une opération militaire ouest-africaine, – la France parlait même d'une décision imminente et s'était déclarée prête à apporter un soutien logistique –, l'Algérie a convaincu les Nations unies, où la personne en charge de l'Afrique de l'Ouest, Saïd Djinnit, n'est autre qu'un Algérien, pour que le projet d’un recours à la force soit reporté au profit d'une solution négociée.

Pourquoi n’êtes-vous pas favorable à une telle option ?

- Parce que je ne crois pas en ses chances de succès. Combien de fois a-t-on négocié ? Les deux grandes vagues de rébellion touarègue ont débouché sur des accords en 91-92 et en 2006, d’ailleurs sous l’égide de l’Algérie. On en voit aujourd’hui le résultat. Maintenant que les rebelles touarègues se sont considérablement renforcés et occupent le terrain, je vois moins que jamais ce que l’on pourrait négocier. Et puis avec qui discuter ? On a reproché à Amadou Toumani Touré (ATT) de ne pas avoir combattu Aqmi comme il fallait et maintenant on irait discuter avec les terroristes ? L’Algérie n’a jamais voulu entendre parler de négociations avec les islamistes radicaux. Pourquoi cette volte-face ? C’est incompréhensible. A moins qu’elle ne soit dictée par sa crainte de voir des troupes étrangères s'installer dans sa zone d'influence et des groupes armés du nord du Mali se replier chez elle.

Faudrait-il aussi intervenir au sud ?

- La junte détient toujours la réalité du pouvoir puisqu'elle reste la seule détentrice des armes et fait ainsi peser une pression écrasante sur le pouvoir civil, comme en témoignent les séries d’arrestations en dehors de tout cadre judiciaire. Il faut donc absolument sécuriser les institutions par une force extérieure. Mais c'est justement ce que la junte refuse, défiant ainsi une nouvelle fois la communauté internationale.

Il est nécessaire aussi d’assurer la sécurité du président Dioncounda Traoré (sur la photo, des manifestants portent une banderole à son effigie, NDLR), qui, en tant qu'ancien président de l’Assemblée nationale et conformément à la constitution, était l’autorité la plus légitime pour prendre en charge l’intérim, pour qu’il puisse enfin quitter Paris et rentrer au Mali sans craindre pour sa vie, après l’agression honteuse dont il a été victime par une foule de manifestants qui avait été radicalisée et excitée délibérément. Car une des missions de Dioncounda Traore consiste à organiser une élection présidentielle d’ici à un an. Il faut qu’il puisse le faire en toute sérénité, transparence et impartialité.

Comment expliquez-vous la crise dans laquelle le Mali a sombré ? ATT en est-il le premier responsable comme beaucoup le disent ?

- ATT a en quelque sorte payé son entêtement à vouloir maintenir la date de l’élection présidentielle, à laquelle il n’était d’ailleurs pas candidat. Car derrière le coup d’Etat du 22 mars qui l’a évincé, il y a un homme, Oumar Mariko. Cet opposant à ATT s’était, lui, prononcé pour un report de l’élection, parce qu’il estimait qu’elle ne pouvait avoir lieu tant que le conflit perdurait au Nord mais certainement aussi parce qu’il savait qu’il n’avait aucune chance de remporter ce scrutin. Par l’intermédiaire d’un réseau de radios privées qu’il contrôle, et que beaucoup au Mali ont surnommées ironiquement "radios mille collines" en référence au Rwanda, et en passant son temps auprès des militaires du rang de la caserne de Kati, il a su instrumentaliser les revers subis par l’armée malienne au Nord pour distiller un sentiment de haine contre le régime d’ATT auprès d’une partie de la population et des soldats. Sa propagande a si bien fonctionné qu’il a ensuite suffi d’un mouvement de colère des militaires à Kati pour que cela conduise à une mutinerie qui elle-même s’est transformée en véritable coup d’Etat. Mariko a été le premier à applaudir le putsch.

On le soupçonne d'avoir fourni au capitaine putschiste Sanogo les listes de noms de personnalités à arrêter. Il conseille d'ailleurs depuis très habilement les militaires puisqu’il a réussi à écarter ses trois principaux ennemis : ATT d’abord, puis Soumaïla Cissé, (qui était candidat à la présidentielle) et enfin Dioncounda Traore. Il a donc sa part de responsabilité dans la crise au Sud, mais aussi au Nord : la situation y était certes très difficile, mais les troupes maliennes tenaient leurs positions. Ce sont les putschistes qui ont fait basculer le Nord dans le chaos : en arrêtant les officiers supérieurs qui coordonnaient les forces armées, ils ont déstabilisé la chaîne de commandement et désorganisé les lignes de fronts.

La gestion de la crise au Nord par ATT (photo ci-dessous) n’est cependant pas exempte de reproches…

- Rébellions touarègues à répétition, narcotrafic à grande échelle, prises d'otages, et, conséquence de l'intervention en Libye, entrée en masse d'armes dans le Sahel et retour des touaregs enrôlés dans l’armée de Kadhafi... Comment voulez-vous que l'un des pays les plus pauvres du monde puisse faire face à une telle succession d'événements ? Ne serait-ce que traquer Aqmi nécessite de mettre en œuvre des moyens humains, techniques et financiers considérables dont le Mali est dépourvu. ATT a maintes fois demandé de l'aide au niveau international. Ce n’est que la veille du coup d’Etat, à l’occasion d’un sommet de crise qui se tenait justement à Bamako, que la communauté internationale a vraiment pris conscience du danger et parlé d’un soutien, notamment sur le plan logistique.

Jusque-là qui a vraiment aidé le Mali ? Il y a eu une coopération militaire, avec la France et les Etats-Unis notamment, mais limitée. ATT a aussi appelé sans relâche à une véritable coordination avec la Mauritanie, le Niger et l’Algérie. Celle-ci n’a vu le jour qu’en 2010 avec la création d'un Comité d’état-major opérationnel conjoint qui n'a encore donné lieu à aucune opération commune. Les seules interventions dans le nord Mali ont été conduites dans le cadre de droits de poursuite par le Niger et la Mauritanie. En fait, la coopération s'est heurtée à des divergences sur le dossier : le Niger poussait pour une action militaire contre Aqmi, la Mauritanie, elle, s'appuyait plutôt sur le MNLA pour combattre Aqmi, tandis que l'Algérie, toujours ambiguë, n'a en fait jamais montré une volonté réelle de faire bouger les choses. Elle a ainsi tout fait pour que le sommet que nous réclamions sur la crise au Nord n’ait pas lieu.

Je ne dis cependant pas que nous n’avons pas commis des erreurs. Il a pu y avoir des insuffisances. L’armée a notamment manqué de moyens. Malgré les dotations d'armement que l'on a fait ces dix années, qui permettaient à l'armée malienne de rester l’une des mieux dotés d'Afrique de l'Ouest – et des livraisons aéroportées étaient d'ailleurs en cours au moment du coup d'Etat –, cela n'a pas suffi pour combattre cette agression exceptionnelle, due, je le répète, à l’arrivée massive ces derniers mois d’armes lourdes de Libye, et je peux comprendre le mécontentement des militaires.

ATT est soupçonné d'avoir noué un pacte tacite avec Aqmi. Cela fait-il partie de ses "erreurs" ?

- Sur ce sujet comme sur d’autres, des erreurs ont certainement été commises. Mais c’est une accusation très injuste. ATT a fait ce qu’il a pu avec les moyens dont il disposait. On lui a reproché de ne pas traquer et combattre frontalement les terroristes. Mais pouvait-il le faire ? Les offensives qu’il a lancées contre Aqmi ont fait de nombreux morts parmi les soldats. Pour combattre dans cette immensité désertique, il aurait eu besoin de moyens aériens, ou au moins d’un accès aux bases aériennes proches des frontières du Nord Mali pour ravitailler ses hélicoptères, ce qu’il n’a pas obtenu...

Il est aussi accusé d’avoir fermé les yeux sur la corruption qui ronge l’Etat, alimentée notamment par les narcotrafics du nord, et d’y avoir lui-même eu recours, en particulier en tentant d’acheter la paix dans le nord à coups de valises de billets.

- Il était conscient de l’existence d’une corruption importante au Mali. C’est pour cela que nous avons lancé plusieurs chantiers qui témoignent d’une volonté de transparence, première étape indispensable pour lutter contre ce phénomène : la modernisation de l’Etat, qui prendra du temps, le renforcement de l’inspection des finances et du contrôleur général de l’Etat. Un vérificateur général des comptes de la nation a été nommé en 2003, et les dits comptes sont mis en ligne pour que chacun puisse les consulter. Mais il n’est pas possible de tout contrôler du jour au lendemain dans un pays si grand et si pauvre.

Pour ce qui est du Nord, vous faites allusion aux primes à la réinstallation offertes par le gouvernement à ceux, parmi les combattants touaregs revenus de Libye, qui voulaient déposer les armes. Il ne s’agit pas de corruption. Il ne faut pas perdre de vue que c’est grâce à la stabilité politique dont a bénéficié le Mali ces dix dernières années, qui rassurait les coopérations étrangères et les investisseurs privés internationaux, qu’il a pu enregistrer des avancées en terme de développement socio-économique.

Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand

*Français, Dimitri Brelière a été conseiller économique du Sénégal dans les années 90, puis conseiller au cabinet de l'ancien président malien Amadou Toumani Touré de 2002 à 2011. Il a notamment été en charge des programmes de renforcement des projets de développement du Nord Mali.

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