lundi 30 juillet 2012

L'Afrique et l'Europe ont besoin l'une de l'autre

L'Afrique et l'Europe ont besoin l'une de l'autre
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Dominique de Villepin le 28 février.
Dominique de Villepin le 28 février. | AFP/JEAN-FRANCOIS MONIER

Qui se soucie aujourd'hui du sort de l'Afrique ? Depuis les attentats du 11 septembre 2001 pour les enjeux de sécurité, depuis la crise de 2008 sur les questions de développement, depuis l'échec de Copenhague sur les questions environnementales, nous sommes plongés dans une indifférence générale à l'égard de l'Afrique.

On dira que c'est tant mieux pour ce continent qui se trouve ainsi moins prisonnier des regards et des clichés. Un "afroptimisme" béat célèbre la mondialisation heureuse et fait croire qu'avec l'avènement d'une bourgeoisie continentale tout sera réglé très rapidement. Un "afropessimisme", en définitive bien cynique, excuse l'inaction sur un air de "quoi qu'il en soit, l'Afrique est mal partie", faisant de la misère, de la faim et du sida des maux naturels du continent, ce qu'ils ne sont pas.
Entre persistance du regard colonial, perpétuation d'oeillères caritatives, leçons de morale, rage de l'impuissance et fatigue de la mauvaise conscience, un cocktail morbide nous fait passer à côté d'une relation historique aussi indispensable à l'Europe qu'à l'Afrique. Tout montre que nous sommes tentés d'abandonner l'Afrique, comme l'illustre notre incapacité à tenir notre promesse de consacrer 0,7 % de notre PIB à l'aide au développement. Que se passe-t-il pendant ce temps ? Le Brésil est à l'offensive pour nouer des liens avec le Nigeria et l'Afrique du Sud. La Chine double ses prêts à l'Afrique subsaharienne.
Pourtant, notre avenir est eurafricain. Les raisons sont économiques : la croissance de l'Afrique sera, demain, la croissance de l'Europe. De nombreuses PME de France, d'Allemagne ou d'Italie participent, par leurs activités sur ce continent, à l'émergence d'un entrepreneuriat local autonome.
Les raisons sont aussi humaines. Il y a d'ores et déjà plus de cinq millions de personnes originaires de l'Afrique subsaharienne en Europe et des centaines de milliers d'Européens en Afrique. Nos universités forment depuis plusieurs décennies une partie des élites du continent.
Enfin, les raisons sont stratégiques car l'Europe reste, comme l'Afrique, orpheline de la guerre froide. Centres des attentions, les deux continents dérivent vers la périphérie, tandis que le Pacifique devient le centre du nouvel ordre mondial. Ce n'est pas un hasard si c'est en Afrique que l'Europe de la défense fait ses premiers pas et engrange ses premiers succès contre la piraterie en Somalie ou avec la formation de troupes de paix africaines dans le cadre du programme Eurorecamp.
Mais nous resterons bloqués si nous ne libérons pas nos regards et nos paroles, des deux côtés de la Méditerranée et du Sahara.
Il faut aller aux racines du mal africain, à savoir son système de corruption, son économie de prédation des ressources naturelles et sa sclérose démocratique. Les élites africaines doivent prendre la mesure de leurs responsabilités et saisir l'espoir de renouveau. Elles doivent prendre conscience qu'elles risquent un "printemps africain", à la hauteur de celui du monde arabe, si elles n'acceptent pas d'engager le changement, d'assumer leurs actes et de refonder leur légitimité.
Elles doivent faire aujourd'hui le choix de la durée, en mettant un Etat plus fort et plus transparent au service de la croissance et de l'emploi par une planification économique fondée sur une vraie expertise. Il faut aussi miser sur la jeunesse, qui a envie d'être pleinement impliquée dans l'avenir de son continent, par exemple à travers un service national doublé d'échanges scolaires et universitaires à l'échelle du continent.
Ces élites doivent faire le choix de l'équilibre démocratique en engageant dès maintenant l'ouverture et la stabilisation de régimes qui ont besoin de consensus pour atténuer la brutalité des alternances. Cela passe par un statut de l'opposition lui conférant des droits et des responsabilités. Cela passe aussi par un statut des anciens chefs d'Etat qui fasse sortir les passations de pouvoir de la logique du tout ou rien.
Ces élites doivent faire le choix de la coopération continentale en mutualisant les moyens au niveau des organisations régionales comme la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), la Communauté de développement d'Afrique australe ou l'Union africaine sur tout le continent, car la pression par les pairs est une voie qui peut donner des résultats, comme en attestent les débuts du nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad).
En convoquant dès aujourd'hui de bons instruments économiques, sociaux et politiques, un "printemps africain" pacifique est à portée de main. Pour contribuer à ce renouveau africain, les Européens ont aussi une partie du chemin à faire. Nous devons entrer dans le temps d'un partenariat à égalité et sortir de la logique d'aide à sens unique. Des progrès existent dans ce domaine avec le Partenariat stratégique lancé à Lisbonne en 2007.
Nous devons construire un partenariat fondé sur les hommes, la santé, l'éducation, la formation professionnelle, parce que ce sont les valeurs communes des deux continents et les moteurs de leur croissance future. Nous devons favoriser l'unité réelle de l'Afrique en facilitant les échanges et les déplacements en soutenant de grandes infrastructures transnationales de transports routier et ferroviaire, ainsi que des réseaux interconnectés d'électricité.
N'attendons pas que le discrédit atteigne les élites dirigeantes des pays africains pour dire tout ce que nous avons à dire. Le changement négocié est toujours préférable aux ruptures brusques qui libèrent les vieux démons - la Syrie et la Libye en attestent.
Mettre fin à la "Françafrique" ne peut être accompli en un jour. Cependant, nous pouvons y arriver. Il ne s'agit pas de couper les ponts, mais au contraire de construire une nouvelle relation, transparente et égale, non plus de pays à pays, mais de continent à continent. Soyons au rendez-vous du partenariat eurafricain.
Dominique de Villepin a aussi été ministre des affaires étrangères et ministre de l'intérieur (2002-2005) ; il a fondé le mouvement République solidaire en 2010.

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