Cohabitation entre réfugiés maliens et autochtones
-Leurre et misère en terre sahélienne
17 juillet 2012, parDéou, commune rurale de la province de l’Oudalan dans la région du Sahel, est devenue la vallée des réfugiés maliens au Burkina. Située à plus de 400 km au Nord de la capitale burkinabè, Ouagadougou et à environ 50 km du Mali, elle reçoit chaque jour des fugitifs du nord-Mali. Dans ce milieu un peu hostile, hommes, femmes, enfants et animaux ont du mal à se nourrir et à trouver de l’eau. L’unique forage est à plus de dix km des concessions. On y passe souvent la nuit avec pour vœu, repartir à la maison avec un peu d’eau. Déjà plongé dans une situation indélicate due à l’ingratitude de la nature, ce village sahélien de 23 000 âmes a vu sa population triplée en un temps record. En cinq mois, ils sont près de 50 mille Maliens à se réfugier sur le territoire communal de Déou. Ce qui rend les conditions de vie plus difficiles qu’elles ne l’étaient avant. Ce mardi 5 juin 2012, sous le coup de 16 heures, une ambiance délétère régnait entre des réfugiés et quelques autochtones du village. Une distribution de vivres en était la cause. En effet, une ONG venue du Niger, le Centre de bienfaisance pour la promotion de l’enseignement de la santé et de secours a remis 15 tonnes de mil, 10 tonnes de riz, 4 tonnes de sucre, 11 bidons d’huile et 100 bâches aux réfugiés du camp de Gandafabou, village appartenant à Déou. La distribution de ce don n’a pas suivi les règles, à en croire les populations. Dans la nouvelle approche du Programme alimentaire mondial (PAM), il est recommandé d’apporter une assistance aux populations d’accueil des réfugiés. Selon Souleymane Ag Rissa, habitant de Gandafabou, il leur a été demandé de répertorier les ménages vulnérables du village. Une liste de 217 ménages a été présentée. A leur grande surprise, les réfugiés décident de leur remettre cinq sacs de 100 kg de mil, cinq sacs de 50 kg de riz, 1 bidon d’huile, 1 sac de sucre et un autre de sel. « Nous avons refusé de prendre ce don. Avec une telle quantité, comment allons-nous faire la répartition pour les ménages vulnérables ? Nous préférons garder notre dignité, tout en ayant faim que de prendre cette aide qui ne fera que nous mettre en conflit », avoue-t-il. Avant de poursuivre : « si nous rentrons au village avec ces sacs, les gens vont nous chasser. Nous sommes conscients qu’ils sont prioritaires, mais ils pouvaient nous remettre au moins une tonne de mil et une autre de riz », estime Ag Rissa tout indigné. Pour lui, ils sont payés en monnaie de singe par les réfugiés.
Soutien des autochtones aux réfugiés avant…
Il confie que la population a supporté les réfugiés à leur arrivée avant l’intervention des humanitaires. « Certains d’entre nous se sont même ruinés. Il y a des gens actuellement dont les conditions de vie sont plus difficiles que celles des réfugiés », affirme-t-il. Du côté des réfugiés, la compréhension est tout autre. Pour leur porte-parole, Mohamed El Moctar Ag Mahmoud, au départ, il n’était pas question de partager leur bien avec les autochtones. « Ils sont venus nous réclamer leur part. Comme nous n’étions pas informés, nous avons demandé au donateur s’il était au courant d’un don au profit des autochtones. Il nous a répondu non. C’est alors qu’il nous a demandé de leur donner volontairement la quantité que nous voulons. Nous avons prélevé 500 kilos de mil et 500 kilos de riz, des bidons d’huile, 2 sacs de sucre. Ils ont refusé de les prendre. Ils voulaient partager à égalité avec nous. Pourtant, quand l’Etat leur vient en aide, nous n’avons jamais été informés ni associés au partage », a-t-il clamé. Quant au donateur, le président de l’ONG Centre de bienfaisance pour la promotion de l’enseignement de la santé et de secours, Abdoulaye Moussa Mohamed, il a déclaré que lorsqu’il a reçu les 115 millions de F CFA de ses partenaires pour l’achat de 213 tonnes de marchandises, le maître-mot était pour venir en aide à tous les réfugiés implantés dans la région du Sahel (Ndlr : sites officiels de Gandafabou, Fererio, Mentao, Damba et Goudebou). Mais une fois sur le territoire burkinabè, il a été confronté aux problèmes des autochtones. Ainsi a-t-il demandé aux réfugiés de prélever une portion du don pour les autochtones. « Dans la réalité des choses, nous ne pouvons pas déterminer une quantité pour imposer aux réfugiés et dire que c’est ce qu’ils doivent donner aux populations. C’est à eux de le faire. Comme les autochtones ont partagé le peu qu’ils avaient avec les réfugiés aux premières heures de leur arrivée, il leur revient de rendre l’ascenseur. A mon retour, je rechercherai des fonds afin de revenir aider les populations autochtones », a-t-il souligné. Avant cette journée malencontreuse, les deux communautés vivaient en parfaite symbiose. Elles reconnaissent toutes que la cohabitation est sans ambages. Dans la province du Soum, chef-lieu Djibo, deux camps sont officiellement implantés. Il s’agit de ceux de Mentao et de Damba. Le même climat de paix règne entre populations et réfugiés maliens.
Les autochtones tirent le diable par la queue
En parcourant le Sahel, la misère se lit sur les visages. A Déou, la nuit est tombée. Dans la cour de Salif, un petit plat de tô de petit mil est posé sous le hangar. Une ribambelle d’enfants l’encerclent. Qui pour s’en servir, qui pour enlever la sauce. Les femmes assises au coin de la cour discutent de leurs affaires quotidiennes. Le chef de famille tente tant bien que mal, de cacher ses soucis. Il ne quitte pas du regard l’image que lui renvoient ses deux femmes et ses enfants. Il se demande sans doute de quoi seront faits les jours à venir ? Il finit par dire. « La vie est dure ici. Nous essayons de vivre avec les ventes des vivres à prix sociaux. Au lieu d’acheter le sac de 100 kg de mil à 28 000 F CFA, nous l’achetons à 12 000 F CFA et le sac de 50 kg à 6 000 FCFA. Mais la demande dépasse l’offre. Nous avons bénéficié de cette opération une fois et c’est fini », a-t-il indiqué, avec l’espoir que de telles occasions se multiplient. Cette réalité familiale est semblable à une bonne partie des concessions visitées. Les soutiens annoncés par l’Etat et le Programme alimentaire mondial (PAM) se font à compte-gouttes ou sont rares. Fererio est à 30 km de Déou. Ce village est le plus proche de la frontière malienne. Le plus grand site de réfugiés est à cet endroit. Ils sont plus de 20 mille réfugiés. Les habitants de ce village souffrent le martyre. « Depuis l’arrivée des réfugiés, aucune ONG ne nous a aidés. C’est une fois que le PAM nous a apporté une assistance alimentaire. Les réfugiés sont mieux que nous aujourd’hui », souligne le conseiller de Fererio, Ibrahim Alminawi. La main sur le cœur, Alminawi d’insister que pour survivre, ils sont obligés d’acheter les vivres auprès des réfugiés. Le sac de riz de 50 kg à 19 000 F CFA et celui de 100 kg de mil à 32 000 F CFA. Un journaliste de la Radio de lutte contre la désertification et les changements climatiques (RLCD) de Djibo, Moussa Werem, soutient que des populations vivent désormais avec les réfugiés parce que sur les sites, il est plus facile d’avoir de quoi se mettre sous la dent que dans les villages. Certes, à entendre le maire de la commune de Déou, Mamoudou Yampa, il est plus que urgent de s’occuper des réfugiés, mais il faut que les organismes humanitaires, les ONG, l’Etat, pensent aussi aux populations riveraines. En outre, les réalisations au profit des réfugiés doivent se faire dans les villages d’accueil afin qu’après leur retour, les populations puissent en bénéficier.
La vie est devenue plus chère
Avec l’arrivée massive des réfugiés au Sahel, assurer le quotidien est devenu difficile. Les prix des denrées de première nécessité ont grimpé. A Djibo, le sac de riz (25% brisure) s’achète à 20 000 F CFA et celui du mil de 100 kg à 23 500FCFA. A Déou, le bidon d’eau de 20 litres se négocie entre 100 F CFA et 150 F CFA, en fonction de la disponibilité du liquide. Aussi, il est difficile de se procurer un logement décent à un prix abordable. Dans cette commune rurale, le réfugié Sidi Ould Med a pu acquérir une cour dans laquelle il vit avec sa famille à 80 000 FCFA/mois. Des propriétaires de maison sont même allés déguerpir des locataires de leur cour afin d’augmenter les prix dans l’optique de les louer à des réfugiés. Cette amère expérience, Salamata Ba, ménagère à Djibo et son époux, l’ont apprise à leurs dépens. De même que leurs colocataires. « Dès que les réfugiés ont commencé à entrer dans la ville, notre bailleur a demandé à ce que les gens abandonnent sa cour. Les maisons sont passées de 20 000 FCFA à 30 000 FCFA en une journée », a-t-elle affirmé. Les condiments, en plus d’être rares et chers au marché, ne se marchandent plus comme d’habitude. Selon le confrère de la RLCD, la cherté de la vie allait être plus complexe si certains réfugiés ne repartaient pas de temps en temps au Mali pour apporter de quoi vendre sur le marché. Plusieurs réfugiés maliens revendraient les dons qu’ils obtiennent des organismes humanitaires, des ONGs et de l’Etat burkinabè. Ramata Yaméogo, habitante de Djibo, témoigne que les ustensiles de cuisine (paire de casseroles, 5 gobelets, 5 assiettes, un seau) s’échangent contre 7 000 F CFA. Le doyen du site de Damba au Soum, N’zoma Ag Akadassa, confirme lui aussi la vente des céréales et autres kits par ses compatriotes. Mais cela s’explique par le fait que leurs besoins essentiels ne sont pas pris en compte par les donateurs. Ces habitués du désert ne peuvent pas se passer du lait, du thé, de la viande et du beurre. Ils remettent sur le marché le strict minimum pour combler le manque. « Lorsque nous recevons les vivres, nous les divisons en trois parties : une pour les autochtones afin de préserver le bon voisinage, une destinée à la vente et l’autre pour notre propre consommation », précise le sexagénaire.
Faute de cartes HCR, ils n’ont pas à manger
A Gandafabou comme sur les autres sites, certains réfugiés se plaignent d’être mis de côté lors des distributions de dons. Ils sont considérés comme les oubliés des structures humanitaires. Les concernés ne possèdent pas de « cartes de ration » délivrées par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Les organismes se fondent sur la détention de cette pièce pour déterminer ceux qui ont droit ou pas aux vivres. « Il y a plein de personnes ici qui sont sans cartes HCR. La dernière distribution de cartes HCR remonte au 9 avril (Ndlr : l’entretien a eu lieu le 6 juin). Tous les donateurs viennent avec cette liste. C’est une fois arrivés qu’ils se rendent compte qu’il y a des nouveaux recensements », souligne l’administrateur du camp de Gandafabou, Sékou Warma. Le problème de manque de cartes existe sur tous les sites. Pour le résoudre, les réfugiés bénéficiaires sont contraints de réajuster les aides afin de soutenir ceux qui n’en bénéficient pas. Selon Mamady Kourouma, coordonnateur régional du UNHCR basé à Dori, la précieuse carte HCR, en plus d’être la clef de la porte du grenier pour les réfugiés, leur permet de bénéficier des soins de Médecin sans frontières (MSF) et de Médecin du Monde. Elle donne droit à l’assistance de OXFAM en eau et kits d’assainissement. Les Croix-Rouge burkinabè, luxembourgeoise et de Monaco interviennent sur la base de la détention de la carte. Ces avantages étalés expliquent aisément pourquoi certains réfugiés sont remontés contre le HCR. M. Kourouma justifie qu’ils sont obligés de procéder à un recoupement des listes, après le recensement, pour dénicher les réfugiés fraudeurs. Cela peut durer 7 à 15 jours. Il souligne qu’il y a des réfugiés qui réussissent à se faire enregistrer à plusieurs reprises dans différents sites. Cette attitude bouleverse les prévisions. Les propos de l’administrateur du camp de Damba, Issouf Sigui, corroborent ceux du représentant HCR. « Il y a beaucoup de tricheurs. Comme ils sont enturbannés, ils ne sont pas reconnaissables. Alors, beaucoup réussissent à se faire enregistrer à plusieurs endroits. Lors de la distribution, le surplus obtenu est automatiquement remis sur le marché », a-t-il regretté.
Steven Ozias KIEMTOREkizozias@yahoo.fr
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Pas de contrôle ni à l’entrée ni à la sortie
La frontière entre le Burkina et la partie occupée du Mali s’étale sur des centaines de kilomètres. Quatre journées à rouler sur les pistes rurales reliant le "pays des Hommes intègres" à celui du « Djatiguia » (en langue Bambara, renvoyant à l’hospitalité malienne). Aucune patrouille d’hommes en tenue n’a été rencontrée. Seulement des hommes enturbannés dans des pick up circulant souvent à vive allure sur les pistes sablonneuses. Une question se pose alors. Au vu de la situation qui règne au nord-Mali et de l’affluence de réfugiés de tout acabit, la frontière dans sa partie burkinabè est-t-elle sécurisée ? Ce doute s’est fait persistant lorsque nous avons rencontré le commissaire de police de Déou, Koulayebé Sékou Ouattara. La frontière entre les deux Etats est très poreuse. Surtout avec ce climat trouble au Mali. « Les réfugiés rentrent et sortent comme ils veulent sans être contrôlés à la frontière. Nous avons recommandé qu’il y ait des patrouilles régulières afin de maîtriser les sorties et les entrées. A ce sujet, des postes avancés de police et de gendarmerie sont en train d’être mis en place ». Pour plus de sérieux dans le contrôle de la migration, un haut gradé de l’armée burkinabè (ayant requis l’anonymat), au parfum des problèmes de sécurité dans la région soutient la thèse de l’officier de police. Il estime que même si pour l’instant, il n’y a pas de problèmes majeurs de sécurité manifestée, il est temps que les autorités prennent le taureau par les cornes et ne pas se laisser surprendre comme celles du Mali. Il est même urgent d’amener un détachement militaire à la frontière pour parer à toute éventualité, en l’occurrence dans la commune de Déou. Ce vœu est formulé du côté des populations et des réfugiés. D’autant plus que des braquages à main armée ont fait des victimes des deux côtés. Ce qui a provoqué une méfiance de part et d’autre. En tous les cas, les administrateurs des camps souhaitent que l’Etat, les organismes humanitaires, les ONG s’investissent dans la sensibilisation, surtout du côté des réfugiés, pour le respect des us et coutumes des autochtones. Car des dérapages ne manquent pas sur le terrain.
S.O.K
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