Par - Date: 16 Juillet 2012 Article lu 281 fois (actualisé toutes les 30mn)
Les images des destructions d’édifices culturels et religieux dans un Mali coupé en deux sont encore vives dans les esprits. Plongé dans un conflit à l’issue incertaine, le nord du pays est occupé par plusieurs groupes armés. Doudou Diène, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, d’intolérance et de xénophobie, revient sur les enjeux de cette crise.
Quels facteurs ont favorisé ce conflit ?
Tout d’abord, il faut prendre conscience de la gravité extrême de la situation au Mali. On ne trouvera pas de solution si on n’identifie pas ses causes profondes (géostratégique, religieuse et culturelle).
Le Mali est une porte ouverte sur le Sahara et le Sahel, une zone marquée par l’immensité de l’espace et l’absence de tout contrôle par les Etats riverains. Ce facteur géographique favorise l’installation d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et explique un facteur central dans la crise : l’alliance objective entre les narcotrafiquants à la recherche de facilités de passage de la drogue vers les côtes de la Méditerranée et le marché Européen et AQMI, qui a besoin d’armes et d’argent.
Quel est l’impact du facteur religieux dans ce conflit?
Avec une population à majorité musulmane, le Mali constitue le carrefour de courants religieux conflictuels. L’Afrique noire subsaharienne est dépositaire d’un islam soufi, organisé autour de confréries religieuses et vecteur de valeurs de paix, de tolérance et d’acceptation de la diversité.
En Afrique du nord arabo-musulmane, le courant wahhabite, qui se caractérise par une interprétation plus rigoriste de la religion est dominant dans les mouvements qui prônent un islam plus politique. Ce facteur de nature religieuse conflictualise la diversité du terrain culturel entre l’Afrique au sud du Sahara et le Maghreb arabe, ce qui explique la destruction du patrimoine religieux et culturel malien par ces groupes, qui détruisent tout objet contraire à ce qui est perçu comme dénaturant la primauté directe du Coran. Tous ces facteurs s‘inscrivent enfin dans la toile de fond de la tension ethnoraciale profonde entre l’Afrique noire et le monde arabo-musulman.
Quel est l’impact de la crise libyenne ?
Elle constitue le déclencheur décisif de tous les facteurs précédents par le renforcement des capacités militaires des deux groupes qui viennent de prendre le contrôle du nord du Mali : AQMI et les mouvements indépendantistes Touareg.
Les dirigeants politiques occidentaux, en faisant prévaloir le départ de Kadhafi par la fourniture massive d’armes sur l’unité démocratique de la Libye, n’ont pas pu analyser la complexité extrême du contexte géostratégique de vases communiquants sahelo-saharien et la diversité politique et religieuse des rebelles libyens.
Or une analyse simple aurait pu montrer qu’au cœur de la résistance libyenne existaient plusieurs groupes, dont certains marqués par un islam politique aguerri par la répression khadafiste. Une partie importante des armes qui avaient été données à cette rébellion se sont retrouvées entre les mains de groupes divers, y compris ceux-là, alliés d’Aqmi.
Quant aux Touaregs, ils faisaient partie de la garde rapprochée de Kadhafi. Et lorsque sa chute a commencé, ceux-ci sont retournés, déjà surarmés, dans leur territoire d’origine - le Sahara et le Sahel - et leurs pays : Mauritanie, Mali et Niger. Les armes dont ils disposent aujourd’hui leur ont permis de passer à une lutte armée plus intensifiée, ce qui a conduit à la situation qu’on connaît actuellement.
Quels sont les enjeux de cette crise pour la sous-région ?
Au cœur de cette crise, c’est la diversité ethnique et religieuse de la région. Une diversité qui doit se traduire par le pluralisme politique, mais aussi par le fédéralisme. Il faut donc travailler à la construction de grands ensembles régionaux fédéralistes.
Tout le monde sait qu’à la longue, personne ne peut s’en sortir seul. Il faut prendre en compte cette diversité et créer des formules politiques qui permettent de mettre ces pays ensemble dans des organismes régionaux, sous-régionaux, avec en perspective le grand rêve de l’unité africaine, théorisée par les pères des indépendances.
Nous devons le faire au moment où l’Europe comme les autres continents s’y attellent. L’une des leçons à tirer de la crise actuelle, est la nécessité urgente de renforcer cette dynamique de régionalisation articulée autour de ce qui est l’ADN des peuples Africains : le pluralisme politique, ethnique et religieux et nourri par les révoltes en cours en Afrique et dans le monde arabe.
Quelles mesures peuvent résoudre cette crise ?
Une réponse exclusivement militaire est de nature à déstabiliser toute la région. Toutes les crises de ces dernières années, de l’Iraq à l’Afghanistan, ont montré que les réponses militaires n’ont jamais été des éléments de solution durable. Il faut, à tout prix, éviter de recourir à l’intervention militaire sans vision politique et sans se soucier de ce que les peuples veulent eux-mêmes, comme cela s’est passé en Libye, en Irak ou en Afghanistan.
Cela dit, l’avancée de ces groupes et la destruction du patrimoine culturel religieux malien doivent être stoppées. Le surarmement des Touaregs et des mouvements de l’islam politique les rend plus puissants que l’armée malienne. L’un des aspects de la sortie de crise consiste donc à traiter en profondeur de la question de l’armée, en faisant d’elle une armée républicaine, et démocratique, ce qui a été occulté dans le processus prometteur de démocratisation du Mali.
Pour une paix durable dans toute la région sahélo-saharienne, il est capital, au-delà du politique et de la tentation idéologique d’antagonisation de l’islam des théoriciens du conflit des civilisations, de promouvoir un islam sahélo-saharien, fécondé par les valeurs de vivre ensemble, dans la diversité et le respect des droits de l’homme. La profondeur historique de ces valeurs est attestée par la Charte du Mandé, première déclaration universelle connue des droits de l’homme, élaborée au 13e siècle dans l’Empire du Mali.
Par: Moussa Diop
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