samedi 22 juin 2013
Il flotte dans l’atmosphère de Ouaga une ambiance de lendemain de résultats d’examen. Des jours de stress, puis vient l’épreuve et, enfin, l’annonce du résultat. Certes, les Ouagalais se soucient peu de ce qui s’est passé le mardi 18 juin 2013 à Ouaga 2000. Mais du côté des commentateurs, il y a une réelle satisfaction.
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Le Pays, quotidien privé qui ne se prive pas d’être critique à l’égard du pouvoir, donne le ton dans son édito de ce matin (jeudi 20 juin 2013) : « Franchement, dans cet épineux dossier malien avec son faisceau de contradictions, on craignait que le Médiateur de la Cédéao, le président Blaise Compaoré, n’y perde son âme. Finalement, avec les Accords durement négociés et signés le 18 juin, à Ouagadougou […] on peut dire qu’il s’en tire bien. Reconnaissons-le, personne ne pariait sur la réussite de cette médiation burkinabè, car tout le monde pensait qu’elle tournerait rapidement à l’échec. Blaise Compaoré enregistre, avec ces Accords intermaliens, une victoire diplomatique personnelle ».
Reste que, comme l’affirme le titre de l’édito du Pays, « le plus dur commence ». D’autant que la situation que connaît désormais le Mali ne ressemble à aucune autre. Cet accord intervient 40 jours avant la tenue de la présidentielle du 28 juillet 2013. Si tout se déroule bien d’ici là, si l’élection peut avoir lieu sans drame, si un candidat est élu sans contestation, le vainqueur se trouvera dans une situation inédite : il aura à mettre en œuvre un accord à l’élaboration duquel il n’aura pas participé mais qui le contraint ; et il devra assurer, dans un délai de soixante jours, l’organisation de pourparlers de paix. Il aura hérité tout cela de son prédécesseur, en l’occurrence Dioncounda Traoré, qui, lui, n’aura été qu’un président de la République par intérim. On pourrait penser qu’une fois élu le nouveau chef de l’Etat veuille envoyer balader tout cela. Après tout, il aura une légitimité que Traoré n’a pas et pourrait ne pas se sentir engagé par « l’accord préliminaire ».
Ce n’est pas impensable mais impossible. Et on imagine mal, tout autant, qu’un candidat puisse faire campagne sans intégrer dans son programme cet accord ; on imagine mal, aussi, que cet accord puisse être contesté, dans son bien fondé, par quiconque. « L’accord préliminaire » est un corset qui va obliger le prochain président de la République à tenir la ligne qui a été fixée le 18 juin 2013 à Ouagadougou. La question se pose même de savoir comment l’opposition, qui va reprendre des couleurs dès les résultats de l’élection présidentielle dans la perspective des élections législatives, pourra se positionner vis-à-vis de cet accord.
Autrement dit, Traoré aura eu, finalement, le temps de son séjour à Koulouba, plus de marge de manœuvre que n’en aura son successeur. Non pas que « l’accord préliminaire » s’impose à tous à la façon d’un traité (ce n’est, après tout, que le résultat d’une médiation internationale) mais parce que les parrains en sont l’UA, l’UE et l’ONU. Et qu’à la clé il y a les 3,25 milliards d’euros promis par la « communauté internationale » et dont la mise en œuvre sera conditionnée par les actions politiques sur le terrain malien. Ceux qui ont un doute et pensent encore que le Mali sera un Etat pleinement souverain au lendemain de la présidentielle du 28 juillet 2013 auraient dû écouter la déclaration de François Hollande, depuis la réunion du G8 en Irlande du Nord, dès lors qu’il a appris la signature de « l’accord préliminaire » : après avoir noté que les puissances mondiales avaient salué « le succès de l’initiative de la France », il a déclaré : « C’est très important de réussir l’opération politique concernant le Mali ». Hollande n’a rien dit de ce qu’était, selon lui, cette « opération politique »*. Mais cinq mois après le lancement de « Serval », voilà Paris engagé dans l’imbroglio politique malien. Il ne faut pas s’en étonner. Blaise Compaoré, lors de la cérémonie du 18 juin (cf. LDD Burkina Faso 0367/Mardi 18 juin 2013) a rappelé la part de la « communauté internationale » dans l’aboutissement de « l’accord préliminaire ». A l’issue de la signature de cet accord, il n’a pas manqué de souligner : « Nous vivons dans le même espace et […] nous devons nous organiser pour vivre cet espace ensemble ». Autrement dit, pas question de « lâcher les baskets » du prochain président malien.
C’est d’ailleurs ce que dit l’accord. Il établit clairement qu’il y a un « avant » et un « après ». Et que le passage de l’un à l’autre se fera à l’issue de la présidentielle. « Avant », c’est tout mettre en œuvre pour réussir l’élection : arrêt des hostilités ; cessez-le-feu ; cantonnement ; désarmement. « Après », c’est l’organisation des pourparlers de paix et la participation à la lutte contre le terrorisme. Et pour encadrer tout cela, il y a « Serval » (on sait que Paris a décidé de ne pas retirer ses troupes aussi rapidement que prévu initialement), MISMA puis, prochainement, Minusma (le comité technique de sécurité MISMA/Minusma s’est réuni dès la signature de « l’accord préliminaire », le 18 juin 2013, à l’hôtel Laïco). C’est le « corset » militaire ; le bras armé de la « communauté internationale » ! Précisons que certains organes de l’accord seront implantés au Nord, notamment à Gao et Anefis (où l’armée malienne a affronté le MNLA le 5 juin 2013). Autrement dit : là où les choses se passent.
Pour le reste, le Comité de suivi et d’évaluation va permettre aux pays partenaires et aux institutions régionales, continentales et internationales de « mettre leur nez » dans les affaires maliennes. Ajoutons à cela que les 3,25 milliards d’euros sont accordés « sous condition » et avec un mécanisme qui permettra de juger du bien fondé de leur utilisation. C’est dire que le prochain président de la République sera sous tutelle. New York, Paris, Ouagadougou et les « 3 N » (Nouakchott, Niamey, N’Djamena) ont pris la mesure du risque de déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest par les « islamistes » et les « terroristes ».
Blaise l’a dit clairement dans son discours du 18 juin 2013 : il s’agit que la « nation malienne [soit] mobilisée pour enrayer les fléaux de l’extrémisme religieux, du terrorisme, des trafics illicites et de la criminalité transfrontalière ». Il y a des années qu’on dénonce le laxisme de Bamako en la matière ; cela a été source de tensions entre Amadou Toumani Touré et ses pairs. Ce ne sera pas le cas avec le prochain président de la République qui va devoir faire la démonstration que son pays est apte à faire face aux menaces terroristes et mafieuses ; ce qui, du même coup, l’obligera à éradiquer les réseaux qui irriguent la classe politique malienne et le monde du business.
Un président sous tutelle face à une opposition qui aura les coudées libres (y compris de dénoncer un « gouvernement fantoche »), cela risque fort d’animer le débat « politique » à Bamako. Et le nouvel élu serait bien inspiré d’organiser une « conférence nationale » qui permette au pouvoir et à l’opposition de se mettre d’accord sur un « pacte de non-agression » concernant les fondamentaux républicains. Quoi qu’il en soit, cette situation ne décourage pas les candidats. Il est vrai que la présidentielle 2013 est une des plus ouvertes de l’histoire électorale malienne : pas de « sortant », pas d’homme providentiel, pas de candidat naturel…
Et dix-huit mois de crise n’auront pas permis l’émergence d’un homme politique nouveau. Parmi la bonne vingtaine de candidats annoncés, il y a donc une flopée de « vieux chevaux de retour » : Ibrahim Boubacar Keïta, Soumaïla Cissé, Modibo Sidibé, Soumeylou Boubeye Maïga…, Tiébilé Dramé bien sûr et quelques autres. C’est sans doute pourquoi l’ADEMA-PASJ, qui a illustré la vie politique du Mali depuis plus de vingt ans, a choisi un « quadra » qui veut être l’illustration d’un « passage des générations » : l’ingénieur des mines Dramane Dembélé. Un pari sur l’avenir !
* Deux éléments jouent en faveur d’une « opération politique » à la suite de l’opération militaire « Serval ». D’abord, en intervenant militairement du côté de Konna le 11 janvier 2013, Paris a changé la donne géopolitique et doit donc en assumer les conséquences. Ensuite, le bien fondé de cette intervention militaire – qui a fait, jusqu’à présent, la quasi unanimité en France – dépend du bon déroulement de la présidentielle du 28 juillet 2013 et de la mise en place des pourparlers de paix. Sinon, la France est condamnée à rester présente militairement au Mali pour de longues années ; et elle n’en n’a pas les moyens.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Reste que, comme l’affirme le titre de l’édito du Pays, « le plus dur commence ». D’autant que la situation que connaît désormais le Mali ne ressemble à aucune autre. Cet accord intervient 40 jours avant la tenue de la présidentielle du 28 juillet 2013. Si tout se déroule bien d’ici là, si l’élection peut avoir lieu sans drame, si un candidat est élu sans contestation, le vainqueur se trouvera dans une situation inédite : il aura à mettre en œuvre un accord à l’élaboration duquel il n’aura pas participé mais qui le contraint ; et il devra assurer, dans un délai de soixante jours, l’organisation de pourparlers de paix. Il aura hérité tout cela de son prédécesseur, en l’occurrence Dioncounda Traoré, qui, lui, n’aura été qu’un président de la République par intérim. On pourrait penser qu’une fois élu le nouveau chef de l’Etat veuille envoyer balader tout cela. Après tout, il aura une légitimité que Traoré n’a pas et pourrait ne pas se sentir engagé par « l’accord préliminaire ».
Ce n’est pas impensable mais impossible. Et on imagine mal, tout autant, qu’un candidat puisse faire campagne sans intégrer dans son programme cet accord ; on imagine mal, aussi, que cet accord puisse être contesté, dans son bien fondé, par quiconque. « L’accord préliminaire » est un corset qui va obliger le prochain président de la République à tenir la ligne qui a été fixée le 18 juin 2013 à Ouagadougou. La question se pose même de savoir comment l’opposition, qui va reprendre des couleurs dès les résultats de l’élection présidentielle dans la perspective des élections législatives, pourra se positionner vis-à-vis de cet accord.
Autrement dit, Traoré aura eu, finalement, le temps de son séjour à Koulouba, plus de marge de manœuvre que n’en aura son successeur. Non pas que « l’accord préliminaire » s’impose à tous à la façon d’un traité (ce n’est, après tout, que le résultat d’une médiation internationale) mais parce que les parrains en sont l’UA, l’UE et l’ONU. Et qu’à la clé il y a les 3,25 milliards d’euros promis par la « communauté internationale » et dont la mise en œuvre sera conditionnée par les actions politiques sur le terrain malien. Ceux qui ont un doute et pensent encore que le Mali sera un Etat pleinement souverain au lendemain de la présidentielle du 28 juillet 2013 auraient dû écouter la déclaration de François Hollande, depuis la réunion du G8 en Irlande du Nord, dès lors qu’il a appris la signature de « l’accord préliminaire » : après avoir noté que les puissances mondiales avaient salué « le succès de l’initiative de la France », il a déclaré : « C’est très important de réussir l’opération politique concernant le Mali ». Hollande n’a rien dit de ce qu’était, selon lui, cette « opération politique »*. Mais cinq mois après le lancement de « Serval », voilà Paris engagé dans l’imbroglio politique malien. Il ne faut pas s’en étonner. Blaise Compaoré, lors de la cérémonie du 18 juin (cf. LDD Burkina Faso 0367/Mardi 18 juin 2013) a rappelé la part de la « communauté internationale » dans l’aboutissement de « l’accord préliminaire ». A l’issue de la signature de cet accord, il n’a pas manqué de souligner : « Nous vivons dans le même espace et […] nous devons nous organiser pour vivre cet espace ensemble ». Autrement dit, pas question de « lâcher les baskets » du prochain président malien.
C’est d’ailleurs ce que dit l’accord. Il établit clairement qu’il y a un « avant » et un « après ». Et que le passage de l’un à l’autre se fera à l’issue de la présidentielle. « Avant », c’est tout mettre en œuvre pour réussir l’élection : arrêt des hostilités ; cessez-le-feu ; cantonnement ; désarmement. « Après », c’est l’organisation des pourparlers de paix et la participation à la lutte contre le terrorisme. Et pour encadrer tout cela, il y a « Serval » (on sait que Paris a décidé de ne pas retirer ses troupes aussi rapidement que prévu initialement), MISMA puis, prochainement, Minusma (le comité technique de sécurité MISMA/Minusma s’est réuni dès la signature de « l’accord préliminaire », le 18 juin 2013, à l’hôtel Laïco). C’est le « corset » militaire ; le bras armé de la « communauté internationale » ! Précisons que certains organes de l’accord seront implantés au Nord, notamment à Gao et Anefis (où l’armée malienne a affronté le MNLA le 5 juin 2013). Autrement dit : là où les choses se passent.
Pour le reste, le Comité de suivi et d’évaluation va permettre aux pays partenaires et aux institutions régionales, continentales et internationales de « mettre leur nez » dans les affaires maliennes. Ajoutons à cela que les 3,25 milliards d’euros sont accordés « sous condition » et avec un mécanisme qui permettra de juger du bien fondé de leur utilisation. C’est dire que le prochain président de la République sera sous tutelle. New York, Paris, Ouagadougou et les « 3 N » (Nouakchott, Niamey, N’Djamena) ont pris la mesure du risque de déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest par les « islamistes » et les « terroristes ».
Blaise l’a dit clairement dans son discours du 18 juin 2013 : il s’agit que la « nation malienne [soit] mobilisée pour enrayer les fléaux de l’extrémisme religieux, du terrorisme, des trafics illicites et de la criminalité transfrontalière ». Il y a des années qu’on dénonce le laxisme de Bamako en la matière ; cela a été source de tensions entre Amadou Toumani Touré et ses pairs. Ce ne sera pas le cas avec le prochain président de la République qui va devoir faire la démonstration que son pays est apte à faire face aux menaces terroristes et mafieuses ; ce qui, du même coup, l’obligera à éradiquer les réseaux qui irriguent la classe politique malienne et le monde du business.
Un président sous tutelle face à une opposition qui aura les coudées libres (y compris de dénoncer un « gouvernement fantoche »), cela risque fort d’animer le débat « politique » à Bamako. Et le nouvel élu serait bien inspiré d’organiser une « conférence nationale » qui permette au pouvoir et à l’opposition de se mettre d’accord sur un « pacte de non-agression » concernant les fondamentaux républicains. Quoi qu’il en soit, cette situation ne décourage pas les candidats. Il est vrai que la présidentielle 2013 est une des plus ouvertes de l’histoire électorale malienne : pas de « sortant », pas d’homme providentiel, pas de candidat naturel…
Et dix-huit mois de crise n’auront pas permis l’émergence d’un homme politique nouveau. Parmi la bonne vingtaine de candidats annoncés, il y a donc une flopée de « vieux chevaux de retour » : Ibrahim Boubacar Keïta, Soumaïla Cissé, Modibo Sidibé, Soumeylou Boubeye Maïga…, Tiébilé Dramé bien sûr et quelques autres. C’est sans doute pourquoi l’ADEMA-PASJ, qui a illustré la vie politique du Mali depuis plus de vingt ans, a choisi un « quadra » qui veut être l’illustration d’un « passage des générations » : l’ingénieur des mines Dramane Dembélé. Un pari sur l’avenir !
* Deux éléments jouent en faveur d’une « opération politique » à la suite de l’opération militaire « Serval ». D’abord, en intervenant militairement du côté de Konna le 11 janvier 2013, Paris a changé la donne géopolitique et doit donc en assumer les conséquences. Ensuite, le bien fondé de cette intervention militaire – qui a fait, jusqu’à présent, la quasi unanimité en France – dépend du bon déroulement de la présidentielle du 28 juillet 2013 et de la mise en place des pourparlers de paix. Sinon, la France est condamnée à rester présente militairement au Mali pour de longues années ; et elle n’en n’a pas les moyens.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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