jeudi 13 juin 2013
Mercredi 12 juin 2013. Le « inch’ Allah » de Tiébilé Dramé ponctuant l’annonce de son retour dès aujourd’hui, à Ouagadougou, pour concrétiser l’accord préliminaire établi à la suite de trois journées de marathon (cf. LDD Burkina Faso 0364/Mardi 11 juin 2013) laissait entendre que la décision ne dépendait pas de lui. Ni d’Allah d’ailleurs.
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Mais de dirigeants maliens qui se trouvent, à leur corps défendant, confrontés à la réalité d’une médiation : négocier, c’est faire preuve de compréhension pour l’autre et accepter de « mettre de l’eau dans son vin ». Il n’est pas certain que Bamako y soit prêt au nom d’une souveraineté qui, par ailleurs, ne lui appartient pas. A Ouaga, on attendait Dramé. Sans illusion. Mais avec agacement. Ce n’est pas un problème de transport : le conseiller spécial du président intérimaire du Mali a un avion à sa disposition… !
Toute cette démarche attentiste procède de la volonté de Bamako d’affirmer qu’il fait ce qu’il veut, quand il le veut, avec qui il veut. Pas sûr qu’à terme cela soit payant. L’édito du quotidien privé burkinabè Le Pays le dit sans détour ce matin (mercredi 12 juin 2013) : « Le fait est qu’en dépit des efforts de la médiation burkinabè, la tension monte, et la tâche devient chaque jour encore plus ardue […] Il est vrai que des deux côtés, il y a des limites que chacun semble ne pas vouloir dépasser, des clauses dont la responsabilité peut dépasser la simple délégation. Mais alors, quelle est donc la force du mandat avec lequel on vient négocier à Ouagadougou ? Que signifient ces voyages incessants à Kidal et Bamako soi-disant pour consulter ? Nous sommes en l’an 2013 et il y a tant de technologies à notre portée pour communiquer. Qu’on mette plus de sérieux dans ces négociations, et qu’on accepte de se respecter et de se faire confiance ! ».
Le ton est clair et net. Et l’exaspération est à fleur de peau. « Et si dans la capitale burkinabè, les acteurs de ce dialogue rongent leur frein en guettant le vol qui ramènera Diébilé Dramé, c’est qu’ils mesurent la difficulté, la sensibilité et le tact avec lesquels il faut jauger les positions des uns et des autres avant de trancher ». C’est Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana qui l’écrit ce matin dans L’Observateur Paalga (on notera que le quotidien gouvernemental, Sidwaya, fait l’impasse aujourd’hui sur l’actualité concernant le dossier malien : il traite des événements ayant eu lieu le 8 juin !). Zoungrana note, à juste titre, que le retard de Dramé pourrait être lié aux « dissensions internes » au sein du pouvoir à Bamako. « Nul doute que dans cette dyarchie* qu’est devenu le Mali, le président intérimaire, Dioncounda Traoré, n’a pas les coudées faciles dans ces négociations. Le trublion de Kati, le capitaine Amadou Sanogo, auteur du coup d’Etat contre ATT, véritable maître de l’armée, du moins des bérets verts, ne voudrait-il pas avoir son mot à dire ? ».
La question vaut d’être posée. La réponse s’impose : qui peut penser que ceux qui ont viré ATT, permettant à une nouvelle équipe d’accéder au pouvoir, vont accepter d’être les « dindons de la farce » : ils ont déjà dû céder la place sous la pression de la Cédéao (autrement dit Ouaga), ils ne vont pas, cette fois encore, lâcher la proie pour l’ombre.
Traoré n’est qu’un intérimaire. C’est la Cédéao (autrement dit Ouaga) qui l’a fait roi avec l’onction de la « communauté internationale ». Il valait mieux, pour gérer cette transition, un président de l’Assemblée nationale qu’une junte dirigée par un capitaine prof d’anglais.
Traoré l’oublie parfois. Djibrill Y. Bassolé le lui a rappelé aujourd’hui même. Face à face. Le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, refusant que la médiation du week-end ne s’ensable du côté de Kidal du fait des tergiversations de Bamako a pris un avion des Nations unies pour aller expliquer dans la capitale malienne qu’il y avait un temps pour tout : un temps pour faire la guerre ; un temps pour faire la paix. Et que lorsqu’on n’est pas « foutu » de gagner la guerre, il faut savoir jusqu’où on peut aller pour se voir octroyer la paix. C’est ce que l’on appelle « la tactique du gendarme ».
Bassolé n’a pas fait le déplacement tout seul. Il était accompagné des « représentants spéciaux pour le Mali » des organisations internationales (ONU, UA, UE…) ainsi que de diplomates « occidentaux ». Je rappelle, au passage, que Bassolé est aussi le « représentant spécial pour le Mali » de l’OCI, l’organisation islamique la plus impliquée dans le dossier malien. A Bamako, il n’a pas été accueilli par le président intérimaire mais par Tieman Coulibaly, son homologue. Qui, lui aussi, avait pris ses habitudes à Ouaga avant que Dramé ne soit nommé auprès de Traoré.
Nous sommes à moins de 45 jours de la date fixée pour la présidentielle. Autrement dit, la campagne officielle devrait être lancée incessamment. C’est dire que le temps presse ; d’autant plus que la bonne volonté de Kidal risque de s’effriter si Bamako joue trop longtemps la vierge effarouchée. Paris est aussi monté au front. Laurent Fabius (dont l’exaspération est visible) a souhaité un accord avant ce soir, au plus tard demain, jeudi 13 juin 2013. C’est la mobilisation générale et Traoré aura bien du mal à résister aux pressions qui s’exercent sur lui. Il pourrait être l’homme qui a apporté la paix au Mali ; à tergiverser interminablement, il risque d’apparaître, désormais, comme un « emmerdeur ».
Mais c’est que la fin de la période de transition sera la fin de sa carrière présidentielle ; une carrière à laquelle il rêve depuis longtemps. C’est aussi que cette période de transition lui permet encore, et c’est ce qui lui importe, d’instrumentaliser les uns et les autres. Imaginons que Dramé soit parti lundi à Bamako avec un accord signé par les mouvements Touareg et autres groupuscules (plus ou moins – et plutôt plus que moins – opportunément créés) du Nord-Mali et qu’il soit revenu, le soir même ou le lendemain matin, avec le paraphe du président et du gouvernement.
Dramé, du même coup, devenait l’homme providentiel tandis que le pouvoir exécutif, à Bamako, n’apparaissait que comme une potiche. Inconcevable pour Traoré qui, s’il ne peut pas être le prochain président de la République, entend cependant que celui qui sera élu lui soit redevable de son job. Or, Dramé (dont rien ne prouve, d’ailleurs, qu’il sera le prochain patron), qui n’est, rappelons-le, que le conseiller spécial de Traoré et rien d’autre, auréolé d’un accord, devient un électron libre qui ne doit rien à personne, sauf à Ouaga, Paris et New York.
Traoré joue sa dernière carte. On a tous connu cela : si le gars qui doit vous mettre le tampon sur le papier le fait spontanément et sans rechigner, personne ne percevra qu’il détient un « pouvoir » et que sa peine et la difficulté de sa tâche méritent un bakchich à la hauteur de l’une et de l’autre. Traoré négocie son bakchich. Avec une contrainte particulière. Il en est d’autres qui attendent, eux aussi, le leur : à commencer par Sanogo et ses potes, tous ceux qui ne sont pas allés mourir pour reconquérir le Nord-Mali. S’il y avait eu, chez ces gens-là, le souci du présent et du devenir du Mali, il y a longtemps qu’on s’en serait rendu compte… ! La journée du mercredi 12 juin 2013 s’achève. Le temps passe. Traoré espère-t-il une lassitude de la médiation, de la « communauté internationale » et des Touareg dans l’attente d’une étincelle qui remettrait le feu aux poudres et lui permettrait de lancer une offensive militaire contre Kidal ? A ce jeu-là, celui de la provocation permanente, Laurent Gbagbo était passé maître. Il est en prison. Traoré devrait comprendre qu’au-delà d’une certaine limite son billet ne sera plus valable.
* Il semble abusif de caractériser le régime en place au Mali comme une dyarchie, autrement dit l’exercice conjoint du pouvoir par deux personnes ou deux groupes. A vrai dire, politiquement, il est impossible de le définir. Dans les années 1960-1970, on l’aurait tout simplement traité de régime « fantoche », considérant l’intervention militaire de la France comme « colonialiste » ou « impérialiste ». Si le régime de Dioncounda Traoré doit son existence à un pouvoir plus puissant, en l’occurrence la France, il est douteux que Paris dicte son action à Bamako et que Bamako défende strictement les intérêts de Paris.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Toute cette démarche attentiste procède de la volonté de Bamako d’affirmer qu’il fait ce qu’il veut, quand il le veut, avec qui il veut. Pas sûr qu’à terme cela soit payant. L’édito du quotidien privé burkinabè Le Pays le dit sans détour ce matin (mercredi 12 juin 2013) : « Le fait est qu’en dépit des efforts de la médiation burkinabè, la tension monte, et la tâche devient chaque jour encore plus ardue […] Il est vrai que des deux côtés, il y a des limites que chacun semble ne pas vouloir dépasser, des clauses dont la responsabilité peut dépasser la simple délégation. Mais alors, quelle est donc la force du mandat avec lequel on vient négocier à Ouagadougou ? Que signifient ces voyages incessants à Kidal et Bamako soi-disant pour consulter ? Nous sommes en l’an 2013 et il y a tant de technologies à notre portée pour communiquer. Qu’on mette plus de sérieux dans ces négociations, et qu’on accepte de se respecter et de se faire confiance ! ».
Le ton est clair et net. Et l’exaspération est à fleur de peau. « Et si dans la capitale burkinabè, les acteurs de ce dialogue rongent leur frein en guettant le vol qui ramènera Diébilé Dramé, c’est qu’ils mesurent la difficulté, la sensibilité et le tact avec lesquels il faut jauger les positions des uns et des autres avant de trancher ». C’est Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana qui l’écrit ce matin dans L’Observateur Paalga (on notera que le quotidien gouvernemental, Sidwaya, fait l’impasse aujourd’hui sur l’actualité concernant le dossier malien : il traite des événements ayant eu lieu le 8 juin !). Zoungrana note, à juste titre, que le retard de Dramé pourrait être lié aux « dissensions internes » au sein du pouvoir à Bamako. « Nul doute que dans cette dyarchie* qu’est devenu le Mali, le président intérimaire, Dioncounda Traoré, n’a pas les coudées faciles dans ces négociations. Le trublion de Kati, le capitaine Amadou Sanogo, auteur du coup d’Etat contre ATT, véritable maître de l’armée, du moins des bérets verts, ne voudrait-il pas avoir son mot à dire ? ».
La question vaut d’être posée. La réponse s’impose : qui peut penser que ceux qui ont viré ATT, permettant à une nouvelle équipe d’accéder au pouvoir, vont accepter d’être les « dindons de la farce » : ils ont déjà dû céder la place sous la pression de la Cédéao (autrement dit Ouaga), ils ne vont pas, cette fois encore, lâcher la proie pour l’ombre.
Traoré n’est qu’un intérimaire. C’est la Cédéao (autrement dit Ouaga) qui l’a fait roi avec l’onction de la « communauté internationale ». Il valait mieux, pour gérer cette transition, un président de l’Assemblée nationale qu’une junte dirigée par un capitaine prof d’anglais.
Traoré l’oublie parfois. Djibrill Y. Bassolé le lui a rappelé aujourd’hui même. Face à face. Le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, refusant que la médiation du week-end ne s’ensable du côté de Kidal du fait des tergiversations de Bamako a pris un avion des Nations unies pour aller expliquer dans la capitale malienne qu’il y avait un temps pour tout : un temps pour faire la guerre ; un temps pour faire la paix. Et que lorsqu’on n’est pas « foutu » de gagner la guerre, il faut savoir jusqu’où on peut aller pour se voir octroyer la paix. C’est ce que l’on appelle « la tactique du gendarme ».
Bassolé n’a pas fait le déplacement tout seul. Il était accompagné des « représentants spéciaux pour le Mali » des organisations internationales (ONU, UA, UE…) ainsi que de diplomates « occidentaux ». Je rappelle, au passage, que Bassolé est aussi le « représentant spécial pour le Mali » de l’OCI, l’organisation islamique la plus impliquée dans le dossier malien. A Bamako, il n’a pas été accueilli par le président intérimaire mais par Tieman Coulibaly, son homologue. Qui, lui aussi, avait pris ses habitudes à Ouaga avant que Dramé ne soit nommé auprès de Traoré.
Nous sommes à moins de 45 jours de la date fixée pour la présidentielle. Autrement dit, la campagne officielle devrait être lancée incessamment. C’est dire que le temps presse ; d’autant plus que la bonne volonté de Kidal risque de s’effriter si Bamako joue trop longtemps la vierge effarouchée. Paris est aussi monté au front. Laurent Fabius (dont l’exaspération est visible) a souhaité un accord avant ce soir, au plus tard demain, jeudi 13 juin 2013. C’est la mobilisation générale et Traoré aura bien du mal à résister aux pressions qui s’exercent sur lui. Il pourrait être l’homme qui a apporté la paix au Mali ; à tergiverser interminablement, il risque d’apparaître, désormais, comme un « emmerdeur ».
Mais c’est que la fin de la période de transition sera la fin de sa carrière présidentielle ; une carrière à laquelle il rêve depuis longtemps. C’est aussi que cette période de transition lui permet encore, et c’est ce qui lui importe, d’instrumentaliser les uns et les autres. Imaginons que Dramé soit parti lundi à Bamako avec un accord signé par les mouvements Touareg et autres groupuscules (plus ou moins – et plutôt plus que moins – opportunément créés) du Nord-Mali et qu’il soit revenu, le soir même ou le lendemain matin, avec le paraphe du président et du gouvernement.
Dramé, du même coup, devenait l’homme providentiel tandis que le pouvoir exécutif, à Bamako, n’apparaissait que comme une potiche. Inconcevable pour Traoré qui, s’il ne peut pas être le prochain président de la République, entend cependant que celui qui sera élu lui soit redevable de son job. Or, Dramé (dont rien ne prouve, d’ailleurs, qu’il sera le prochain patron), qui n’est, rappelons-le, que le conseiller spécial de Traoré et rien d’autre, auréolé d’un accord, devient un électron libre qui ne doit rien à personne, sauf à Ouaga, Paris et New York.
Traoré joue sa dernière carte. On a tous connu cela : si le gars qui doit vous mettre le tampon sur le papier le fait spontanément et sans rechigner, personne ne percevra qu’il détient un « pouvoir » et que sa peine et la difficulté de sa tâche méritent un bakchich à la hauteur de l’une et de l’autre. Traoré négocie son bakchich. Avec une contrainte particulière. Il en est d’autres qui attendent, eux aussi, le leur : à commencer par Sanogo et ses potes, tous ceux qui ne sont pas allés mourir pour reconquérir le Nord-Mali. S’il y avait eu, chez ces gens-là, le souci du présent et du devenir du Mali, il y a longtemps qu’on s’en serait rendu compte… ! La journée du mercredi 12 juin 2013 s’achève. Le temps passe. Traoré espère-t-il une lassitude de la médiation, de la « communauté internationale » et des Touareg dans l’attente d’une étincelle qui remettrait le feu aux poudres et lui permettrait de lancer une offensive militaire contre Kidal ? A ce jeu-là, celui de la provocation permanente, Laurent Gbagbo était passé maître. Il est en prison. Traoré devrait comprendre qu’au-delà d’une certaine limite son billet ne sera plus valable.
* Il semble abusif de caractériser le régime en place au Mali comme une dyarchie, autrement dit l’exercice conjoint du pouvoir par deux personnes ou deux groupes. A vrai dire, politiquement, il est impossible de le définir. Dans les années 1960-1970, on l’aurait tout simplement traité de régime « fantoche », considérant l’intervention militaire de la France comme « colonialiste » ou « impérialiste ». Si le régime de Dioncounda Traoré doit son existence à un pouvoir plus puissant, en l’occurrence la France, il est douteux que Paris dicte son action à Bamako et que Bamako défende strictement les intérêts de Paris.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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