jeudi 20 juin 2013

ACCORDS INTERMALIENS - Les Editions Le Pays

ACCORDS INTERMALIENS - Les Editions Le Pays
Le plus dur commencePublié le jeudi 20 juin 2013Page visitée 36 fois


« Celui qui voit objectivement les faits, celui qui ne veut pas fermer les yeux à la lumière, est tout de même obligé de reconnaître que ce n’est pas en étant des moralistes timorés que les gouvernants font prospérer les Etats ». Avec sa clarté glaciale, et sa lucidité souvent déroutante, Raymond Aron, citant ici
Pareto, insistait, avec raison, sur le fait que, dès qu’on signe un accord de paix, la tension entre morale personnelle et politique réelle devient vive. Franchement, dans cet épineux dossier malien avec son faisceau de contradictions, on craignait que le Médiateur de la CEDEAO, le président Blaise Compaoré, n’y perde son âme. Finalement, avec les Accords durement négociés et signés le 18 juin, à Ouagadougou, entre l’Etat malien et les groupes armés touaregs, on peut dire qu’il s’en tire bien.

Soif de paix et d’unité

Reconnaissons-le, personne ne pariait sur la réussite de cette médiation burkinabè, car tout le monde pensait qu’elle tournerait rapidement à l’échec. Blaise Compaoré, enregistre, avec ces Accords intermaliens, une victoire diplomatique personnelle. Le médiateur a décrit, selon ses propres termes, cet Accord comme « juste, réaliste et équilibré ». Et d’indiquer que, tous les protagonistes signataires de cet Accord ont l’obligation d’en respecter toutes les dispositions. A quoi reconnaît-on la puissance d’un Accord ?

Au fait que l’on s’engage en disant « oui » ou que l’on s’engage aussi en disant « non ». A Ouagadougou, tous les acteurs de la crise malienne ont dit un « oui » vibrant. C’est dire qu’avec cet Accord, aucune partie ne s’est sentie lésée. L’Union européenne (UE) qui a aussi participé aux négociations de Ouagadougou et qui est aussi une des parties signataires, a parlé d’un « accord historique ». Pour le Mali, ces Accords constituent donc une nécessité vitale, surtout quand on se souvient que, avant leur signature officielle, les opinions malienne, africaine et internationale ont alterné entre l’euphorie et le découragement. Elles avaient raison, puisqu’au cours de ces âpres négociations, on a souvent assisté à des rebondissements inattendus. D’ailleurs, il faudra bien le retenir, le respect de ces Accords sera soumis à un contrôle permanent des opinions publiques, notamment celui de l’opinion malienne. Sans les fortes pressions qu’elle a exercées sur les autorités de transition de Bamako, rien n’indique que celles-ci auraient fait preuve d’intransigeance, de détermination et de fermeté, au cours des négociations face aux groupes armés du Nord-Mali. On a même cru un moment que le médiateur était personnellement contesté par les négociateurs maliens, sous la pression de leur opinion publique nationale. Mais si tout le monde se réjouit de ce succès de la médiation burkinabè, et du fait que ces négociations de Ouagadougou n’ont pas tourné à la comédie de boulevard, on sent bien ici que la soif de paix et d’unité des Maliens ne peut et ne doit demeurer une expérience politico-diplomatique superficielle. Ces Accords inter-maliens de Ouagadougou n’ont pas pour finalité de créer, sur le sol malien, de nouvelles illusions, surtout qu’ils ont réussi l’exploit de faire passer ce pays de la situation inédite de l’obscurité à la lumière. Ils doivent rendre tous les Maliens conscients de leur communauté de destin. Et c’est une vision nouvelle du mali qui se dégage dans le contenu de ces Accords de Ouagadougou.

Tout accord reste fragile

Comme l’avait si bien vu Rousseau, au Mali, désormais, « l’ordre politique n’est et ne peut être que l’expression de l’ordre civil ». Avec les élections du 28 juillet, le Mali redeviendra un Etat constitutionnel, avec un pouvoir issu d’une légitimité populaire. Ce qui signifie clairement qu’aucune partie ne doit ruser avec la paix pour s’en servir afin de préparer une nouvelle guerre.

Cela dit, l’histoire des Accords de paix nous enseigne que tout Accord reste fragile et que son avenir dépend de la bonne volonté des signataires, lesquels auront besoin de déployer une énergie d’acier pour sa mise en œuvre effective. Les protagonistes de la crise malienne ont donc intérêt à ne pas se transformer, une fois rentrés chez eux, en « braconniers de la paix ». Car la paix ne se fera pas d’elle-même.

A l’heure actuelle, dans le camp des sceptiques, certains Maliens ne prennent pas au sérieux la signature de ces Accords, puisque, disent-ils, le MNLA a violé, dans le passé toutes ses promesses de paix. La réalité de l’application des Accords passés a fini par être toujours le contraire de ce que ce mouvement avait signé. Cela dit, il faut relever le fait que, contrairement aux Accords précédents signés entre l’Etat malien et les groupes armés du Nord-Mali, les Accords de Ouagadougou ont cet avantage d’être très bien encadrés. La « Commission technique mixte de sécurité » en est la colonne vertébrale, à travers ses « équipes mixtes d’observation et de vérification ». Compte-tenu de l’encadrement international de cet Accord, on pourrait en déduire que toute partie qui le violerait subira la réprobation totale de la « communauté internationale ». Bien sûr qu’au regard du passé, il faudra observer ici la plus grande réserve. Et, comme l’a si bien rappelé l’ancien président burundais, Pierre Buyoya, « signer un accord, c’est une chose, l’appliquer exige courage et volonté ». Les manœuvres de contournement ne manqueront pas. Mais à Ouagadougou, un jalon a été posé.

Désormais, il convient, au Mali, de se tourner vers l’avenir : le monde entier regarde les Maliens. L’armée malienne se déploiera, enfin à Kidal, mais pas à n’importe quel prix. Elle devra respecter l’intégrité physique des communautés touarègue et arabe du Nord-Mali, montrant ainsi qu’elle est une véritable armée républicaine. Sinon, en se livrant à des exactions ici, elle mettra en péril la loyauté de ces communautés à l’égard de l’Etat malien. Le futur chef de l’Etat, démocratiquement élu, devra diriger le pays en homme responsable qui, à tout instant, a conscience de son énorme responsabilité. Grâce à cet Accord, la misère matérielle et morale du peuple malien sera, enfin, prise en compte. L’essence de tout Etat ne réside-t-elle pas dans la volonté politique du peuple ? Et s’il n’y a pas d’unité et de fraternité entre Maliens, les futures élections deviendront le terrain d’un duel à mort, dans lequel il n’y aura plus de jeu de la majorité et de la minorité. La renaissance annoncée de la démocratie malienne se transformera en une lutte à mort, c’est-à-dire l’affrontement sauvage de toutes les peurs et de tous les ressentiments. Mais ne nous voilons pas la face : il existe bel et bien une tension réelle entre la paix et la justice que l’Accord n’aborde pas. Dans le Mali de l’après-élection, la question de l’amnistie, du pardon en vue d’une réconciliation réelle entre Maliens se posera, d’une manière ou d’une autre. Or, en parlant d’amnistie, c’est bien de politique qu’il s’agit. Mais il faut craindre que toute amnistie n’encourage dans un Mali redevenu démocratique, l’impunité. Cette perspective conduirait certains Maliens à chercher à en découdre avec le MNLA pour que justice soit faite. Entre Maliens, le consensus sur cet Accord est loin d’être total. D’ailleurs, on ne sent pas actuellement un grand enthousiasme, une grande tempête de joie patriotiques, enflammant toutes les régions du Mali. Mais si cet Accord venait à échouer dans sa mise en œuvre effective, le fiasco sera total et le chaos garanti. Or, le Mali revient de loin. Ne soyons pas fatalistes, même s’il existe dans tout fatalisme, une beauté tragique. L’Accord de Ouagadougou peut être comparé, pour le Mali, à une sorte d’intervention chirurgicale nécessaire. Mais à condition que les Maliens évitent de se comporter comme ces gens peureux qui veulent empêcher, bien que malades, toute intervention chirurgicale nécessaire. Décidément, pour le peuple malien, avec la signature de l’Accord de Ouagadougou, le plus dur commence. Car l’homme, aimait à dire Edmond Burke, est « la plus sage et la plus folle des créatures ». Gageons que le peuple malien sera sage en acceptant, et en facilitant l’application intégrale de cet Accord.


« Le Pays »

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