jeudi 13 juin 2013

MALI • Kidal, ville lugubre et sous pression | Courrier international

MALI • Kidal, ville lugubre et sous pression | Courrier international
A un mois des élections, les négociations pour “libérer” la ville du nord du pays se poursuivent. Sur le terrain les milices touaregs se préparent à la grande bataille.
El-Watan |
 

“Arrêtez ! Arrêtez ! Ils sont en train de tirer !” A une quinzaine de kilomètres d’Anéfis, sur la route qui relie Kidal à Gao, des commerçants nous empêchent d’avancer.

A bord de leurs énormes camions de marchandises assurant le ravitaillement des villages du nord du Mali, ils n’ont pas pu entrer dans le village d’Anéfis. Il est 5 h 30. Voilà presque une heure que le soleil tape sur le bitume éventré de cette route que les chars des militaires ont fini par achever. Les commerçants nous racontent que des accrochages entre l’armée malienne et le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad, mouvement touareg] auraient déjà fait plusieurs morts. La bataille est terminée, Anéfis est tombée entre les mains de l’armée malienne. Un sordide décor de science-fiction. Aucune âme visible. Des cases serrées.

Un chien qui court derrière son ombre. Je ne remarque pas la présence de Français. On les voit peu. Ils se trouvent à Gao, à l’aéroport, dont on ne peut pas s’approcher. Un militaire sort fièrement sa carte d’identité algérienne et me dit : “Tu es la fille de mon pays, félicite-moi pour cette victoire.” Je ne dis pas un mot. Je pense au barrage du MNLA que nous avons croisé hier.

Ils s’étaient adressés à Abou, mon chauffeur, en tamasheq, à moi en arabe ou en français. Ils m’avaient paru très jeunes mais ne connaissaient pas leur âge. Ils n’avaient pas plus de 25 ans. Puis ils nous ont quittés dans un nuage de poussière. Abou m’apprend que leur convoi a été décimé. Moussa et ses camarades, probablement morts. Le MLNA a fait état d’une vingtaine de morts dans ses rangs. Selon l’armée malienne, ils seraient plus d’une centaine. Nous sommes le 5 juin, six mois après le début de l’opération Serval. A Kidal comme à Gao, les témoignages sont les mêmes. “Le gouvernement malien n’a jamais rien réalisé ici, il n’a fait que perpétuer le système colonial.” Quand les gens ne vivent pas terrés dans leur maison, ils parlent de la peur qui les tenaille.

Ghetto du désert
Tout au long du voyage et dans chaque village, les drapeaux français côtoient les drapeaux maliens. Les murs sont recouverts de slogans : “Vive la France de Hollande”, “Merci à la France”, “Merci Hollande”. Une reconnaissance partagée parfois avec un sourire forcé. “La France est un ancien pays colonisateur. Aujourd’hui, elle nous a aidés en sacrifiant des soldats, nous lui devons le respect”, souligne un vieux. Vers 2 heures du matin, les téléphones de certains voyageurs se mettent à sonner. Le chauffeur traduit : “L’armée malienne est décidée à aller provoquer les Touaregs à Anéfis.” Nous traversons à la vitesse de la lumière des paysages surprenants de beauté, qui incarnent aussi la profonde misère du Mali. San, Mopti, Douentza, Hombori, Gossi…

Les panneaux des villes défilent, barrages et vérifications d’identité se succèdent jusqu’à Gao, qui nargue le fleuve Niger dont elle est séparée par un pont. Le coucher de soleil sur le fleuve me fait oublier que Gao est plongée dans le noir. Au matin, tout le monde déguste des beignets de farine avec du lait sous une douce brise matinale. Abou, le chauffeur qui doit me conduire à Kidal, est là.

Un feu invisible vous brûle la peau. La chaleur est telle que rien ne me rafraîchit. Abou me montre les effets des premiers bombardements français. Il y a des débris partout, des villages éparpillés, si miséreux. Au premier barrage du MNLA, les visages se décrispent à l’instant où je décline mon identité. “Bienvenue dans l’Azawad ! Ici vous êtes chez vous !” En réalité, le MNLA sort exsangue de ce bras de fer avec l’armée malienne, qui, grâce à l’intervention française, a pris de l’assurance. Faute d’hommes, la plupart de ceux que j’ai croisés sont des adolescents armés qui suivent d’autres adolescents armés, sans stratégie, sans moyens.

“Nous exigeons la libération de l’Azawad”, déclare un notable de Kidal. Un autre vétéran de la rébellion de 1963 [rébellion touareg contre le pouvoir central] s’insurge : “Le Mali a toujours voulu détruire la culture touareg. Les responsables appliquent un plan colonial pour nous éradiquer. Le gouvernement malien a permis la délocalisation des populations [noires]. Je me bats, sans faiblir, pour la reconnaissance de notre nation.” Dès 4 heures, la lumière du jour se dilue dans le ciel. Il n’y a pas de route ni de goudron. Kidal ressemble à un ghetto du désert.

Je choisis de parler en arabe pour ne pas passer pour une Française. Les rues sont pleines de sachets, de débris, de tôles, vieux moteurs ou pièces métalliques. Sur les murs : “Azawad libre”, “Vive le MNLA”, “Non au racisme”, “Azawad ou la mort”. Dans l’après-midi, on apprend qu’un kamikaze vient de se faire exploser. “C’est un Peul, un Noir”, m’informe-t-on. L’odeur de la chair brûlée sur le ciment ne me quittera pas. Le MNLA a arrêté de nombreux habitants noirs, craignant l’infiltration d’agents de l’armée malienne.

Si le MNLA s’est excusé auprès de ceux qui ont été malmenés, certains témoignages sont inquiétants. “Les Azawadiens n’ont rien à voir avec les Noirs. Les Noirs nous détestent depuis toujours”, confie un ancien du MNLA. Son ami s’énerve : “Comment peux-tu dire ça à une journaliste ?” Kidal est méfiante, lugubre et sous pression. “Je préférais quand c’était les islamistes qui commandaient. On n’entendait jamais parler de vol, de pillage ou d’agression”, lâche un citoyen désabusé. On récupère un pied du terroriste.

“Les Azawadiens voteront pour leur pays. Il n’est pas question qu’on nous impose des élections dans notre pays, lance un soldat du mouvement. La France soutient ouvertement le Mali, nous sommes abandonnés par l’Algérie, et les négociations ne sont qu’une manière de gagner du temps avant la grande bataille.” Car, comme le promet un haut responsable, “le Mali et le monde entier doivent comprendre que nous mourrons tous avant de livrer Kidal”.

Faten Hayed
Publié le 7 juin

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