Mardi, 03 Avril 2012 09:14
L’armée malienne ayant exécuté avec célérité un «repli stratégique», qui semble avoir été le fondement de sa doctrine militaire (ailleurs on appelle cela la «fuite devant l’ennemi»), il n’a pas fallu plus de trois jours pour que le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) occupe les trois grandes villes du Nord du Mali: Kidal vendredi; Gao samedi; Tombouctou dimanche.
Victoire d’autant plus rapide qu’à Bamako les militaires qui composent la junte (qui par ailleurs ne sont pas des guerriers, ni même des combattants, tout juste des bureaucrates) étaient occupés à négocier leur reddition avec le représentant du médiateur, Djibrill Y. Bassolé, ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.
Ajoutons que la victoire du MNLA a été facilitée par la défection des chefs militaires d’origine touarègue qui ont rejoint les rangs de la «rébellion»; qui, dans le même temps, affirme s’être transformée en «révolution».
Portons à l’actif du MNLA qu’ayant déclaré la «guerre» à Bamako le 17 janvier 2012, elle l’a gagnée le 1er avril 2012. Au passage, Amadou Toumani Touré (ATT), au pouvoir depuis dix ans, est tombé le 22 mars 2012. Chute brutale et sans gloire. Tandis que la junte qui a pris le pouvoir ce jour-là, condamnée d’emblée par la «communauté africaine» et la «communauté internationale», a dû mettre le genou à terre le dimanche 1er avril 2012. Ce minable coup d’Etat était motivé, nous disaient ses protagonistes, par le manque de moyens donnés à l’armée pour aller combattre la «rébellion». Résultat: les villes du Nord du Mali sont tombées comme des fruits mûrs dans le jardin des Touareg: l’Azawad! Autant dire que le capitaine Amadou Haya Sanogo, qui se voulait «l’homme fort» du Mali, a eu tout faux: politiquement, diplomatiquement et militairement. Un maillon faible ; pire encore qu’ATT!
L’attention des commentateurs était focalisée, ces derniers jours, sur Bamako ; or, tout se passait dans le Nord du pays, sans que l’on sache vraiment qui y faisait quoi, comment et pourquoi. Et on ne le sait toujours pas. Pas plus qu’on ne sait ce qu’est devenu ATT depuis ses déclarations à l’AFP et à RFI voici quelques jours. A Bamako, ce ne sera pas exactement un retour à la case départ. Mais on peut envisager, dans les plus brefs délais, un retour des bidasses dans des casernes qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Ailleurs, c’est un nouveau chapitre de l’histoire du Mali qui est en train de s’écrire: en tamachek! Le MNLA nous explique qu’en prenant le contrôle des trois cités du Nord du Mali, pardon de l’Azawad, sa «lutte de libération» a atteint ses «objectifs militaires». Il lui reste à atteindre ses «objectifs politiques». Dont on ne sait rien.
Le MNLA évoque «l’indépendance» de l’Azawad, une «autodétermination» des populations, affirme se «démarquer totalement des groupes islamistes» qui lui ont permis de conquérir notamment Kidal, met en cause la «complicité de l’Etat malien» dans le développement de ces mêmes groupes, soulignant cependant qu’Ansar Dine est dirigé par un Touareg, réfute la connexion passée entre l’état-major du MNLA et le régime de Kadhafi… Le général (cinq étoiles) Douglas Mac Arthur, héros de la Première et de la Deuxième guerre mondiales, figure incontournable de la connexion militaro-diplomatique US, disait que «la chance est la faculté de saisir les bonnes occasions». C’est ce que vient d’illustrer la blitzkrieg menée par le MNLA qui n’aura pas trouvé meilleur allié que le capitaine Sanogo! A tel point qu’on pourrait penser qu’il y avait complicité.
Ce n’est pas la première fois depuis les indépendances qu’un pays est coupé en deux par une rébellion. Soudan, Ethiopie, Somalie, Tchad, Côte d’Ivoire… Mais c’est la première fois qu’une «rébellion touarègue» occupe un terrain significatif tandis que la capitale est en proie à un coup d’Etat. C’est une nouveauté que les rebelles eux-mêmes doivent prendre en compte. D’ailleurs, ils n’ont eu de cesse, depuis la chute d’ATT, d’affirmer qu’ils se refusaient à négocier avec un gouvernement qui ne soit pas reconnu par le peuple malien et les communautés africaine et «internationale». Aujourd’hui, ils n’entendent pas, disent-ils, pousser leur avantage au-delà des «frontières» de l’Azawad. On peut s’en étonner.
Quelle est la viabilité économique et sociale de l’Azawad, territoire enclavé dans un pays enclavé, sans ressources naturelles avérées, sans infrastructures, sans équipements et qui sera en proie à l’hostilité de ses voisins, toujours préoccupés par la «volatilité» des Touareg? L’Azawad serait-il le territoire des seuls Touareg maliens ou aussi celui des Touareg nigériens qui, eux, revendiquent l’Aïr et l’Azaough? Pourquoi vouloir se fixer des frontières quand, depuis toujours, le fondement culturel de ce peuple est justement d’être sans frontières, de la Mauritanie au Soudan? Avec le MNLA et cette revendication d’un Azawad indépendant, nous sommes, apparemment, bien loin du mode de production politique habituel des Touareg, plus soucieux de sauvegarder leur indépendance et leur souveraineté que de les figer dans le cadre étroit d’un territoire géographiquement défini.
Alors, si cette revendication territoriale ne tient pas la route, quelle est la finalité de la «guerre» menée par le MNLA? C’est Abdoul Karim Saidou, doctorant en science politique à l’Université de Ouaga II, qui, dans un remarquable article publié dans le quotidien privé burkinabè Le Pays (mercredi 15 février 2012), plus d’un mois avant la chute d’ATT, apporte la réponse. «La logique ici est simple, il s’agit de saisir des fenêtres d’opportunité politique pour engager un bras de fer militaire avec l’Etat avec pour finalité d’obtenir une promotion politique […] Ce que visent les rebelles du MNLA n’est pas l’indépendance en tant que telle, au contraire, ils cherchent à créer un rapport de force politique qui leur permette de négocier une réinsertion dorée». La puissance coloniale française (et notamment son armée) a toujours été fascinée par les Touareg (il faut relire à ce sujet «L’Atlantide», roman écrit en 1919, au lendemain de la Première guerre mondiale, par Pierre Benoit) dont les méharistes ont constitué le fer de lance du maintien de l’ordre (colonial) contre les peuples «noirs» dans la zone sahélo-saharienne. Quand le général De Gaulle a envisagé l’indépendance de l’Algérie, il a souhaité maintenir sa souveraineté sur le Sahara.
Pour des raisons militaires (essais de la bombe atomique) et économiques (le pétrole et le gaz sahariens que Paris ne voulait pas voir devenir algériens). Pour cela, il avait un outil à son service: l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) qui entendait «fédérer» la zone sahélo-saharienne des futures ex-possessions françaises (Soudan français, Algérie, Niger). C’était donner à penser aux Touareg qu’ils pourraient exercer leur pouvoir sur une zone sinon indépendante, au moins autonome, avec l’aimable complicité de l’armée française, seul acteur présent sur ce terrain désolé.
La suite de l’histoire rappelle celle des Bété de Côte d’Ivoire. Le comportement aristocratique de peuples guerriers les ayant exclus du jeu colonial, les indépendances venues, ils se retrouveront marginalisés par les nouvelles administrations («bété» signifiait «manœuvre» à Abidjan) et vont développer un fort ressentiment à l’égard de la capitale, le pouvoir politique, économique et social tombant dans l’escarcelle de populations moins enclines à affirmer leur spécificité culturelle. Pour combler ce gap, les Touareg vont recourir à la rébellion. Dont Saidou* nous dit qu’elle est «processus de réinsertion de ses chefs», une «voie inversée», «une nouvelle filière dans la production des élites». Au Mali, nous en sommes là aujourd’hui !
* La réflexion de Saidou va plus loin que l’analyse historique. Il nous dit que, du même coup, dans les pays à population touarègue, «l’Etat est toujours contraint de sacrifier sa souveraineté sur l’autel de la paix du fait de la faiblesse de sa capacité régulatrice. Mais, en même temps qu’il lâche du lest pour sauvegarder son unité, il perd progressivement sur le registre de la diffusion des valeurs républicaines. Pire, sa prétention au monopole de la violence sur son territoire en sort anéantie. Comment sortir de ce dilemme?». Bonne question qui se pose aujourd’hui avec acuité au Mali.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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