La rébellion au Mali n’a rien de la révolution promise. C’est juste un constat d’échec… général (1/2)
dimanche 28 octobre 2012Ceux qui veulent nous faire croire que la « crise malo-malienne » résulte de « l’occupation » du Nord du Mali par des groupes terroristes et des organisations mafieuses nous trompent et se trompent. Dans la perspective d’une intervention militaire « internationale » dont nul ne dit en quoi elle peut consister ; et, surtout, contre qui elle doit être dirigée.
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Qu’il y ait des groupes terroristes et des organisations mafieuses qui surfent sur cette crise, rien de plus normal : ils étaient là bien avant que Bamako n’implose ; et en « terrorisant » la population locale, ils renforcent leur ancrage sur un vaste territoire qui, plus encore que par le passé, devient une zone grise d’où l’Etat malien et ses démembrements ont totalement disparu au profit d’une nébuleuse islamique qui pense trouver dans la charia une réponse aux problèmes d’organisation d’une société humaine musulmane, certes, mais foncièrement laïque.
La « crise malo-malienne » résulte de la décomposition, engagée depuis plusieurs années déjà, de la République, de l’Etat, de l’armée, de l’administration, de la société civile, etc. sous la férule d’une classe politique qui n’a ambitionné que de s’adonner aux « affaires » dans une contexte de laxisme et de corruption favorisé, justement, par la présence dans le Nord du pays, de groupes terroristes et d’organisations mafieuses. C’est pourquoi il ne sert à rien d’affirmer, jour après jour, que « la seule façon de régler le problème est militaire ».
C’est pourquoi aussi la démarche engagée, dès le départ, par ceux qui prônent une médiation, a visé à changer la donne à Bamako tout en maintenant le contact avec les groupuscules qui « occupaient » le Nord dans la perspective d’instaurer un dialogue. Il fallait faire avec ce que l’on avait sous la main : des Maliens pas très malins, des mafieux méfiants et des terroristes qui restaient terrés. Un président de la République et un premier ministre intérimaire, quelles que soient leurs limites, cela valait mieux que l’équipe de bras cassés qui a envoyé, quasiment sans coup férir, Amadou Toumani Touré, sa famille et ses proches « se dorer la pilule » sur les plages sénégalaises. Pas de quoi susciter l’enthousiasme ; mais c’était quand même moins pire qu’avant… !
C’était surtout s’efforcer de démontrer que la « crise malo-malienne » était politique et que sa solution était, du même coup, politique. Mais ceux qui veulent la guerre veulent surtout le chaos dans la région, des rives de la Méditerranée aux rives de l’Atlantique et jusqu’au lac Tchad. Et ainsi n’avoir pas à apporter de solution pérenne au problème politique qui se pose à Bamako. La situation actuelle ne résulte pas d’une soudaine montée en puissance des groupes terroristes et des organisations mafieuses dans le Nord du Mali mais du sentiment d’injustice qui animait les Touareg et les autre ethniques « sahélo-sahariens ». Un sentiment qui n’est pas né d’aujourd’hui, ni d’hier.
Certes, la médiatisation que les « islamistes radicaux » ont mise en place a, depuis, occulté la revendication des Touareg ; mais elle n’est qu’occultée et rien de pérenne ne pourra être entrepris sans les peuples du Nord qui n’ont aucun intérêt, à terme, à laisser les « islamistes radicaux » phagocyter une revendication territoriale qui est d’abord l’expression d’une volonté de reconnaissance culturelle. D’autant moins intérêt que ces « islamistes radicaux » sont perçus, au Nord, comme des étrangers et n’y ont aucun ancrage politique et social ; hormis exercer une « terreur » stérile, quel peut-être leur programme ?
Les « islamistes radicaux » ont pris le pouvoir dans le Nord sans avoir à faire la guerre à qui que ce soit ; de la même façon « l’armée » malienne a délogé du pouvoir, à Bamako, un général très particulier. C’est dire la déliquescence dans laquelle était la République du Mali. Et ce n’est pas avec quelques coups de pinceaux (Traoré et Diarra) qu’on va pouvoir repeindre démocratiquement sa façade. L’Afrique des présidents, certes, sait faire illusion quand il le faut : une conférence internationale, et hop, on goudronne un bout d’avenue, on lave quelques drapeaux, on dégage au bulldozer les gourbis près de l’aéroport et on choisi les plus jolies hôtesses pour les mettre au premier rang. Ni vu ni connu. Si c’est tout bon pour demain, cela laisse du temps pour voir ce qu’on fera après-demain.
A Bamako, les hôtesses ce sont Traoré et Diarra. Un président de l’Assemblée nationale et un « honnête homme ». Chez moi, on appelle cela un « cache-misère ». Une solution qui ne satisfait pas Washington. Hillary Clinton, lors de la conférence sur le Sahel, le 27 septembre 2012, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, a considéré que seul « un gouvernement démocratiquement élu aurait la légitimité de négocier un accord politique au Nord du Mali, de mettre fin à la rébellion et de restaurer l’Etat de droit » (cf. LDD Mali 049/Mercredi 3 octobre 2012). C’est une position radicale amusante de la part d’un pays qui a « produit » le plus grand nombre de gouvernements « fantoches » dans le monde en Asie, en Afrique, en Amérique latine, au Proche et au Moyen-Orient et même en Europe. Hillary, par ailleurs, ne dit pas comment on peut organiser une élection démocratique dans un pays coupé en deux et dont une partie est occupée par des groupes armés.
Cette radicalisation de Washington, très diplomatique, est simplement l’expression que le volontarisme des « va-t-en guerre » se heurte aux réalités du terrain malien et… à la géopolitique africaine. C’est à Alger – la capitale la plus opposée à toute idée d’intervention militaire – que le général Carter F. Ham, commandant en chef de l’Africom, vient de rappeler la position US sur ce dossier : pas de présence militaire américaine au Mali ; priorité à une solution politique et diplomatique ; rétablissement d’un gouvernement légitime à Bamako ; recherche d’une solution par le Mali lui-même et les acteurs régionaux ; dialogue avec les groupes et les éléments au Nord du Mali excepté les groupes terroristes. Ham a insisté sur la nécessité qu’il y avait à « faire la distinction entre les groupes armés dans cette région et définir ceux qui sont terroristes et les groupes qui ne le sont pas ». Ce qui conduit à remettre sur le devant de la scène le Mujao, Ansar Dine, le MNLA… Mais, dans le même temps, Ham ne dit pas comment on distingue un groupe terroriste d’un groupe armé.
C’est dire qu’il n’y a pas de solution globale à cette crise : pas plus dans le camp des « va-t-en guerre » que dans celui des médiateurs tous azimuts. Normal d’ailleurs : cette situation chaotique (pour ne pas dire « merdique ») résulte d’une « guerre » déclenchée par le MNLA mais doublement perdue (face à Bamako ; face aux « islamistes radicaux ») par ce même MNLA sans jamais avoir été réellement menée, d’un coup d’Etat militaire foireux qui n’a même pas eu à renverser le régime en place (ATT s’est tiré comme un lapin, s’est caché puis a pris la fuite sans résister mais il est vrai qu’il n’en avait ni l’ambition ni les moyens), d’une conquête du territoire qui s’est arrêtée d’elle-même du côté du 15ème parallèle sans que l’on sache qui sont vraiment les « conquérants » ni pourquoi ils n’ont pas entrepris de pousser plus loin leur avantage, sans que l’on sache, non plus, ce qu’ils veulent faire de leur « pouvoir » au Nord du 15ème parallèle. Qui menacent-ils, d’ailleurs, ces « conquérants » ? Leurs exactions vis-à-vis des populations locales sont-elles plus dramatiques que ce que subissent les Congolais (et les Congolaises) au Kivu, que ce qu’a connu le Darfour voici quelques années ou la Côte d’Ivoire lors de la guerre civile de 2010-2011… ?
Les pays frontaliers (Mauritanie, Algérie, Niger, Burkina Faso) sont-ils directement menacés par les « conquérants » du Nord ? L’armée malienne et la population civile sont-elles confrontées à des bombardements meurtriers, avec des moyens militaires disproportionnés ? Où se trouve la ligne de front ? Qui sont les « bons » et qui sont les « méchants » ? (ainsi, selon le ministère malien de la défense, l’armée aurait enregistré plus d’un millier de déserteurs qui auraient rejoint la rébellion ou, simplement, quitté le pays).
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
La « crise malo-malienne » résulte de la décomposition, engagée depuis plusieurs années déjà, de la République, de l’Etat, de l’armée, de l’administration, de la société civile, etc. sous la férule d’une classe politique qui n’a ambitionné que de s’adonner aux « affaires » dans une contexte de laxisme et de corruption favorisé, justement, par la présence dans le Nord du pays, de groupes terroristes et d’organisations mafieuses. C’est pourquoi il ne sert à rien d’affirmer, jour après jour, que « la seule façon de régler le problème est militaire ».
C’est pourquoi aussi la démarche engagée, dès le départ, par ceux qui prônent une médiation, a visé à changer la donne à Bamako tout en maintenant le contact avec les groupuscules qui « occupaient » le Nord dans la perspective d’instaurer un dialogue. Il fallait faire avec ce que l’on avait sous la main : des Maliens pas très malins, des mafieux méfiants et des terroristes qui restaient terrés. Un président de la République et un premier ministre intérimaire, quelles que soient leurs limites, cela valait mieux que l’équipe de bras cassés qui a envoyé, quasiment sans coup férir, Amadou Toumani Touré, sa famille et ses proches « se dorer la pilule » sur les plages sénégalaises. Pas de quoi susciter l’enthousiasme ; mais c’était quand même moins pire qu’avant… !
C’était surtout s’efforcer de démontrer que la « crise malo-malienne » était politique et que sa solution était, du même coup, politique. Mais ceux qui veulent la guerre veulent surtout le chaos dans la région, des rives de la Méditerranée aux rives de l’Atlantique et jusqu’au lac Tchad. Et ainsi n’avoir pas à apporter de solution pérenne au problème politique qui se pose à Bamako. La situation actuelle ne résulte pas d’une soudaine montée en puissance des groupes terroristes et des organisations mafieuses dans le Nord du Mali mais du sentiment d’injustice qui animait les Touareg et les autre ethniques « sahélo-sahariens ». Un sentiment qui n’est pas né d’aujourd’hui, ni d’hier.
Certes, la médiatisation que les « islamistes radicaux » ont mise en place a, depuis, occulté la revendication des Touareg ; mais elle n’est qu’occultée et rien de pérenne ne pourra être entrepris sans les peuples du Nord qui n’ont aucun intérêt, à terme, à laisser les « islamistes radicaux » phagocyter une revendication territoriale qui est d’abord l’expression d’une volonté de reconnaissance culturelle. D’autant moins intérêt que ces « islamistes radicaux » sont perçus, au Nord, comme des étrangers et n’y ont aucun ancrage politique et social ; hormis exercer une « terreur » stérile, quel peut-être leur programme ?
Les « islamistes radicaux » ont pris le pouvoir dans le Nord sans avoir à faire la guerre à qui que ce soit ; de la même façon « l’armée » malienne a délogé du pouvoir, à Bamako, un général très particulier. C’est dire la déliquescence dans laquelle était la République du Mali. Et ce n’est pas avec quelques coups de pinceaux (Traoré et Diarra) qu’on va pouvoir repeindre démocratiquement sa façade. L’Afrique des présidents, certes, sait faire illusion quand il le faut : une conférence internationale, et hop, on goudronne un bout d’avenue, on lave quelques drapeaux, on dégage au bulldozer les gourbis près de l’aéroport et on choisi les plus jolies hôtesses pour les mettre au premier rang. Ni vu ni connu. Si c’est tout bon pour demain, cela laisse du temps pour voir ce qu’on fera après-demain.
A Bamako, les hôtesses ce sont Traoré et Diarra. Un président de l’Assemblée nationale et un « honnête homme ». Chez moi, on appelle cela un « cache-misère ». Une solution qui ne satisfait pas Washington. Hillary Clinton, lors de la conférence sur le Sahel, le 27 septembre 2012, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, a considéré que seul « un gouvernement démocratiquement élu aurait la légitimité de négocier un accord politique au Nord du Mali, de mettre fin à la rébellion et de restaurer l’Etat de droit » (cf. LDD Mali 049/Mercredi 3 octobre 2012). C’est une position radicale amusante de la part d’un pays qui a « produit » le plus grand nombre de gouvernements « fantoches » dans le monde en Asie, en Afrique, en Amérique latine, au Proche et au Moyen-Orient et même en Europe. Hillary, par ailleurs, ne dit pas comment on peut organiser une élection démocratique dans un pays coupé en deux et dont une partie est occupée par des groupes armés.
Cette radicalisation de Washington, très diplomatique, est simplement l’expression que le volontarisme des « va-t-en guerre » se heurte aux réalités du terrain malien et… à la géopolitique africaine. C’est à Alger – la capitale la plus opposée à toute idée d’intervention militaire – que le général Carter F. Ham, commandant en chef de l’Africom, vient de rappeler la position US sur ce dossier : pas de présence militaire américaine au Mali ; priorité à une solution politique et diplomatique ; rétablissement d’un gouvernement légitime à Bamako ; recherche d’une solution par le Mali lui-même et les acteurs régionaux ; dialogue avec les groupes et les éléments au Nord du Mali excepté les groupes terroristes. Ham a insisté sur la nécessité qu’il y avait à « faire la distinction entre les groupes armés dans cette région et définir ceux qui sont terroristes et les groupes qui ne le sont pas ». Ce qui conduit à remettre sur le devant de la scène le Mujao, Ansar Dine, le MNLA… Mais, dans le même temps, Ham ne dit pas comment on distingue un groupe terroriste d’un groupe armé.
C’est dire qu’il n’y a pas de solution globale à cette crise : pas plus dans le camp des « va-t-en guerre » que dans celui des médiateurs tous azimuts. Normal d’ailleurs : cette situation chaotique (pour ne pas dire « merdique ») résulte d’une « guerre » déclenchée par le MNLA mais doublement perdue (face à Bamako ; face aux « islamistes radicaux ») par ce même MNLA sans jamais avoir été réellement menée, d’un coup d’Etat militaire foireux qui n’a même pas eu à renverser le régime en place (ATT s’est tiré comme un lapin, s’est caché puis a pris la fuite sans résister mais il est vrai qu’il n’en avait ni l’ambition ni les moyens), d’une conquête du territoire qui s’est arrêtée d’elle-même du côté du 15ème parallèle sans que l’on sache qui sont vraiment les « conquérants » ni pourquoi ils n’ont pas entrepris de pousser plus loin leur avantage, sans que l’on sache, non plus, ce qu’ils veulent faire de leur « pouvoir » au Nord du 15ème parallèle. Qui menacent-ils, d’ailleurs, ces « conquérants » ? Leurs exactions vis-à-vis des populations locales sont-elles plus dramatiques que ce que subissent les Congolais (et les Congolaises) au Kivu, que ce qu’a connu le Darfour voici quelques années ou la Côte d’Ivoire lors de la guerre civile de 2010-2011… ?
Les pays frontaliers (Mauritanie, Algérie, Niger, Burkina Faso) sont-ils directement menacés par les « conquérants » du Nord ? L’armée malienne et la population civile sont-elles confrontées à des bombardements meurtriers, avec des moyens militaires disproportionnés ? Où se trouve la ligne de front ? Qui sont les « bons » et qui sont les « méchants » ? (ainsi, selon le ministère malien de la défense, l’armée aurait enregistré plus d’un millier de déserteurs qui auraient rejoint la rébellion ou, simplement, quitté le pays).
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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