Il faut assortir l'engagement militaire de réformes économiques
Après des mois de tergiversations, le président François Hollande a donc décidé de soutenir une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et l'Union africaine, encadrée par la résolution 2071 du Conseil de sécurité des Nations unies.
On peut saluer cette décision prise à un moment difficile où la vie d'otages français est en jeu, comme celle de Maliens otages, eux, d'un conflit qui les dépasse. Reste à dissiper les non-dits et contenir les risques de ce qui pourrait se réduire à une aventure militaire de plus sur le continent africain, même si les Africains en seront les seuls acteurs.
D'abord, la France et son allié américain doivent faire le bilan de leur incapacité à peser dans les années qui ont précédé la crise : la célébration de la trop fameuse démocratie malienne et la coopération militaire avec ce pays ont trop duré pour qu'on puisse accepter l'apparente surprise du printemps où deux tiers du pays ont été conquis sans résistance de l'armée malienne et la démocratie réduite aux acquêts par un mouvement de colère de jeunes officiers conduits par le capitaine Amadou Saya Sanogo, responsable du coup d'Etat du printemps.
Ensuite, il faudra que tous les acteurs internationaux ne cèdent pas sur les conditions politiques d'une telle intervention. La crise malienne se joue d'abord à Bamako dans la mise à l'écart de putschistes avides de tirer des avantages matériels de la confusion plutôt que de restaurer l'unité nationale.
Mais aussi dans une classe politique trop habituée à des compromis sur le dos d'une population impuissante et dénuée de canaux d'expression ; enfin, dans une corruption généralisée des institutions et de leurs cadres, qui risquent de remettre aux calendes grecques la mise en ordre de bataille d'un contingent militaire malien.
Le discours de la France et de ses alliés occidentaux et africains est bien atone sur ces questions. Un silence d'autant plus préoccupant que l'impact de cette crise se sentira à terme sur l'ensemble du pays.
La crise se joue aussi dans la région, il est clair que nombre de voisins du Mali ont des intérêts dans les trafics locaux ou dans la crise qui s'est développée depuis le putsch de 2012. Les Etats de la Cédéao, l'Algérie et la Mauritanie seront les acteurs d'une résolution ou au contraire d'un approfondissement de la crise. Leur bonne volonté ne peut se limiter à fournir des troupes (financées sans doute par l'Union européenne et les Etats-Unis) mais aussi à entamer les réformes de gouvernance et de police pour fragiliser l'économie criminelle régionale et répondre aux discours de contestation religieux. On souligne les bénéfices que retirent les organisations armées, djihadistes ou non, des trafics illégaux.
Cependant, c'est en s'attaquant aux complicités au sein des Etats de la région, vitales dans la poursuite de ces activités délictueuses, qu'on mettra un terme à cette économie de la protection. La répression seule ne résoudra rien ; au contraire, elle permettra des alliances entre populations et trafiquants. Il faut, au-delà d'une action d'urgence, s'atteler aux problèmes socio-économiques de cette zone, en pleine recomposition.
Mettre en œuvre une politique réaliste et alternative n'est pas aisé et le sera encore moins dans la dynamique d'une intervention militaire : le rôle de l'Union européenne devra être essentiel et rester en phase avec les évolutions sur le terrain sans se perdre dans sa gestion bureaucratique, la période d'urgence passée. Sur cet aspect, les erreurs au Mali et la tentative au Niger doivent fournir les matériaux d'une réflexion critique et créative dans un franc dialogue avec les sociétés civiles et les Etats de la région. Les hésitations de l'Algérie nous rappellent aussi que la confiance entre Etats de la région n'est pas aussi grande qu'on veut bien nous le dire.
Enfin, il s'agit de définir des conditions et les buts de l'action militaire. La situation sur le terrain n'invite pas à l'optimisme, au-delà des délais incertains. La plupart des responsables militaires maliens veulent reprendre le Nord et restaurer un statu quo ante qui est inacceptable. Les troupes de la Cédéao n'ont pas d'expérience de combat dans ce type d'environnement et ont quelquefois des réputations sulfureuses. Les dommages collatéraux provoqués par les forces nigérianes sont pour beaucoup dans la popularité de Boko Haram.
Ces troupes devront tisser des liens avec la population, construire la confiance et avoir une action civile : aucune armée de la région ne semble bien entraînée pour ces tâches complexes. La résolution 2071 est confuse sur les cibles de cette intervention militaire. Seule Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) est mentionnée.
Il faut espérer que la communauté internationale et l'Etat malien auront une analyse plus profonde des ancrages locaux des groupes armés et des solidarités qu'il faudra émousser pour donner une chance sinon à une victoire militaire impossible, du moins au dialogue entre un Etat malien en quête de légitimité et des populations ulcérées par l'indifférence de Bamako à leurs revendications.
Restauration militaire de l'Etat malien ou espace croissant donné à la négociation avec l'avancée de l'intervention internationale, dans tous les cas, les relations entre communautés religieuses ou ethniques et l'Etat vont connaître de profondes altérations dans les années à venir. Faute d'avoir su régler ces problèmes récurrents depuis 1991, c'est le tissu social du Mali qui va devoir se transformer au prix de nouvelles crispations.
Roland Marchal, politologue au Centre d'études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po)
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