Mourir pour Tombouctou ? | Le nouvel Economiste
Les forces sont loin d’être prêtes et le syndrome de l’enlisement afghan est dans toutes les têtes
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Sous l’impulsion de la France, le principe d’une intervention armée dans le Nord Mali a été acté fin septembre à l’ONU. L’objectif est clair : déloger de la partie saharienne du pays les groupes armés islamistes qui, profitant de la déliquescence du pouvoir central à Bamako mais aussi de l’arrivée de combattants venant de Libye dans le sillage de la chute du colonel Kadhafi, entendent y ériger un Etat islamiste.
Qui sont donc ceux que l’on accuse d’occuper le nord du Mali ? Il y a tout d’abord le groupe Ançar Dine (“défenseurs de la religion”) composé essentiellement de Touaregs maliens se déclarant islamistes ; il faut y ajouter Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), un groupuscule affilié à Al- Qaïda dirigé essentiellement par des djihadistes algériens ; enfin, citons aussi le groupe Mujao qui se veut islamiste et anti-algérien. Au total, ce sont là tout juste trois à quatre cents combattants, peut-être un millier d’hommes si l’on y ajoute les quelques centaines de jeunes recrues, pour la plupart inexpérimentées, qui les ont rejoints récemment.
Sur le papier, l’intervention pourrait donc n’être qu’une simple formalité. Dans la réalité, rien n’est naturellement moins sûr. Tout d’abord, quand bien même la France a pris l’initiative et a fait pression pour que l’ONU valide le principe d’une intervention, Paris n’a aucunement l’intention d’y participer en envoyant des forces combattantes. Certes, elle est déjà présente sur place à travers divers éléments de ses forces spéciales. Toutefois, son statut d’ancienne puissance coloniale, son rôle moteur en Libye, sans oublier aussi des contraintes budgétaires réelles font, en liaison avec ses partenaires européens, qu’elle se contentera d’apporter un soutien logistique à une armée malienne réduite aujourd’hui à une peau de chagrin et aux forces africaines (Cedeao et Union africaine) prévues pour partir à la reconquête du territoire perdu.
Cependant, trois faiblesses majeures pourraient faire vaciller le projet de reconquête. En premier lieu, l’absence de légitimité du pouvoir politique en place à Bamako, issu d’un coup d’Etat militaire dénoncé par l’ensemble de la communauté internationale, freine clairement le soutien de celle-ci au projet porté par Paris. Elle explique ainsi pour partie la frilosité de Washington à l’égard de ce dernier. Ensuite, les forces africaines appelées à combattre les groupes islamistes sont peu familiarisées avec le désert. Le combat y est fait d’escarmouches et d’embuscades, c’est une guerre de mouvement où les grandes batailles au sens classique du terme n’existent pas.
Les seules forces africaines aguerries au combat en zone sahélienne sont les tchadiennes mais, à ce jour, elles ne font pas l’unanimité tant leur réputation d’être incontrôlables semble un obstacle à leur participation effective au contingent des quelque 3 300 hommes pressentis pour participer à cette force afro-onusienne. Enfin, il est un acteur clé qui n’est pas partie prenante au projet de reconquête du Nord-Mali, c’est l’Algérie. Seule véritable force militaire de la région, ce pays s’oppose avec force à toute ingérence et toute intervention chez son voisin du Sud.
Il y a dans ce refus, bien sûr, une part d’idéologie. Le risque, à ses yeux, toutefois, est de voir les groupes terroristes, pressés par l’intervention onusienne, franchir la frontière qui la sépare d’avec le Mali (près de 1 400 kilomètres) et s’installer côté algérien. Avec pour conséquence une déstabilisation accrue du Sud algérien.
Alors, mourir pour Tombouctou ? Encore faut-il que la communauté internationale s’accorde effectivement sur les objectifs et le calendrier. Surtout, les forces sont loin d’être prêtes et, au-delà, le syndrome de l’enlisement afghan est dans tous les esprits…
Par Pascal Lorot
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