lundi 15 octobre 2012

Le réveil des guerriers du désert | Le nouvel Economiste

Le réveil des guerriers du désert | Le nouvel Economiste
La guerre en Libye aura finalement réveillé le chaudron des nationalismes et des irrédentismes
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SoudanLa guerre en Libye aura finalement réveillé le chaudron des nationalismes et des irrédentismes dans la bande sahélienne. Nous l’avions dit et écrit à l‘époque, intervenir en Libye constituait une bêtise politique. Pour ceux qui ont la mémoire longue de l’Histoire, jamais la Libye actuelle n’a été unie. Ce n’est que sous l’autorité musclée de la Sublime Porte, des Italiens ou encore du colonel Kadhafi que Tripolitaine et Cyrénaïque, sans parler du Fezzan aux mains des Toubous, ont pu vivre dans un semblant d’unité. Le colonel-dictateur déchu, ou plutôt assassiné, la mosaïque libyenne a commencé à se fissurer. Et rien dans l’agitation politique actuelle ne peut nous rassurer sur cet après Kadhafi que certains en France et en Occident nous présentaient comme nécessairement radieux.
Plus graves sont les conséquences de l’instabilité libyenne. Défaite, l’armée des mercenaires employés par Kadhafi a réussi pour partie à se replier plus au Sud, et à franchir les frontières du pays avec armes et bagages. Rien de surprenant donc à ce que la déstabilisation touche maintenant le Mali, avant d’atteindre bientôt les autres pays de la région. Ceci d’autant plus facilement que cet espace géopolitique grand comme plusieurs fois la France et, en partie, vide de population, est le terrain d’exercice privilégié d’Al Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi).
La sécession du nord Mali (le fameux Azawad) et les troubles sahéliens s’expliqueraient ainsi par la convergence entre Islamistes (Aqmi mais aussi des mouvements comme Ansar Dine ou Boko Haram) et ex-mercenaires pro-Kadhafi en mal de combat et de territoires, sur fond d’irrédentisme Touareg.
En partie seulement. Résumer la situation complexe qui prévaut aujourd’hui dans ce cœur d’Afrique à cette simple équation, c’est faire preuve en effet d’aussi peu de lucidité géopolitique que lors du déclenchement de ce que l’on peut qualifier de « guerre française » en Libye. Jusqu’au milieu des années cinquante, sans parler bien sûr de la période précoloniale, les populations sahéliennes, qu’on les appelle Touaregs, Peuls ou encore, et la liste n’est pas exhaustive, « Hommes Bleus », étaient au cœur des échanges (sel, or, ivoire, esclaves, peaux, etc.) entre les Arabes vivant au nord du continent et les populations négro-africaines riveraines des fleuves Sénégal, Volta ou encore Niger. Riches, elles dominaient les populations noires et pauvres du Sud de la bande sahélienne. Les indépendances en 1960 ont mis fin à leur domination. Les Touaregs se sont retrouvés éparpillés au sein d’Etats dont ils ont été exclus de l‘ensemble des postes de décision.
Marginalisés, privés de leur droit, humiliés, ils n’ont cessé de revendiquer sans jamais être entendus. Les anciennes puissances tutélaires se sont bien gardées de les écouter, préférant consolider des régimes souvent corrompus mais dont l’appui était utile sur la scène internationale.
Ce sont ces populations bafouées qui aujourd’hui relèvent la tête. Elles le font avec les soutiens qu’elles peuvent avoir, faute de trouver en Occident des relais à leurs revendications – pour un grand nombre légitimes. Jamais Aqmi n’aurait pu se développer de manière aussi marquée dans cette région si les populations qui y vivent depuis des siècles avaient été respectées un tant soit peu. Aujourd’hui au Mali comme demain au Niger, ce n’est pas seulement une question religieuse qui prévaut, ni le succès d’Aqmi ou du terrorisme islamique. Ce sont avant tout les populations nomades du Nord qui veulent s’affranchir du joug des populations négro-africaines qui les dirigent et les oppressent.
Cette région, que l’on appelait il y a quelque décennies encore (mais qui s’en souvient ?) le Soudan français, pourrait bien suivre le chemin de la séparation entre peuples en situation antagonique comme cela a été le cas en juillet dernier lorsque le sud de l’ancien Soudan (le britannique) a pris son indépendance. Un tabou est brisé.
Par Pascal Lorot

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