Les islamistes cherchent à ramener au bercail les habitants du nord - maliweb.net
21 octobre 2012 Rubrique: Insécurité,Nord-Mali
Depuis fin mars/début avril, les villes et régions administratives du nord du Mali – Tombouctou, Kidal et Gao – sont tombées aux mains de groupes armés islamistes, un bouleversement précipité par un coup d’Etat qui, le 22 mars, a renversé le président Amadou Toumani Touré.
Attirés par les perspectives d’emplois, l’eau et l’électricité gratuites et, dans certaines régions, les prix relativement faibles des denrées alimentaires, des centaines d’habitants du nord qui avaient fui dans le sud choisissent de rentrer chez eux malgré l’imposition de la charia, ont dit à IRIN des Maliens du nord et du sud.
Selon des commerçants de la région, les groupes islamistes ont supprimé les taxes sur de nombreux biens de première nécessité et fixé le prix de certaines denrées alimentaires de base. Ils approvisionnent par ailleurs gratuitement la population en eau et en électricité, même si les coupures sont fréquentes. Face à la perspective d’une intervention de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ils promettent également un salaire aux jeunes qui rejoignent leurs rangs.
Gaoussou Traoré, chauffeur d’autobus pour Binké Transport, qui dessert le trajet Bamako-Gao-Tombouctou, a dit qu’entre mars et juin, ses autobus étaient remplis d’habitants du nord qui fuyaient vers le sud, mais que la tendance s’était inversée depuis. Les autobus se dirigeant vers le sud sont maintenant vides alors que les 52 sièges sont pris au retour. « C’est la même chose tous les jours », a-t-il dit à IRIN.
En avril dernier, lorsque les rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) ont pris le contrôle de sa région, Issa Mahamar, un professeur de français à l’école Yanna Maigo, à Gao, a fui à Sevaré, dans le centre du Mali, pour aller vivre chez un oncle. Il a récemment décidé de retourner chez lui, dans le nord, une région qui est désormais contrôlée par les islamistes, parce que le coût de la vie y est moins élevé et pour protéger sa mère qui est restée là-bas. « Je suis aussi revenu parce que la vie est moins chère ici. Nous n’avons pas de facture d’électricité ou d’eau… Avant, je payais 15 000 et 8 000 francs CFA par mois (30 et 16 dollars) pour l’électricité et l’eau, mais c’est gratuit maintenant. »
C’est la même chose pour les céréales, a-t-il dit, ajoutant que les citadins ont pu faire des réserves quand les rebelles et les islamistes ont pillé les magasins et les entrepôts du Programme alimentaire mondial (PAM) et vendu la nourriture aux locaux à faible prix.
« Imaginez-vous qu’un sac de riz coûte maintenant 20 000 francs CFA (40 dollars), alors qu’il se vendait entre 40 000 et 50 000 francs CFA (entre 80 et 100 dollars) avant », a-t-il dit à IRIN.
Le prix de la baguette de pain est maintenant fixé à 200 francs CFA [0,40 dollar], alors qu’elle coûtait 0,60 dollar avant, ont dit les locaux. Les brigades islamistes font la tournée des boulangeries pour s’assurer que tout le monde respecte les prix. « Ceux qui ne le font pas sont punis conformément aux principes de la charia », a dit à IRIN Tata Haidara, un ancien hôtelier de Tombouctou.
Selon des analystes et des locaux, l’argent nécessaire à l’approvisionnement en eau et en électricité et au versement du salaire des futurs combattants provient principalement de la contrebande et des prises d’otages.
La prise en charge des services essentiels n’a pas été sans embûches : l’approvisionnement est toujours irrégulier et, d’après certaines informations, des groupes islamistes auraient appelé les travailleurs du secteur public à reprendre leurs emplois pour assurer une meilleure gestion.
« J’ai retrouvé ma maison et mon emploi »
Parmi ceux qui ont fui vers le sud et n’ont pas trouvé de travail là-bas, plusieurs reviennent pour récupérer leur ancien emploi. Moussa Touré, 35 ans, travaillait comme infirmier dans un hôpital public de Gao avant de fuir à Bamako en mars. Il est retourné à Gao le 27 juillet et gagne maintenant 600 dollars par mois, soit le double de son ancien salaire, a-t-il dit à IRIN.
« À Bamako, je ne travaillais pas… J’avais des collègues qui étaient restés à Gao. Ce sont eux qui m’ont dit de revenir… Je ne le regrette pas. J’ai retrouvé ma maison et mon emploi. » Il n’est plus payé par l’État, mais par Qatar Charity, une ONG du Qatar.
« J’ai fait un choix en fonction de mes propres intérêts, comme tout le monde. Tous les jours, des médecins et des infirmiers reviennent travailler à l’hôpital », a-t-il dit à IRIN.
Certains jeunes sont également rentrés chez eux, attirés par la perspective de gagner 150 dollars par mois (ou beaucoup plus, selon certains) en rejoignant les rangs des groupes islamistes pour contrer l’intervention envisagée par la CEDEAO. On ignore toutefois quelle est l’ampleur de ces retours.
Des compromis difficiles
Selon des personnes retournées et des analystes, le retour exige des compromis difficiles. « Il est vrai que les islamistes appliquent la charia et procèdent à des amputations, des lapidations ou des flagellations en fonction de la nature des crimes commis », a dit Badra Macalou, un politologue qui vit dans la capitale, Bamako, « mais si vous respectez leurs règles, ils vous laisseront tranquille. »
De nombreux déplacés ont encore trop peur pour rentrer chez eux ou ne peuvent le faire parce qu’ils ont perdu leur moyen de subsistance. Fatimata Konta vendait du poisson au marché de Gao, mais le groupe islamique Ansar Dine a interdit aux femmes de travailler avec le public. Comme ses compatriotes, elle a donc dû fuir à Mopti, dans le sud, où elle vit maintenant avec ses huit enfants.
Ceux qui restent dans le sud sont de plus en plus confrontés à l’instabilité économique et politique. Les bailleurs de fonds et les investisseurs ont en effet cessé de verser une aide directe au gouvernement intérimaire et les trois figures politiques importantes – le président par intérim Dioncounda Traoré, le premier ministre Cheick Modibo Diarra et le leader du coup d’État militaire Amadou Haya Sanogo – se livrent une guerre d’influence.
« Les gens disent que ce qui se passe dans le nord est inacceptable, mais je pense que le sud est plus menacé », a dit M. Macalou. « Il y a une bombe à retardement qui pourrait exploser n’importe quand… Il pourrait y avoir un autre coup d’État à tout moment. »
« Les politiques doivent mettre de côté les querelles partisanes et les luttes intestines… sans quoi le problème du nord ne sera jamais résolu », a dit Amara Mallé, un membre de l’organisation non gouvernementale (ONG) locale Collective to Save Mali.
Mary Beth Leonard, l’ambassadrice américaine au Mali, a de nouveau présenté la position des États-Unis à l’occasion d’une récente rencontre télévisée avec le président par intérim : « Il faut stabiliser le sud, sans quoi il sera difficile de reconquérir ces régions [du nord] et de combattre les terroristes. »
BAMAKO, 21 octobre 2012 / irinnews.org
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