mardi 3 juillet 2012

A Tombouctou : « Nous ne faisons qu’appliquer la charia » | Rue89

A Tombouctou : « Nous ne faisons qu’appliquer la charia » | Rue89

A Tombouctou : « Nous ne faisons qu’appliquer la charia »

Claude-Olivier Volluz | Journaliste

Dans le nord du Mali, des salafistes jihadistes détruisent des mausolées de saints musulmans. La population a tenté de s’interposer. En vain.


Capture d’écran d’une vidéo montrant des salafistes en train de détruire un ancien mausolée à Tombouctou, le 1er juillet 2012 (STR/AFP)
« Ce sont des fanatiques. Ils saccagent tout notre patrimoine et ils commencent à détruire aussi nos précieux manuscrits. Ce sont des barbares, rien ne les arrête. Aujourd’hui, Tombouctou c’est pire que l’Afghanistan et la Somalie. »
Le cri du cœur d’Oumar Cissé, un habitant de Tombouctou joint par téléphone, n’y changera rien. Ce jeune artiste-peintre de 26 ans, neveu du maire de la ville déchu de ses pouvoirs par les salafistes d’Ansar Dine, a pourtant mis toute son énergie pour tenter de préserver ce qui pouvait l’être encore. En vain :
« On est sortis dans la rue pour manifester notre mécontentement. Les salafistes nous ont tiré dessus avec leurs Kalachnikov et ils menacent maintenant de nous égorger si on ose encore s’interposer. La population est terrorisée. »
Menacés, certains membres de sa famille ont déjà fui en toute hâte. Le jeune homme envisage de les rejoindre dans les prochains jours. Dans la ville, l’atmosphère est devenue étouffante :
« Ce n’est plus tenable sur le plan moral, physique mais aussi intellectuel. Pour l’instant, il nous est impossible de nous opposer à ces intégristes fanatiques. Ils nous affaiblissent. Mais la population est en rage. On s’achemine vers une guerre civile. »

Des dizaines de milliers de manuscrits précieux

Les habitants de Tombouctou souffrent en silence. La majorité d’entre eux sont des musulmans soufis, adeptes d’une approche plus ésotérique et contemplative de l’islam, à mille lieues des thèses rigoristes des salafistes.
La confrontation est brutale dans la « cité des 333 saints », ancienne ville marchande, très prisée des intellectuels qui venaient de loin, dès le XVe siècle, pour suivre les cours dispensés dans sa prestigieuse université islamique.
Tombouctou recèle de nombreux trésors. Une collection de plusieurs dizaines de milliers de manuscrits, dont certains datant de l’ère préislamique, et seize tombeaux de saints soufis, véritables œuvres d’art architecturales, qui ont valu à la ville d’être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en 1988. Mais les temps ont changé. Les fanatiques ont succédé aux érudits. Et ce sont eux qui édictent les règles désormais.

« Nous allons tous les raser »

Contactés par Rue89, les salafistes d’Ansar Dine affirment leur détermination à poursuivre la destruction de tous les mausolées de la ville. Le porte-parole du groupe, Sandah Ould Bou Amama, dans une déclaration exclusive à Rue89 – la première donnée à un média occidental depuis ces événements –, se vante :
« Nous allons tous les raser. Et nous avons bientôt terminé. Nous ne faisons qu’appliquer la charia qui ne tolère pas qu’une tombe soit plus élevée qu’une autre. De plus, ces mausolées sont adorés en dehors de Dieu le tout puissant et ils servaient aussi de lieux de pèlerinage commercial. Tout cela est interdit. »
Selon plusieurs témoignages recueillis dans la ville, les destructions ont débuté bien avant les mises en garde de l’Unesco qui, le 28 juin, a reclassé les trésors de la ville sur la liste du patrimoine mondial en péril. Armés de pelles et de pioches, aux cris de « Allah Akbar » (Dieu est grand), les salafistes d’Ansar Dine ont commencé à profaner les lieux saints de l’islam soufi dès le mois d’avril, dans l’indifférence de la communauté internationale.
Dans le nord du Mali, ces derniers événements ont creusé encore un peu plus le fossé qui sépare les salafistes jihadistes du reste de la population.
« Même leurs femmes et leurs enfants les désavouent en public », témoigne, sous couvert d’anonymat, un intellectuel touareg de Kidal, autre fief malien d’Ansar Dine et ville d’origine du leader du mouvement, Iyad ad Ghali, un ancien rebelle touareg converti aux thèses rigoristes des salafistes.

« Nous allons instaurer la charia dans tout le Nord-Mali »

Notre témoin ne sort presque plus. Il nous répond via sa messagerie e-mail sur son téléphone portable, seul relais qui lui reste pour garder le contact avec le reste du monde :
« Notre vie est bouleversée. Il n’y a plus de fête, plus de vie sociale, plus d’école. Que des medersas [écoles coraniques, ndlr]. Les centres de soins sont vides. Dans la plupart des quartiers, l’électricité est coupée dès la fin d’après-midi. Nous n’avons quasiment plus d’eau courante. Les femmes
ne sortent plus. Et si elles le font, elles sont obligées de se couvrir de la tête aux pieds. »
Ici aussi, la charia version salafiste est imposée en force. Et ce sont les terroristes les plus célèbres qui font la leçon lors de leurs très rares interventions publiques. Notre témoin :
« Iyad ad Ghali [leader d’Ansar Dine, ndlr] est le seul habilité à prendre la parole en public avec Mokhtar Belmokhtar [l’un des plus influents émirs d’Al Qaeda au Maghreb islamique, ndlr]. Et lorsqu’ils le font, c’est pour donner des leçons d’application de la charia. »
Le porte-parole d’Ansar Dine, Sandah Ould Bou Amam, confirme à Rue89 cette convergence de vue :
« Nous avons avec les membres d’Aqmi les mêmes liens que tout bon musulman devrait avoir avec eux. Nous allons instaurer la charia dans tout le Nord-Mali. »

Le rôle des Touaregs indépendantistes

Le mouvement est déjà bien amorcé. Le 27 juin dernier à Gao, les Touaregs indépendantistes du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), seuls remparts contre le salafisme rampant dans le nord du Mali, ont subi un très lourd revers face à un autre groupuscule jihadiste, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).
Officiellement, le MNLA n’a reconnu que quatre victimes dans ses rangs et plusieurs blessés. En réalité, le bilan est bien plus lourd, selon le témoignage d’un combattant touareg indépendantiste qui requiert l’anonymat, tant ses informations divergent avec celles données par sa direction :
« Il y a eu au moins vingt morts dans nos rangs et de nombreux blessés, dont notre secrétaire général Bilal Ag Achérif [évacué au Burkina Faso et dans un état stable, ndlr]. Nous avons perdu beaucoup d’armes et de munitions dans les positions que nous avons abandonnées à Gao et Tombouctou. Nous n’avons plus aucun relais dans ces deux villes. »
Ansar Dine tente actuellement d’entrer en négociation avec le MNLA afin de calmer la colère d’une population de plus en plus excédée par les méthodes radicales des salafistes.
Mais les Touaregs indépendantistes répondent pour l’instant par la négative, en attendant des jours meilleurs :
« Le MNLA s’organise minutieusement afin de préparer dans un futur proche une contre-offensive sans merci contre les islamistes. Mais nous n’avons pas de moyens adéquats. Nous ne pourrons rien faire de sérieux sans l’aide logistique et financière de la communauté internationale. »

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