jeudi 12 juillet 2012

Mali : Qui a détruit les mausolées ?

International : Mali : Qui a détruit les mausolées ?
Par Hélène Bravin
Image vidéo captée lors de la destruction d'un mausolée musulman le 1er juillet 2012, à Tombouctou.
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ENTRETIEN - La destruction des mausolées musulmans de Tombouctou début juillet a été attribuée aux islamistes touaregs d’Anser Eddine. Une accusation que dément formellement Hama Ag Sid Ahmed, le porte-parole des indépendantistes touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA).
TC : Qui a détruit les mausolées à Tombouctou, début juillet ?

Hama Ag Sid Ahmed :
Ce ne sont pas des mem­bres d’Anser Eddine, mais des éléments d’Al- Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Nous mettons en garde ces groupes venus de l’extérieur pour saccager des monuments historiques, patrimoine de l’Azawad [Nord-Mali, ndlr], et nous demandons aux populations de Tombouctou de se soulever massivement contre ces groupes fanatiques dans la région.

Pourtant, le porte-parole d’Anser Eddine, Omar Ould Hamaha, l’a justifié en déclarant que « la construction de mausolées est contraire à l’islam et nous les détruisons parce que la religion nous l’ordonne ».

Omar Ould Hamaha n’est pas le porte-parole d’Anser Eddine. Depuis six ans, il est membre d’Aqmi, qu’il n’a jamais quittée officiellement pour rejoindre Anser Eddine. Par ail­leurs, il est d’origine arabe Berabiche de la ré­gion de Tombouctou, or Anser Eddine est composé de Touaregs et ne compte au­cun Arabe d’origine malienne dans ses rangs et aucun membre d’Aqmi. Enfin, le mouvement est localisé à Kidal et n’a aucun militaire à Tombouctou.

Le vrai porte-parole d’Anser Eddine est le cheikh Ag Awissa. C’est d’ailleurs lui, et non Omar Ould Hamaha, qui a été reçu tout récemment par le président du Burkina Faso, Blaise Comparoé, pour entamer des discussions [depuis mi-mai, Blaise Compaoré a engagé une série de consultations avec le MNLA et Ansar Eddine pour envisager une sortie de crise au nord du Mali. ndlr].

Quel est intérêt pour Omar Ould Hamaha de prétendre qu’il est d’Anser Eddine ?

Les groupes Aqmi présents dans la région de Tombouctou utilisent l’enseigne Anser Eddine pour gagner les Touaregs à leur cause. Cela leur permet de bénéficier d’une certaine impunité.

Pourquoi Iyad Ag Galli, le responsable d’Anser Eddine, ne dément-il pas la responsabilité de son mouvement dans ces destructions ?

Iyad Ag Aghali s’est tout de même déplacé à Tombouctou lors de la profanation des tombes, fin avril, afin de demander que cela cesse [des membres d’Aqmi avaient profané le tombeau d’un saint musulman de la cité, Sidi Mahamoud, ndlr]. Il est vrai que cette fois-ci, il n’a rien fait. Le jeu d’Iyad Ag Galli s’obscurcit peu à peu. Il ne participe pas mais ne dément pas. La raison ? Il joue de plus en plus sur les deux ta­bleaux : les Touaregs et Aq­mi.

Il faut savoir qu’Iyad Ag Agha­li vient d’une tribu no­ble, des Iforas. En cela, il veut continuer à jouer un rôle central. Il a donc besoin de soutien pour exister, d’autant que les éléments d’Aqmi se sont constitués bien avant son mouvement. Cette attitude l’amène, d’une part, à « couvrir », ou du moins à ne pas dénoncer officiellement, les exactions commises par les Arabes d’Aqmi, même si cela est contraire à ses principes, et, d’autre part, à radicaliser son mouvement. Il est aujourd’hui presque convaincu qu’il faut mettre en marche l’islam radical au Mali.

Toutefois, et c’est son autre stratégie, son objectif reste de récupérer les éléments touaregs qui ont rejoint Aqmi.

Demain, Anser Eddine ne risque-t-il pas de rejoindre tout simplement Aqmi ?

La stratégie d’Iyad Ag Galli est effectivement trouble. Mais on peut encore le récupérer. D’autant que 80 % de ses hommes ne sont pas prêts à appliquer la charia. Seuls les chefs du groupe veulent l’instaurer.

Par ailleurs, les choses peuvent évoluer. Iyad Ag Galli ne s’attendait pas, par exemple, à la prise de Gao par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) – une dissidence d’Aqmi essentiellement composée d’Arabes d’origine ma­lienne dont beaucoup de trafiquants de drogue – ni à la destruction des mausolées à Tombouctou. Il craint désormais une alliance des Arabes contre les Touaregs, et tente de se démarquer d’Aqmi. Anser Eddine vient par exemple de créer son pro­pre drapeau - blanc avec un fusil - alors qu’auparavant il utilisait le drapeau noir d’Aqmi.

De notre côté, le MNLA discute toujours avec lui. Nous n’avons pas renoncé à la fusion, comme on le prétend. Seuls certains de nos cadres l’ont dénoncée. Notre gouvernement, le Conseil transitoire de l’État de l’Azawad (CTEA), reste ouvert aux membres d’Anser Eddine, notre objectif étant de les éloigner d’Aqmi.

Propos receuillis par Hélène Bravin, journaliste et auteure de « Kadhafi, vie et mort d’un Dictateur » (Editions Bourin)

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