jeudi 21 mai 2015

Mali : Paris élimine les chefs de deux groupes armés

Mali : Paris élimine les chefs de deux groupes armés

les chefs de deux groupes armés

LE MONDE | • Mis à jour le |Par
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Un soldat français lors d’une opération dans le nord du Mali, 5 avril.
L’opération commando s’est déroulée à l’est de l’Adrar des ­Ifoghas, en plein désert du Nord malien, entre Bouressa, sur la frontière algérienne, et Abeïbara. Lundi 18 mai au petit matin, les forces spéciales françaises ont tué deux importants chefs des groupes armés du Sahel : Amada Ag Hama, dit « Abdelkrim le Touareg », ­affilié à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), qui avait revendiqué l’assassinat des deux journalistes de RFI, à Kidal, en novembre 2013, et Ibrahim Ag Inawalen, cadre du mouvement Ansar Eddine. Les deux hommes étaient des rouages majeurs de ces organisations. Abdelkrim le Touareg, appelé encore « Al Targui », émir d’AQMI, était un membre charismatique de la tribu des Ifoghas et l’artisan du ralliement des Touareg à Al-Qaida.

En raison de son rôle éminent, il s’était vu, il y a quelques mois, proposer par l’émir d’AQMI au Sahara, Yahya Abou El Aman, de le remplacer, mais a refusé. En revanche, il avait pris la tête de la katiba Al-Ansar après la mort de son chef Abou Zeid, tué au Mali par les forces françaises au début de l’opération « Serval », en février 2013.

De nombreux actes de violences lui sont attribués dans la région, depuis l’attaque d’un poste au cours de laquelle onze gendarmes algériens ont été tués à Tinzaouatène, en 2010. Il aurait été responsable de la mort de l’otage français Michel Germaneau, tué après un raid militaire franco-mauritanien à l’été 2010. Mais aussi de celle de Philippe Verdon, en juillet 2013, enlevé au Mali avec Serge Lazarevic, libéré, lui, fin 2014. Al-Targui a également joué un rôle dans l’enlèvement à Arlit, au Niger, des otages d’Areva-Satom, puis dans leur libération. Avant d’être impliqué, ce que l’enquête judiciaire ouverte à Paris n’a pas confirmé, dans la mort de Ghislaine Dupont et Claude Verlon de RFI.

Assassinats ciblés

Ibrahim Ag Inawalen, surnommé « Bana », un ancien officier des forces armées maliennes qui a déserté, est le responsable du massacre d’Aguelhok. En janvier 2012, marquant la reprise de la rébellion touareg, des combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) soutenus par AQMI s’étaient emparés de cette ville du nord du Mali, exécutant une centaine de soldats et de gendarmes maliens désarmés. L’attaque avait traumatisé l’armée malienne, chassée pour longtemps des régions du nord du pays, et accentué un malaise qui a débouché sur une tentative de coup d’Etat militaire.

L’homme était le chef de la police religieuse du groupe Ansar Eddine. Très proche de son dirigeant Iyad Ag Ghali, il était présenté comme son numéro deux. Sa disparition risque d’avoir des conséquences en cascade dans le jeu compliqué des groupes touareg du nord : en effet, « Bana » a été selon les services français le grand ordonnateur, dans la région de Kidal ces derniers mois, des assassinats ciblés de membres du MNLA ou d’autres mouvements jugés trop favorables au compromis avec Bamako.

Selon nos informations, l’opération menée par les forces spéciales visait Al-Targui. Le hasard a fait que celui-ci s’est trouvé en compagnie d’Inawalen. La traque s’est déroulée en plusieurs phases. La région de l’Adrar des Ifoghas, que les groupes djihadistes et criminels ont réinvestie depuis un an, est continuellement fouillée par les commandos du groupement « Sabre » et la force française « Barkhane ». Durant un mois, entre fin février et fin mars, 800 soldats ont été envoyés pour ratisser le massif du Tigharghar, « ce qui a obligé une partie des katibas à sortir », explique une source de la défense. Puis, durant ces deux derniers mois, drones, avions espions équipés de radars et interceptions ont pris le relais.

Pas de prisonniers

Un campement de onze hommes a finalement été repéré. L’opération, appuyée par des avions de chasse et des hélicoptères d’attaque, devait se dérouler dans la nuit de dimanche. Mais le plan prévu a dû être annulé pour un autre au dernier moment, quand trois pick-up ont soudainement quitté les lieux. L’un, parti vers l’est, a été détruit par une frappe d’hélicoptère. L’un des deux autres, dans lequel avaient été repérés Al-Targui et Inawalen, a été poursuivi. Les commandos sont arrivés, une fois le jour levé, aux abords de la cache rocheuse où les deux hommes et leurs deux gardes s’étaient arrêtés.

Les combattants, qui auraient aussitôt tiré à la kalachnikov, ont été tués par les soldats français. « Nous ne partons jamais pour tuer », souligne une source militaire. Al-Targui a été reconnu formellement, en raison notamment de sa grande taille et d’autres caractéristiques physiques. Le campement a été démantelé par les forces françaises. Celles-ci n’ont pas fait de prisonniers au cours du raid.

Le ministère de la défense s’est réjoui mercredi de ce « nouveau coup dur aux groupes armés terroriste sahéliens ». Les forces françaises avaient déjà considéré avoir sérieusement désorganisé les katibas au printemps 2014, après avoir neutralisé Omar Ould Hamaha, un Arabe malien originaire de Kidal surnommé « Barbe rouge », le propre beau-père de Mokhtar Belmokhtar, chef du groupe Al-Mourabitoune.

Capacités de nuire

Ce dernier, organisateur de l’attaque du site gazier d’In Amenas en Algérie qui avait tué 39 expatriés en janvier 2013, reste, avec le leader d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali, la cible principale des forces américaines et françaises. « Belmokhtar finira prisonnier ou tué », promet une source du renseignement à Paris. L’homme circule aujourd’hui entre l’Algérie, la Tunisie et le nord de la Libye. Al-Mourabitoune, né d’une fusion avec des éléments maliens du Mujao, a revendiqué le premier attentat visant des expatriés occidentaux à Bamako, le 7 mars, dans lequel ont péri trois Maliens, un Français et un Belge. Le mouvement harcèle les bases de la mission de l’ONU au Mali.

Des doutes sont apparus, cependant, sur l’état de ses forces. Le 14 mai, un cadre d’Al Mourabitoune a revendiqué l’allégeance du groupe à l’organisation Etat islamique (EI). Le lendemain, Belmokhtar démentait que la déclaration engage le groupe : celui-ci « reste fidèle à son allégeance à Ayman Al-Zawahiri sur la voie du djihad », répliquait le communiqué qui lui a été attribué. « Ces dissensions montrent que Mokhtar Belmokhtar est trop isolé de ses troupes et depuis trop longtemps, et qu’il a dû perdre un peu la main. Certains veulent prendre leur indépendance », analyse une source du renseignement français. Mais les capacités de nuire de celui qui a menacé la France à plusieurs reprises sont toujours jugées conséquentes.

L’action militaire, convient-on à Paris, ne réglera pas le problème sécuritaire du Sahel, encore moins en Libye, où le paysage djihadiste se recompose en raison du fort pouvoir d’attraction de l’EI. Les opérations lancées, parfois audacieuses comme celle du 18 mai, ne visent qu’à contenir une situation dont le traitement demeure hors de portée.

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