APRÈS CINQ ANS DE
GUERRE Vers la réintégration des Touaregs au Mali | ||
UN nouveau contingent de 1 500 anciens combattants touaregs
a été versé le mois dernier dans les forces régulières maliennes. Après la
dissolution, le 27 mars 1996, des mouvements armés, la renaissance du nord du
Mali dépend de la capacité de la « société civile » à créer une ambiance de
paix, de l'intégration réussie des combattants dans l'armée régulière et de la
relance du développement économique à l'aide de projets proches de la
population.
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Par ROBIN EDWARD
POULTON Economiste ouest-africain, directeur des recherches-act ions à l'Université coopérative internationale (Genève). |
Le 27 mars
1996, à Tombouctou, les organisations touarègues du nord du Mali ont
solennellement brûlé leurs armes, en présence du président malien, M. Alpha
Oumar Konaré, et du chef de l'Etat ghanéen, M. Jerry Rawlings, également
président en exercice de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest
(Cedeao). Avant d'en arriver là, des dizaines de rencontres avaient été
organisées dans chaque localité. Le marché hebdomadaire, où se retrouvent depuis
des siècles les pasteurs-agriculteurs des alentours, avait été choisi comme lieu
de négociation. Certaines associations non gouvernementales (ONG) avaient fourni
du ravitaillement et des moyens de déplacement. Un minutieux travail de
« relations publiques » avait permis de réunir des chefs traditionnels et
religieux, avec des associations et des membres des mouvements armés. Afin
d'éviter la polémique, chaque réunion se limitait à un ordre du jour très
précis, avec compte rendu écrit et signé. Les communautés ont pu arrêter des
décisions sur des sujets aussi délicats que le retour des réfugiés, la
réintégration dans la communauté de tel ou tel combattant, le port des armes ou
leur dépôt, etc. Ainsi, c'est par la « société civile » que la paix est revenue.
Selon la définition en honneur au Mali, elle se compose des citoyens anonymes
associés autour d'un intérêt commun qui ne concerne pas l'accès au pouvoir.
L'administration, les forces armées, le gouvernement et les partis politiques en
sont donc exclus. En font partie les associations (y compris les ONG), les
coopératives, les caisses d'épargne mutuelles et les groupements d'intérêt
économique, les syndicats, les chambres consulaires et les ordres
professionnels. Les inquiétudes principales concernent l'intégration des
combattants dans l'armée malienne. Une tentative avait déjà échoué après le
pacte national signé en 1992 par le chef du gouvernement de transition de
l'époque, le général Amadou Toumani Touré. Comment convaincre les hommes de
l'armée malienne d'accepter dans leurs rangs d'anciens « rebelles » dont
certains s'expriment plus volontiers en arabe qu'en français (la langue
officielle du Mali) ? Comment assurer que des guerriers revenus du Tchad ou du
Liban accepteront une discipline militaire (1) ? Et quel rôle assigner à cette nouvelle armée, dans
un pays qui a gardé un cuisant souvenir du régime militaire incarné pendant
vingt-trois ans par le général Moussa Traoré ? Certains experts internationaux
ont avancé l'idée de créer des unités spécialisées dans le maintien de la paix,
pour le compte des Nations unies : un « contrat formation- location »
permettrait de préfinancer l'entraînement et les équipements... Mais le défi
principal reste la relance du développement dans le Nord. Les Touaregs avaient
pris les armes en 1990 contre la dictature militaire, responsable du vol de
milliers de tonnes de vivres qui auraient pu sauver la vie des nomades mourant
de faim pendant les années de sécheresse. Elu président en 1992, M. Alpha Konaré
a cherché à calmer les passions, évitant un conflit ethnique entre
agro-pastoralistes « blancs » (Touaregs de race berbère) et « noirs » (Songhaïs
et Peuls venus de la vallée du Nil, au temps des pharaons). « Cela n'a jamais
été un problème de minorités ethniques, estime le ministre malien des affaires
étrangères, M. Dioncounda Traoré. Le régime militaire cherchait à exploiter les
différences ethniques, au lieu de répondre aux exigences légitimes de toutes les
populations du Nord concernant des programmes de santé, d'éducation, de
développement économique. » Ce sont les orientations pour un vrai développement
qui manquent, bien plus que l'argent. « Les 200 milliards de francs CFA [2
milliards de francs] que l'on dit "promis" ne serviront à rien s'ils sont tous
dépensés sur de grands projets aussi inutiles que l'hôpital régional de
Tombouctou, explique un haut fonctionnaire en poste dans la Cité mystérieuse.
Même les Français de l'entreprise de travaux avouaient qu'ils construisaient ce
bâtiment pour rien : il n'y a pas de clients, car il n'y a pas de routes. Un
malade ne fait pas 100 kilomètres à dos d'âne ! » > La relance du Nord ne
passera pas non plus par l'aménagement prévu de l'aéroport de Tombouctou, ni par
le barrage proposé sur le fleuve Niger, près de Bourem, ni par de grands
ouvrages d'irrigation , tels que celui que la France a financé à Forgo, près de
Gao, reconnu par tous comme un « échec parachuté ». Ce sont autant de « projets
toubabs », >conçus dans des bureaux étrangers, financés par des banquiers,
approuvés à Bamako par des bureaucrates vivant loin de la vie agro-pastorale.
« Les fonctionnaires n'ont pas su arrêter la guerre, ils ne sauront pas
installer la paix, estime un officiel des Nations unies. La paix est venue par
la société civile : c'est par elle qu'il faut faire passer la renaissance du
Nord. » Reste à mobiliser cette société civile pour dynamiser l'économie sociale
à la base (2). Depuis 1975, des organisations non gouvernementales
(ONG) préconisaient, pour pallier les perturbations de l'organisation
socio-économique dans le Nord, la relance du mouvement coopératif. Vingt ans
plus tard, cette stratégie est toujours pertinente, l'insécurité rendant
impossibles les déplacements pour visiter les banques céréalières, les
greniers-semenciers, les pâturages « mis en défense », les groupes de femmes
artisanes. Les ONG proposent une stratégie autour des marchés hebdomadaires. Il
ne s'agit pas de gros investissements en béton, mais d'une multiplicité de
petits projets qui permettront à l'économie locale de se remettre en route. Des
assemblées sont organisées. Plus de quatre-vingts groupes envoient des
représentants, permettant de relancer des activités telles que la fourniture de
semences de sorgho aux groupes démunis, ou des crédits aux femmes chefs de
famille. Il faut ajouter de la valeur aux productions locales, créer sur place
des unités de transformation, insister surtout sur une qualité améliorée de la
production agricole et d'élevage. Laisser agir la société civile L'ÉCHEC des
théories économiques de la modernisation incite à repenser les modèles reçus des
agences et des universités occidentales. Ainsi, en matière financière, le paysan
ne se reconnaît pas dans ces bâtiments carrés pleins de documents, chiffrés dans
une langue inconnue. En revanche, plus de 150 000 Maliens adhèrent à des caisses
mutuelles d'épargne et de crédit : adaptées aux besoins des membres, elles sont
des organismes intermédiaires entre le paysan et la banque. Ces caisses
mobilisent des sommes importantes, de provenance locale ou nationale,
inaccessibles au secteur bancaire classique... Dans le cadre d'un retour des
services de l'Etat dans la région de Tombouctou, mais dans un esprit de
réconciliation des populations, il a aussi été décidé de créer trente et un
collèges transitoires d'arrondissement (CTA), qui seront, affirme un document du
Commissariat au Nord auprès de la présidence malienne, « l'interlocuteur unique
des partenaires au développement pour une meilleure prise en compte des
desiderata des populations. Celles-ci (...) se retrouvent librement entre elles
pour choisir (et non élire) cinq à quinze personnes auxquelles elles font
confiance ». Comme le dit bien le proverbe, « c'est le riverain du fleuve qui en
connaît la profondeur »...
ROBIN EDWARD POULTON.
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(1) Les cinq mouvements signataires de l'acte de dissolution sont le Mouvement populaire de l'Azawad (MPA), le Front islamique arabe de l'Azawad (FIAA), l'Armée révolutionnaire de libération de l'Azawad (ARLA), le Front populaire de libération de l'Azawad (FPLA) et le Mouvement patriotique Ganda Koy (MPGK) ce dernier est une création des sédentaires et de l'armée face aux déprédations des autres groupes armés d'inspiration berbéro- arabe. Cf. Thomas Sotinel, « Ganda Koy, ou la revanche des paysans », Le Monde, 31 janvier 1996. Pour les conflits entre les mouvements, voir Philippe Baqué, « Nouvel enlisement des espoirs de paix dans le conflit touareg au Mali », Le Monde diplomatique, avril 1995. (2) Cf. Alassane ag Mohamed, Cheibane Coulibaly et Gaoussou Drabo, « Nord du Mali, de la tragédie à l'espoir : l'histoire politique de la rébellion, les choix de développement économique et la problématique des réfugiés », une enquête réalisée par des journalistes maliens, en juillet 1995, à la demande d'Acord, Novib et Oxfam, des ONG opérant dans le pays (Acord, BP 1969, Bamako, Mali ; Acord : Francis House, Francis St, Londres SW1). | ||
LE MONDE DIPLOMATIQUE | NOVEMBRE 1996 | Page 13 |
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