mardi 10 juin 2014

Vers la réintégration des Touaregs au Mali

Vers la réintégration des Touaregs au Mali
APRÈS CINQ ANS DE GUERRE
Vers la réintégration des Touaregs au Mali
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UN nouveau contingent de 1 500 anciens combattants touaregs a été versé le mois dernier dans les forces régulières maliennes. Après la dissolution, le 27 mars 1996, des mouvements armés, la renaissance du nord du Mali dépend de la capacité de la « société civile » à créer une ambiance de paix, de l'intégration réussie des combattants dans l'armée régulière et de la relance du développement économique à l'aide de projets proches de la population.

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Par ROBIN EDWARD POULTON
Economiste ouest-africain, directeur des recherches-act ions à l'Université coopérative internationale (Genève).
Le 27 mars 1996, à Tombouctou, les organisations touarègues du nord du Mali ont solennellement brûlé leurs armes, en présence du président malien, M. Alpha Oumar Konaré, et du chef de l'Etat ghanéen, M. Jerry Rawlings, également président en exercice de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Avant d'en arriver là, des dizaines de rencontres avaient été organisées dans chaque localité. Le marché hebdomadaire, où se retrouvent depuis des siècles les pasteurs-agriculteurs des alentours, avait été choisi comme lieu de négociation. Certaines associations non gouvernementales (ONG) avaient fourni du ravitaillement et des moyens de déplacement. Un minutieux travail de « relations publiques » avait permis de réunir des chefs traditionnels et religieux, avec des associations et des membres des mouvements armés. Afin d'éviter la polémique, chaque réunion se limitait à un ordre du jour très précis, avec compte rendu écrit et signé. Les communautés ont pu arrêter des décisions sur des sujets aussi délicats que le retour des réfugiés, la réintégration dans la communauté de tel ou tel combattant, le port des armes ou leur dépôt, etc. Ainsi, c'est par la « société civile » que la paix est revenue. Selon la définition en honneur au Mali, elle se compose des citoyens anonymes associés autour d'un intérêt commun qui ne concerne pas l'accès au pouvoir. L'administration, les forces armées, le gouvernement et les partis politiques en sont donc exclus. En font partie les associations (y compris les ONG), les coopératives, les caisses d'épargne mutuelles et les groupements d'intérêt économique, les syndicats, les chambres consulaires et les ordres professionnels. Les inquiétudes principales concernent l'intégration des combattants dans l'armée malienne. Une tentative avait déjà échoué après le pacte national signé en 1992 par le chef du gouvernement de transition de l'époque, le général Amadou Toumani Touré. Comment convaincre les hommes de l'armée malienne d'accepter dans leurs rangs d'anciens « rebelles » dont certains s'expriment plus volontiers en arabe qu'en français (la langue officielle du Mali) ? Comment assurer que des guerriers revenus du Tchad ou du Liban accepteront une discipline militaire (1) ? Et quel rôle assigner à cette nouvelle armée, dans un pays qui a gardé un cuisant souvenir du régime militaire incarné pendant vingt-trois ans par le général Moussa Traoré ? Certains experts internationaux ont avancé l'idée de créer des unités spécialisées dans le maintien de la paix, pour le compte des Nations unies : un « contrat formation- location » permettrait de préfinancer l'entraînement et les équipements... Mais le défi principal reste la relance du développement dans le Nord. Les Touaregs avaient pris les armes en 1990 contre la dictature militaire, responsable du vol de milliers de tonnes de vivres qui auraient pu sauver la vie des nomades mourant de faim pendant les années de sécheresse. Elu président en 1992, M. Alpha Konaré a cherché à calmer les passions, évitant un conflit ethnique entre agro-pastoralistes « blancs » (Touaregs de race berbère) et « noirs » (Songhaïs et Peuls venus de la vallée du Nil, au temps des pharaons). « Cela n'a jamais été un problème de minorités ethniques, estime le ministre malien des affaires étrangères, M. Dioncounda Traoré. Le régime militaire cherchait à exploiter les différences ethniques, au lieu de répondre aux exigences légitimes de toutes les populations du Nord concernant des programmes de santé, d'éducation, de développement économique. » Ce sont les orientations pour un vrai développement qui manquent, bien plus que l'argent. « Les 200 milliards de francs CFA [2 milliards de francs] que l'on dit "promis" ne serviront à rien s'ils sont tous dépensés sur de grands projets aussi inutiles que l'hôpital régional de Tombouctou, explique un haut fonctionnaire en poste dans la Cité mystérieuse. Même les Français de l'entreprise de travaux avouaient qu'ils construisaient ce bâtiment pour rien : il n'y a pas de clients, car il n'y a pas de routes. Un malade ne fait pas 100 kilomètres à dos d'âne ! » > La relance du Nord ne passera pas non plus par l'aménagement prévu de l'aéroport de Tombouctou, ni par le barrage proposé sur le fleuve Niger, près de Bourem, ni par de grands ouvrages d'irrigation , tels que celui que la France a financé à Forgo, près de Gao, reconnu par tous comme un « échec parachuté ». Ce sont autant de « projets toubabs », >conçus dans des bureaux étrangers, financés par des banquiers, approuvés à Bamako par des bureaucrates vivant loin de la vie agro-pastorale. « Les fonctionnaires n'ont pas su arrêter la guerre, ils ne sauront pas installer la paix, estime un officiel des Nations unies. La paix est venue par la société civile : c'est par elle qu'il faut faire passer la renaissance du Nord. » Reste à mobiliser cette société civile pour dynamiser l'économie sociale à la base (2). Depuis 1975, des organisations non gouvernementales (ONG) préconisaient, pour pallier les perturbations de l'organisation socio-économique dans le Nord, la relance du mouvement coopératif. Vingt ans plus tard, cette stratégie est toujours pertinente, l'insécurité rendant impossibles les déplacements pour visiter les banques céréalières, les greniers-semenciers, les pâturages « mis en défense », les groupes de femmes artisanes. Les ONG proposent une stratégie autour des marchés hebdomadaires. Il ne s'agit pas de gros investissements en béton, mais d'une multiplicité de petits projets qui permettront à l'économie locale de se remettre en route. Des assemblées sont organisées. Plus de quatre-vingts groupes envoient des représentants, permettant de relancer des activités telles que la fourniture de semences de sorgho aux groupes démunis, ou des crédits aux femmes chefs de famille. Il faut ajouter de la valeur aux productions locales, créer sur place des unités de transformation, insister surtout sur une qualité améliorée de la production agricole et d'élevage. Laisser agir la société civile L'ÉCHEC des théories économiques de la modernisation incite à repenser les modèles reçus des agences et des universités occidentales. Ainsi, en matière financière, le paysan ne se reconnaît pas dans ces bâtiments carrés pleins de documents, chiffrés dans une langue inconnue. En revanche, plus de 150 000 Maliens adhèrent à des caisses mutuelles d'épargne et de crédit : adaptées aux besoins des membres, elles sont des organismes intermédiaires entre le paysan et la banque. Ces caisses mobilisent des sommes importantes, de provenance locale ou nationale, inaccessibles au secteur bancaire classique... Dans le cadre d'un retour des services de l'Etat dans la région de Tombouctou, mais dans un esprit de réconciliation des populations, il a aussi été décidé de créer trente et un collèges transitoires d'arrondissement (CTA), qui seront, affirme un document du Commissariat au Nord auprès de la présidence malienne, « l'interlocuteur unique des partenaires au développement pour une meilleure prise en compte des desiderata des populations. Celles-ci (...) se retrouvent librement entre elles pour choisir (et non élire) cinq à quinze personnes auxquelles elles font confiance ». Comme le dit bien le proverbe, « c'est le riverain du fleuve qui en connaît la profondeur »...
ROBIN EDWARD POULTON.


(1) Les cinq mouvements signataires de l'acte de dissolution sont le Mouvement populaire de l'Azawad (MPA), le Front islamique arabe de l'Azawad (FIAA), l'Armée révolutionnaire de libération de l'Azawad (ARLA), le Front populaire de libération de l'Azawad (FPLA) et le Mouvement patriotique Ganda Koy (MPGK) ce dernier est une création des sédentaires et de l'armée face aux déprédations des autres groupes armés d'inspiration berbéro- arabe. Cf. Thomas Sotinel, « Ganda Koy, ou la revanche des paysans », Le Monde, 31 janvier 1996. Pour les conflits entre les mouvements, voir Philippe Baqué, « Nouvel enlisement des espoirs de paix dans le conflit touareg au Mali », Le Monde diplomatique, avril 1995. (2) Cf. Alassane ag Mohamed, Cheibane Coulibaly et Gaoussou Drabo, « Nord du Mali, de la tragédie à l'espoir : l'histoire politique de la rébellion, les choix de développement économique et la problématique des réfugiés », une enquête réalisée par des journalistes maliens, en juillet 1995, à la demande d'Acord, Novib et Oxfam, des ONG opérant dans le pays (Acord, BP 1969, Bamako, Mali ; Acord : Francis House, Francis St, Londres SW1).




LE MONDE DIPLOMATIQUE | NOVEMBRE 1996 | Page 13

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