L’évaporation de l’armée malienne dans le Nord est «un cauchemar pour les Français». S’ils se gardent de souscrire au jugement de ce diplomate européen, les militaires de l’opération «Serval» peuvent difficilement nier l’impact négatif de la débâcle de Kidal sur leur mission principale : la traque des groupes terroristes.

Ces dernières semaines, le drapeau du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), principale organisation séparatiste touareg, est réapparu à proximité de Gao et Tombouctou. «Le MNLA déploie une stratégie d’occupation douce d’un terrain laissé vacant», reconnaît un responsable malien. Or l’avancée du MNLA accroît tout autant les risques de confrontation directe entre séparatistes touaregs et soldats de Bamako que la menace terroriste. Selon des sources concordantes, certains jihadistes actifs dans le Nord-Mali utilisent le drapeau du MNLA comme sauf-conduit. Ou celui d’une organisation sœur, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), «vitrine légale» d’un mouvement combattu par l’armée française, Ansar ed-Dine. Le 11 juin, des terroristes ont commis un attentat-suicide à l’entrée de la base de l’ONU à Aguelhok, tuant quatre Casques bleus tchadiens.

Raids. Ces événements surviennent au moment où Paris se félicite d’avoir porté des coups majeurs aux jihadistes, lors de raids héliportés menés en mars et avril. «Mokhtar Belmokhtar a perdu plusieurs de ses adjoints, son organisation est très affaiblie», estime une source militaire française. Tout comme Iyad ag-Ghaly, l’ex-dirigeant d’Ansar ed-Dine, dont «certains lieutenants» ont été éliminés ou ont «fait défection». Cette personnalité clé dans la nébuleuse touareg n’en demeure pas moins introuvable, protégée par sa parfaite connaissance du terrain, par la solidarité entre Touaregs qui transcende les rivalités politiques et par la possibilité de trouver refuge de l’autre côté de la frontière avec l’Algérie.

Quant à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), l’organisation n’a pas disparu, mais aurait muté. «Lors de l’opération Serval, la plupart des volontaires étrangers ont été tués ou sont rentrés chez eux, confie une source proche du dossier. En revanche, les katibas [cellules] touaregs sont toujours actives et se renforcent même en recrutant des jeunes locaux du fait de l’impasse politique qui prévaut à Kidal.»

«Renseignement». Dans ces conditions, la guerre de l’ombre risque de durer dans le Nord-Mali, où les forces françaises, environ 1 600 hommes actuellement, appliquent la stratégie américaine qui consiste à viser les «cibles à haute valeur ajoutée». Une approche adaptée aux contraintes d’un terrain grand comme la France.«En visant les chefs, il s’agit aussi d’impressionner les terroristes, de leur démontrer notre parfaite connaissance de leurs réseaux et de créer chez eux un sentiment d’insécurité permanent.»

Plus facile à dire qu’à faire, l’adversaire pratiquant la tactique de l’évitement. «Mais tôt ou tard, les jihadistes ont besoin de se ravitailler en nourriture, en essence ou en pièces détachées pour leur véhicule», note un haut gradé français. Ou «l’un d’entre eux va rendre visite à sa femme sur sa moto», dit un autre. «Les forces spéciales procèdent par fenêtres : quand elles s’entrouvrent, il faut réagir vite, parfois en une demi-heure, et frapper.» Mais de nombreuses opérations ont été annulées au dernier moment, faute de certitude absolue sur l’identité de la cible. «Si on veut éviter de faire des ronds dans le sable ou dans le ciel avec un drone, il faut toujours un bon renseignement», souligne un officier.

Ces derniers mois, plusieurs sources locales, vraisemblablement liées aux services français, ont été assassinées par les jihadistes, reconnaît-on à Paris.
Thomas HOFNUNG (à Gao)