L’avenir politique au Mali : LA MOTION ET LES LEÇONS | L'ESSOR
LA MOTION ET LES LEÇONS
La séance à l’Assemblée nationale en a dit plus long que le vote qui l’a clôturée. Et le déchiffrage n’est guère compliqué
La politique, c’est en des circonstances particulières l’art du recyclage. Notamment celui de certaines recettes qui n’ont pas forcément convaincu par le passé et dont la portée n’est nullement garantie. Les utilisateurs y reviennent néanmoins avec l’espoir d’en restaurer l’efficacité par une meilleure adaptation aux nécessités du jour. C’est sans aucun doute à ce calcul qu’a souscrit l’opposition malienne en déposant une motion de censure contre le gouvernement. Il faut certainement souligner que Vigilance républicaine et démocratique, à l’instar de la plupart des coalitions d’opposition africaines, ne dispose que d’un choix limité de méthodes pour s’assurer une forte visibilité. Ne pouvant se donner une présence régulière dans les médias – ce que se garantit la majorité présidentielle à travers les activités gouvernementales -, il lui faut de temps à autre et par la force des choses recourir à ce que Bernard Kouchner appelait la loi du tapage. Ce qui se ramène tout simplement à pratiquer la tactique du coup. C’est-à-dire à lancer une initiative spectaculaire, percutante dans son expression et provocante dans son contenu ; une initiative susceptible de marquer les esprits dans l’opinion nationale et de permettre de prendre date.
L’opposition avait déjà recouru à la procédure du dépôt de motion en 1996 sur la situation scolaire et en 1997 sur les préparatifs des futures élections. Elle avait été à l’époque confrontée à la même impossibilité d’aboutir puisque le PASJ comptait à lui seul 76 députés sur les 117 de l’Assemblée nationale. Il convient cependant de donner une précision qui souligne les progrès accomplis par la démocratie malienne en 22 ans de pratique. Lors de la première mandature du président Konaré, les opposants n’avaient fait le choix du débat public qu’après avoir tenté celui de l’action dans la rue. Ils avaient fait la seconde option en avril 1994 tout d’abord à travers une marche pacifique qui avait moyennement mobilisé, puis avec une opération « ville morte » qui tourna au fiasco retentissant. Il y a vingt ans, en se lançant dans ces initiatives hasardeuses, l’opposition pensait s’attirer l’adhésion de citoyens éprouvés par les premières retombées douloureuses de la dévaluation du franc CFA et atterrés par la dégradation continue de la situation de l’école.
DES ÉTATS D’ÂME PERCEPTIBLES. Mais l’assemblage disparate qui s’était créé pour l’occasion (Collectif des partis de l’opposition, Coordination des associations et Forum des sensibilités) avait largement présumé de son influence et de sa capacité de mobilisation. Il s’était aussi mépris sur l’état d’esprit réel de la majorité silencieuse. Cette dernière se montrait certes peu encline à l’indulgence envers le gouvernement de l’époque, mais elle n’était guère disposée à s’engager dans ce qu’elle percevait comme une initiative purement politicienne. L’actuelle opposition a, pour sa part, décidé de mettre à profit une conjoncture exceptionnellement difficile pour l’Exécutif pour enfoncer le clou de la critique. En effet, malgré les efforts d’explication du gouvernement, un certain nombre de questions ne sortent pas du champ de la polémique et continuent à produire des effets délétères. Au problème de Kidal qui a aujourd’hui dépassé la sphère du politique et du militaire pour se fixer dans celle du passionnel, se sont ajoutés les dossiers d’acquisition de l’avion présidentiel et d’achat de fournitures pour les forces armées, l’organisation très discutée des épreuves du Baccalauréat. Pour la VRD, il ne se représenterait pas de si tôt une conjonction aussi favorable de facteurs pour porter le fer dans l’autorité du Premier ministre et pour s’assurer une victoire d’estime auprès des citoyens moyens. Dans la réalisation de son projet, l’opposition a donc mis fin sans hésitation à la décrispation tacite instaurée après la rencontre avec le président de la République.
En outre, l’URD et ses alliés ne pouvaient ignorer les discussions qui parcouraient la majorité présidentielle, notamment à propos du revers militaire de Kidal et de ses conséquences, de la montée de l’insécurité et du sort des candidats du baccalauréat. A travers la motion, les initiateurs espéraient aussi faire émerger dans les débats les états d’âme perceptibles dans le camp d’en face et amener certains députés de la majorité à exprimer ne serait ce qu’un soutien très critique à l’action gouvernementale. A l’arrivée et sur ce dernier point bien précis, les résultats pour les opposants se sont avérés somme toute limités. Ils se sont certes rallié deux voix supplémentaires au moment du vote, mais ce renfort ne peut être interprété comme véritablement significatif. La majorité a, en effet, choisi de faire bloc derrière le chef du gouvernement sans céder à la tentation d’assortir sa solidarité de remarques ouvertement critiques adressées au PM.
On a, à cet égard, noté la montée au créneau résolue de ténors du RPM qui ont presque tous adopté un ton comminatoire et n’ont pas hésité à faire parler la grosse artillerie en accusant presque ouvertement les opposants de manœuvre de déstabilisation et de collusion avec le MNLA. Les têtes de file des Tisserands avaient bien conscience que laisser transparaitre un soupçon de réserve sur l’action gouvernementale équivaudrait à ajouter le désordre à la difficulté. Mais dans le camp présidentiel, ces prises de position monolithiques ont cohabité avec des analyses plus nuancées venant de certains représentants du RPM et concernant en particulier les dossiers sociaux. La nuance est également venue de formations alliées comme l’ADEMA-PASJ qui s’est interrogée sur les motivations ayant guidé l’important mouvement de responsables dans les académies, mouvement qui n’a pas facilité la prise en charge des problèmes organisationnels des examens ; ou comme le SADI qui avant d’exprimer son soutien à l’Exécutif a procédé à un inventaire exhaustif des difficultés encore non résolues et des attentes en souffrance.
FRONT CONTRE FRONT. Mais la principale limite à son initiative que devrait ressentir l’opposition – si elle dressait un bilan dépassionné – résiderait, à notre avis, dans le fait que la VRD n’a pas gagné la bataille de l’opinion, bataille qui constituait, dans l’affrontement, un enjeu beaucoup important que le très hypothétique renversement du gouvernement. Dans les colonnes d’un confrère de la place, un responsable de l’URD avait argumenté la nécessité de la motion en assurant que la dégradation actuelle de la situation dans le pays obligeait à la prise de parole pour attirer l’attention sur l’ampleur des anomalies et la gravité des menaces. L’argument est parfaitement recevable, mais la question qui se pose est de savoir si le dépôt d’une motion de censure constituait en la circonstance le bon choix tactique.
La réponse est logiquement positive si l’on prend en compte le retentissement médiatique et l’audience exceptionnelle que produit inévitablement un tel événement du fait même de sa rareté. Mais une fois épuisé l’effet de curiosité et en l’absence d’un réel élément de suspense, la motion peut s’avérer une procédure à double tranchant. Tout d’abord, son déroulement est celui d’un procès qui privilégie souvent une subjectivité très politicienne dans la formulation des arguments et des contre-arguments et l’extrême brutalité des échanges qui se font front contre front. On est donc assez loin de l’effort pédagogique qu’impose par exemple une interpellation du gouvernement ou une question d’actualité. Le déroulement des débats n’a, par conséquent, apporté que très peu d’éléments d’information nouveaux et qui soient substantiellement différents de ce que les citoyens ont appris au cours des dernières semaines à travers les médias.
Le deuxième fait à prendre en considération est la perception qu’a le grand public de la motion. Pour lui, elle représente surtout une tentative sinon de faire chuter, du moins de déstabiliser un adversaire politique, en l’occurrence le Premier ministre. Or pour l’écrasante majorité de nos compatriotes, le moment ne se prête ni aux règlements de compte, ni à la recherche de boucs émissaires. Mais à l’identification de solutions et aux signaux positifs concrets à adresser à une population en perte de repères. L’opposition ne pouvait répondre à ces attentes puisque le format même de l’événement et l’ordonnancement des débats lui assignaient le rôle strictement de procureur et ne lui ouvrait aucun espace de réflexion et même de propositions alternatives.
Plusieurs intervenants du camp présidentiel n’ont pas manqué de souligner cette faiblesse en déplorant une initiative qu’ils ont estimée particulièrement mal venue au moment où le pays a besoin que les divergences soient mises en veilleuse et la solidarité nationale préférée à toute autre attitude. Du hiatus entre les attentes de l’opinion et le déroulement de l’événement est né un sentiment très répandu au sein de l’opinion nationale et qui réduit la séance de mercredi dernier à un accrochage politicien entre forces opposées. C’est pourquoi le public retiendra surtout de la séance à l’Hémicycle quelques petites phrases de certains et quelques postures remarquées d’autres.
Cependant tout acte politique, quelque soit la qualité de son exécution, délivre toujours des enseignements qui méritent d’être pris en compte. A cet égard, les congratulations et accolades chaleureuses échangées par les élus de la majorité présidentielle après la proclamation du décompte des votes pouvaient surprendre au regard de la prévisibilité du résultat final. Mais ces congratulations mutuelles s’expliquent lorsqu’on se remémore certains mouvements d’humeur qui avaient traversé le camp présidentiel. La rapidité avec laquelle a été acceptée l’idée d’une commission d’enquête sur les évènements de Kidal, la froide colère de la présidente de la commission Education de l’A.N. traitée avec désinvolture lors de la sortie d’information des élus sur l’organisation du baccalauréat à Bamako, l’inquiétude devant la montée des phénomènes d’insécurité soulignée avec insistance lors de la séance de questions d’actualité et même une certaine difficulté d’accès aux membres du gouvernement traduisent une insatisfaction latente des parlementaires soumis à l’impatience de leurs électeurs. L’éventualité d’un lâchage du PM par la majorité relevait certes d’une absolue absurdité. Mais l’éventualité d’un coup de semonce à travers un nombre significatif d’abstentions avait été plus qu’effleurée avant d’être désamorcée par un intense démarchage de certains leaders. Le soulagement exprimé à travers l’explosion de joie était donc compréhensible, la discipline de vote ayant été respectée dans ce premier test de cohésion qu’ait eu à passer le camp présidentiel. Cependant il ne serait pas inintéressant pour le gouvernement de tirer les vraies leçons de sa mise à l’épreuve.
DES URGENCES COMPLEXES. La facilité serait de considérer le dépôt de la motion de censure uniquement comme l’étalonnage réussi de notre pratique démocratique. Se limiter à cette considération d’ordre très général sous-estimerait un facteur majeur, l’anxiété ambiante qui règne dans le pays et sur laquelle l’opposition s’est adossée pour lancer son initiative. Le rétablissement de la présence des FAMa dans les positions naguère occupées par elles dans le Nord du pays (hors Kidal), la prise en compte des retombées des récentes décisions du FMI, la gestion des résultats du baccalauréat, l’apaisement de la psychose de l’insécurité relancée par l’incroyable évasion de Mohamed Ali Ag Wadoussène représentent autant d’urgences complexes qui figurent dans les messages en creux envoyés par des députés de la majorité présidentielle
On connaît le fameux aphorisme de Jacques Chirac. En politique, disait-il, les problèmes (l’ancien président français usait d’un terme beaucoup plus cru) volent en escadrille. Le contexte actuel n’est donc pas simple à assumer pour le gouvernement. Sans céder à la précipitation, il n’a d’autre choix que de ne pas tarder dans les décisions et de se soucier autant de l’immédiate lisibilité que de la crédibilité de celles-ci. La conquête de la vraie adhésion des citoyens passe par là.
G. DRABO
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