L’avenir politique au Mali : La quête de nouvelles certitudes
Nos compatriotes ont du abandonner certaines de leurs récentes convictions. De nouvelles doivent leur être proposées dans un esprit de vérité
Ces images n’avaient pas besoin d’être longuement commentées. Elles étaient celles de la progression apparemment implacable d’une catastrophe inouïe par son ampleur et par sa soudaineté. Elles étaient aussi celles d’un Etat en train de naufrager brusquement et à court de solutions au point de devoir rameuter et d’armer en toute hâte ses administrés. Elles étaient également celles de la rançon de l’imprévoyance, de l’embourbement dans de médiocres querelles politiciennes et de l’acharnement à attiser les contradictions internes dans un pays à peine convalescent. Ces images montraient une armée en totale débandade, d’interminables processions des habitants fuyant une occupation qu’ils pressentaient brutale et sanglante, les rodomontades des djihadistes confiants en une conquête prochaine de tout le pays. Passées en boucle la semaine dernière, ces images sonnaient le glas de l’expérience de renaissance irakienne telle qu’elle a été conduite depuis la chute de Saddam Hussein.
Nombreux ont du être nos compatriotes qui ont suivi le cœur serré une actualité géographiquement lointaine, mais symboliquement proche. En effet, le drame irakien nous remet inévitablement en mémoire les terribles tribulations que nous-mêmes avons traversées de janvier 2012 au premier trimestre 2013. Les deux situations ont des racines entièrement différentes, mais elles possèdent une similitude commune. A leur origine se trouve la faillite de l’Etat dans l’accomplissement de ses obligations les plus élémentaires vis-à-vis des citoyens. Obligations qui comportaient tout particulièrement un impératif de vision sur l’avenir du pays, une contrainte d’impartialité à l’égard de tous et un devoir de protection envers chacun. Le renoncement à ces engagements implicites a déclenché dans les deux cas de manière quasi inéluctable une déréliction de la gouvernance et un affaissement de la nation.
Ce sont là deux phénomènes qu’il est malheureusement difficile d’enrayer et sur lesquels les remèdes appliqués sont lents à agir. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la thérapie choisie peut être totalement inadaptée lorsqu’elle n’est pas d’inspiration endogène. L’Irak après la chute de Saddam Hussein a été de fait dirigé non pas par le fantomatique gouvernement intérimaire, mais par des proconsuls américains, foncièrement étrangers aux réalités du pays et absolument convaincus de l’infaillibilité de leurs décisions. Les nouveaux maîtres du pays ont donc – sans s’en rendre vraiment compte – suscité des fractures et créé des fragilités en cautionnant le particularisme kurde, en laissant monter les tensions entre les chiites et les sunnites, en ségrégant sans discernement toutes les personnalités indexées comme ayant appartenu à l’ancien régime. L’Irak a été mis sur le chemin de la mue démocratique, lesté de tous ces handicaps dont les nouvelles autorités nationales se sont accommodées, le plus important pour elles ayant été de recouvrer un plein exercice du pouvoir politique.
LA MANIÈRE LA PLUS IMPRÉVISIBLE. Aujourd’hui, ces autorités sont rattrapées par les contradictions qu’elles ont laissé grandir. Les étrangetés ne manquent en effet pas qui illustrent la profondeur du mal irakien. Le gouverneur sunnite de Mossoul s’est engagé à organiser la résistance de ses administrés contre les djihadistes, mais a exigé que le Premier ministre chiite montre désormais plus de considération envers les sunnites. Les Kurdes ont engagé contre les djihadistes leurs propres troupes, les Peshmergas, beaucoup mieux organisées que l’armée nationale, mais se donnent une totale autonomie d’action par rapport au pouvoir central. L’Etat irakien se sauvera certainement de l’éclatement, mais nul ne peut aujourd’hui prédire avec précision quelle sera sa configuration au terme de la crise qu’il traverse.
Ceci constaté, tracer un parallèle entre ce qui passe au Moyen-orient et ce qui se déroule au Sahel serait céder à la facilité. Néanmoins il n’est jamais inintéressant pour le Mali d’observer tous les cas de sortie de conflit (et le cas irakien en fait partie) pour en tirer les avertissements utiles. Dans notre pays, la gestion de l’après crise (surtout lorsque la crise a eu la gravité de celle de 2012-2013) requiert en effet une vigilance permanente, quasi tatillonne. Parce que le danger peut ressurgir sous la forme la plus inattendue et de la manière la plus imprévisible.
Ce qui est arrivé à Kidal est là pour en attester. Aujourd’hui, l’essentiel n’est plus à épiloguer sur la reconstitution des faits. Comme nous le disions la semaine passée, le chapitre politique de l’immédiat après 21 mai s’est refermé avec la rencontre du président de la République et des leaders des partis. Le volet militaire est en train d’être géré par le ministère de la Défense. Parmi les priorités du proche avenir figure un double objectif incontournable et urgent : rassurer notre opinion nationale et faciliter l’accompagnement que nous garantissent nos partenaires. En ce qui concerne le premier point, il est sans doute indispensable d’identifier de la manière la plus exacte possible l’état d’esprit actuel des Maliens. Nos compatriotes sont passés depuis le 21 mai par toute une gamme d’émotions négatives : le désarroi à l’annonce du revers militaire, l’abattement lorsqu’a été précisée l’ampleur des pertes subies, une très forte inquiétude une fois confirmés les divers redéploiements des groupes armés dans certaines localités du Nord et un regain d’anxiété après l’attentat à la voiture-suicide contre le camp de la MINUSMA à Aguel hoc.
Présentement, l’opinion nationale est en attente de mesures rassurantes qui lui prouveraient qu’après avoir essuyé l’onde de choc de Kidal, l’Etat se retrouve à nouveau en position d’initiative. La meilleure manière de procéder, à notre avis, serait déjà de recomposer le dispositif de sécurisation déployé au Nord et dont quelques points ont été abandonnés du fait du repli précipitamment opéré par certains éléments. Rappelons qu’en raison des limites objectives des FAMa en hommes et en matériel, ce dispositif n’avait pas pour objectif de sécuriser tout le Septentrion. Mais de stabiliser certaines zones définies comme sensibles par une présence dissuasive des forces maliennes et par l’organisation de patrouilles. Les failles enregistrées réinstaurent l’inquiétude au sein des populations qui renouaient laborieusement avec la normalité et ravivent l’activisme des bandes qui avaient été contraintes de mettre un bémol à leur nuisance.
LOYALEMENT EXÉCUTÉE. Le rétablissement du seuil de sécurité atteint naguère relève aussi de la nécessité politique. S’il n’est pas effectué, notre pays court le risque d’entamer de manière désavantageuse pour lui les négociations avec les groupes armés. La perte de Kidal est déjà suffisamment handicapante pour que l’abandon d’autres positions ne lui soit ajouté. En ce qui concerne l’attitude à tenir envers nos partenaires, le gouvernement a entamé depuis quelques semaines une opération de mise au point devant la multiplication des manifestations d’hostilité contre la MINUSMA et Serval. Il faut reconnaître que les deux forces partenaires – surtout la seconde qui ne s’attendait certainement pas à un tel revirement d’appréciation à son égard – ont indubitablement eu du mal à communiquer de manière convaincante sur les limites de leur action au Mali. Mais s’acharner encore et toujours à les stigmatiser relève du déni de la réalité.
En effet, c’est dans les camps de la MINUSMA à Kidal, à Aguel hoc et à Ménaka que des éléments des FAMa se sont repliés. Et c’est grâce à la poursuite des actions de traque de Serval que nous n’avons pas assisté à une déferlante des groupes djihadistes d’AQMI et d’Ançardine dans la brèche ouverte par le revers de Kidal. Mais le danger d’une réinstallation progressive des terroristes existe toujours et une analyse de la situation à Aguel hoc vient rappeler la plausibilité de cette éventualité. Des informations font état d’une présence de plus en plus visible d’éléments extrémistes dans la localité et de leurs tentatives d’y instaurer la charia. En outre, l’attentat contre le camp de la MINUSMA par la minutie de sa préparation atteste tout au moins de l’implantation d’un groupuscule local.
Face au revirement de conjoncture amené par les événements du 21 mai, l’appui de la communauté internationale nous est donc plus que jamais indispensable. Et nous devons aider nos partenaires à nous aider dans la réduction des périls qui nous environnent. Notamment en bouclant les négociations avec les groupes armés. Ceux-ci ont reconnu à Ouagadougou l’intégrité territoriale du Mali et ont admis la nécessité de procéder à un cantonnement de leurs troupes. Ils ont réitéré ces points essentiels lors des discussions exploratoires d’Alger. Il convient donc de les prendre au mot sur ces engagements et les amener à respecter ceux-ci. Ce ne sera possible qu’avec l’aide de nos partenaires puisque les évènements de Kidal ont notablement réduit notre propre capacité de pression. Cependant l’accompagnement extérieur ne réduira pas la complexité des discussions et n’éliminera pas de façon miraculeuse les calculs des groupes armés. De cela, on a eu la preuve la semaine dernière. La troïka MNLA – HCUA – MAA canal I a clairement affiché sa volonté d’être le chef de file des pourparlers avec le gouvernement en lançant un ultimatum au trio Coalition pour le peuple de l’Azawad (CPA) – Coordination des mouvements et fronts patriotiques de résistance (CM-FPR) – MAA canal II pour que ceux-ci se rallient à lui.
Il ne faut cependant pas prêter à ces gesticulations plus d’importance qu’elles n’en ont et il importe de rester attaché à l’essentiel : obtenir des groupes de toutes obédiences qu’ils se détachent sans équivoque des mouvements djihadistes et s’impliquent dans le combat contre le terrorisme. C’est sur cette collaboration librement consentie et loyalement exécutée que pourrait se bâtir l’indispensable confiance mutuelle qui permettrait aux différentes parties d’élaborer des compromis raisonnables. La voie vers la réconciliation est donc plus qu’escarpée et la difficulté à l’emprunter doit être intégrée dès aujourd’hui.
CES PRÉVISIONS AUSTÈRES. Car c’est cette approche que les autorités ont à faire partager par le Malien moyen. Avant le choc du 21 mai, nos compatriotes nourrissaient la conviction que la possibilité de voir revenir certaines situations, comme un grave revers militaire, était définitivement révolue. Ils étaient aussi, pour beaucoup, convaincus que la négociation était une option dispensable et que la reconquête militaire, notamment celle de Kidal, pouvait lui être substituée en cas de piétinement des négociations. Ces certitudes se sont évanouies, laissant de nombreux citoyens complètement désemparés. Il faut donc proposer à ces derniers de nouvelles certitudes, et le faire dans l’esprit de vérité qui avait inspiré la fameuse annonce churchillienne.
Cependant ce n’est pas de la sueur, du sang et des larmes qui seront prédits aux Maliens. Mais de la constance, de la patience et de l’abnégation qui leur seront demandées. De la constance, car les choix forcément difficiles à faire (et les négociations en susciteront quelques-uns) devront être tenus jusqu’au bout au nom de la sécurité d’abord, de la paix et de la réconciliation ensuite. De la patience, parce que l’œuvre de reconstruction qui va de la réforme des FAMa à la reconstitution du vivre ensemble ne s’accommodera ni de la précipitation, ni de l’autosatisfaction prématurée, encore moins du recours au saupoudrage et au replâtrage. De l’abnégation, les années à venir étant celles de l’effort partagé et du sacrifice accepté.
Les Maliens sont-ils prêts à accepter ces prévisions austères ? Nous pensons que oui. A condition qu’elles s’exécutent dans l’esprit de vérité évoqué plus haut et selon le principe de l’équité. Notre peuple a considérablement mûri dans la succession d’épreuves subies. S’il ne renonce pas au souhaitable, il sait aujourd’hui se plier à l’inévitable, pourvu que le sens lui en soit expliqué. Car une nuance d’importance est à souligner. Dans leur présente situation et instruits par un passé qui ne leur a pas ménagé les difficultés en presque 54 ans d’indépendance, les Maliens acceptent que rien ne leur soit donné. Mais ils admettraient difficilement que rien ne leur soit épargné.
G. DRABO
SOURCE: L'Essor du 19 juin 2014.
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