Mali 2013. Tiébilé Dramé joue à Kidal, et avec le MNLA, son avenir politique (2/3) - leFaso.net, l'actualité au Burkina Faso
mercredi 29 mai 2013
Le jeudi 3 mars 2005, Tiébilé Dramé va épouser Kadiatou Konaré, de vingt ans sa cadette. Directrice-fondatrice de Cauris Editions, elle est la fille (unique ; le couple a, par ailleurs, trois garçons) d’Adame Ba Konaré (en pointe pour dénoncer, en son temps, le « discours de Dakar » de Nicolas Sarkozy) et d’Alpha Oumar Konaré.
Tiébilé Dramé est aussi, cette année-là, président du Comité préparatoire du XXIIIème sommet Afrique-France (3-4 décembre 2005), une mission qui lui a été confiée au printemps 2003 et qui lui vaudra d’être fait officier de la Légion d’honneur par le président Jacques Chirac le 14 juillet 2006. Cette mission lui vaudra également de se retrouver dans le collimateur de la justice pour la gestion des fonds mis à la disposition du comité d’organisation ; ce n’est que plus de trois ans plus tard, début 2010, que la justice classera sans suite la procédure d’enquête de la brigade économique et financière de Bamako.
Ce qui ne l’empêchera pas d’être investi par le Parena pour être son candidat à la présidentielle 2007 avec un programme intitulé : « Les grands chantiers de la renaissance » qui fixera douze priorités. Il arrivera, cette fois, en troisième position, derrière ATT (qui l’emporte dès le premier tour) et Ibrahim Boubacar Keïta, mais avec un score plus faible qu’en 2002 : 3,04 %.
En 2009, il sera médiateur nommé par le secrétaire général de l’ONU pour Madagascar et, en 2011, il sera actif dans les négociations avec le Conseil national de transition (CNT) libyen. Chacun pensera que, sillonnant ainsi l’Afrique et l’Europe, il préparait sa candidature à la présidentielle 2012. Mais l’évolution de la situation dans le « corridor sahélo-saharien » et l’implosion brutale du Mali vont changer la donne. Sa priorité, désormais, sera la recherche d’une solution à la « crise malo-malienne ».
Auparavant, les 10 et 11 décembre 2011, dans le cadre de l’hôtel de l’Amitié de Bamako, il aura organisé une concertation sur « les crises » du Sahel à laquelle ont participé des représentants des partis politiques : Mali, Burkina Faso, Maroc, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad. Ne manquait que l’Algérie. « Outre les menaces de grave famine qui pèsent sur la région, le Sahel est, aujourd’hui, la principale victime de l’accélération de l’Histoire dans le monde arabe, la principale victime des dégâts collatéraux de la crise libyenne, déclarera Tiébilé Dramé […] Notre sous-région subit depuis six mois la forte demande de centaines de milliers de migrants chassés par la guerre, mais aussi d’un nombre indéterminé de combattants revenus avec leurs armes comme seul viatique, assombrissant nos perspectives qui n’étaient déjà pas reluisantes ». Il ajoutait alors : « Ayons le courage de reconnaître que le Sahel est aussi malade de décisions non prises quand il le fallait, de complaisances multiples, de renoncements et de l’accumulation des problèmes non gérés qui nous rattrapent ». Il dira encore : « Il nous faut nous situer dans une géopolitique des espaces, voir si le ventre mou de la sécurité collective ne se trouve pas moins dans le Sahel que dans le Maghreb où la bête est née et où les printemps arabes, sans dramatiser ce qui peut bien relever d’un repli identitaire, sont plus que jamais à suivre ». Tripoli, Bamako, Alger : la boucle était bouclée.
Aux activités d’AQMI, aux rapts d’étrangers « libérés contre rançon », aux trafics d’armes, Dramé ajoutera le trafic de cocaïne, « des côtes latino-américaines à celles de l’Afrique », estimant que, de 2004 à 2010, 50 tonnes destinées à l’Europe ont transité par le Sahel, soit 2 milliards d’euros.
Fin 2011, quelques mois avant le déclenchement de la « guerre » menée par le MNLA contre le régime en place à Bamako, la dimension politique de ces « crises » ne se posait pas pour Dramé : elle était évidente. Les événements vont se précipiter dès lors que les militaires maliens, peu enclins à aller combattre dans le Nord, préféreront, le 22 mars 2012, s’installer confortablement au pouvoir à Bamako ; une opération que les « politiques » ne seront pas en mesure de contrecarrer. Bien au contraire, sur l’échiquier politique malien, chacun, désormais, va chercher à conquérir une position dominante, à nouer une relation clientéliste tout en établissant une connexion privilégiée avec un des acteurs extérieurs. Dramé, fort des relations établies de longue date avec le MNLA et Nouakchott va prendre de court tout le monde. Il va s’imposer comme l’homme de Dioncounda Traoré, président par intérim, n’attendant même pas qu’un premier ministre soit désigné pour s’ancrer durablement dans une négociation avec le MNLA alors sous férule du pouvoir mauritanien. N’attendant pas, non plus, que la normalité constitutionnelle soit rétablie au Mali où les militaires continuaient à jouer au « petit soldat », autrement dit à se croire détenteurs d’une quelconque parcelle de pouvoir dès lors qu’ils avaient le doigt sur la gâchette.
Depuis ces événements qui ont bouleversé le Mali et l’Afrique de l’Ouest, mais aussi la relation internationale entre Bamako et Paris, Dramé a posé les bonnes questions (Margaret Thatcher, toujours acerbe, aurait fait remarquer qu’il aurait mieux fait d’apporter les bonnes réponses : mais attendons) : « Pourquoi sommes-nous tombés ainsi ? Qui n’a pas fait quoi ? Comment AQMI s’est enkysté ? Le narcotrafic ? La corruption ? Où étaient les institutions ? Où étaient les contre-pouvoirs, la société civile ? Que faisaient les partis politiques ? Où étions-nous quand le pays se délitait ? […] Pouvons-nous nous permettre de nous comporter comme si rien ne s’était passé dans ce pays en 2012 ? Comme si le 22-mars n’avait pas eu lieu ? Pouvons-nous aller aux élections comme par le passé, alors que les enfants des autres viennent mourir pour notre liberté et notre dignité ? ». Il dit encore que « dans les circonstances historiques particulièrement graves que nous traversons, le prochain président de la République doit être conçu, perçu, comme le président d’une transition issue des urnes, dont les missions seront, en tirant les enseignements des crises qui ont ébranlé le pays, de refonder la République malienne, de créer les conditions politiques et institutionnelles d’un renouveau démocratique, de rechercher et de parachever un consensus autour d’un nouveau pacte national pour la paix et la cohésion de la Nation ». Il appelle à la tenue d’un « Congrès des communautés du Nord pour la paix, la cohabitation intra et intercommunautaire, la réconciliation et la cohésion nationale » dont les conclusions seraient soumises, pour amendements et validation, aux « Assises nationales » qui devront être organisées sous l’égide du futur président de la République*.
Les positions de Dramé sont connues : 1 - une intervention militaire était nécessaire pour rétablir « l’ordre républicain et laïc » et libérer le Mali des « groupes terroristes » ; 2 - « Il y a une profonde exaspération au sein de la population qui croit que le MNLA et Ansar Dine sont responsables de la crise actuelle » ; 3 – « Le MNLA doit renoncer publiquement à sa déclaration d’indépendance et présenter des excuses pour les actes qu’il a causés contre le Mali et revenir sincèrement dans le giron de la République »**. Ces trois points constituent à n’en pas douter sa feuille de route dans la négociation qu’il lui faut mener aujourd’hui pour que l’élection présidentielle du 28 juillet 2013 soit faisable. Mais il n’est pas certain qu’au sein de la classe politique malienne il y ait consensus pour que sa mission réussisse. Et c’est là tout le problème.
* Toutes ces propositions ont été formulées le samedi 23 février 2013 à l’occasion d’une journée d’échange organisée par les jeunes du Parena sur le thème : « Les crises sécuritaire et institutionnelle au Mali : quelles perspectives ? ».
** Entretien avec Hadjer Guenanfa, pour « Tout sur l’Algérie », quotidien électronique algérien d’actualité (24 novembre 2012).
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique