Le cœur chaud, mais la tête froide
Une séquence importante s’ouvre demain à Alger et des tentatives de redéfinition des rapports de forces sont inévitables
Le temps de l’épreuve n’est donc pas passé. Il nous faut apprendre à avancer avec cette réalité. En acceptant d’avoir le cœur chaud, mais en gardant la tête froide afin d’avoir les meilleures chances de nous réapproprier entièrement la maîtrise des évènements. Ce n’est pas céder à une dramatisation facile que de reconnaître la gravité de la situation à laquelle nous faisons face. Car le pire réflexe que nous pourrions avoir dans le contexte actuel serait de nous abandonner à ce que les Anglo-Saxons appellent le wish full thinking, c’est-à-dire à la propension à décrire les choses telles que nous souhaitons qu’elles soient. La tentation est grande de recourir à cette facilité quand l’avenir est difficilement déchiffrable et que les repères, que l’on pensait posés avec sûreté, vacillent. Mais l’exercice qui consiste à chercher la main de l’extérieur dans toutes les difficultés qui surgissent et à trouver systématiquement des causes exogènes aux piétinements et aux dérapages ne conduit à rien si ce n’est à nous éloigner un peu plus de la recherche des vraies solutions.
Quitte à encourir le reproche de l’éternelle redite, répétons une fois de plus cette vérité : la politique est un sport de combat. La règle s’applique aussi bien dans la compétition intérieure qu’au niveau des relations internationales. Dans ce dernier domaine, la modestie de notre carrure nous interdit de dicter les règles, ou même de songer à modifier ces dernières. Elle nous impose de connaître les codes pour les exploiter autant que possible à notre avantage. Elle nous oblige à savoir accepter ce que nous ne pouvons changer et à négocier ce que nous ne voulons pas nous voir imposer. Elle nous incite, enfin, à savoir gérer nos relations avec nos partenaires sans jamais nous illusionner ni sur la profondeur d’une amitié, ni sur la sincérité d’un engagement, ni sur le désintéressement d’une implication.
En préférant le réalisme à l’imprécation, nous nous donnons l’avantage essentiel de ne nous tromper ni de combat, ni (surtout) d’adversaires. Cela est vital au moment où le triple le défi de la sécurité, de la paix et de la réconciliation au Nord du Mali se pose en des termes particulièrement cruciaux. Les événements du 21 mai en détruisant une bonne partie des équilibres établis après l’offensive victorieuse contre les djihadistes ont ouvert la voie au repositionnement des groupes armés. Les protagonistes non gouvernementaux ont la conviction que la rencontre de demain à Alger, même si elle n’est en rien décisive, constitue néanmoins un espace suffisamment significatif pour tenter d’établir de nouveaux rapports de force. Face à lui, le gouvernement malien aura deux groupes d’interlocuteurs aux visées substantiellement différentes. Le premier est composé de la Coalition du peuple pour l’Azawad (dissidence du MNLA dirigée par Ibrahim Ag Mohamed Assaleh), de la Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance (regroupant les mouvements armés sédentaires) et d’une partie du Mouvement arabe pour l’Azawad (que nous dénommerons Canal modéré pour une commodité de distinction d’avec l’aile radicale).
DEUX FAITS SE DÉGAGENT. Avec ces groupes, la discussion démarrera avec un certain nombre de préalables positifs contenus dans les positions que le trio a exposées dans la « Plateforme préliminaire d’Alger » rendue publique le 14 juin dernier. Les signataires y ont tout d’abord « renouvelé leur ferme engagement à respecter l’intégrité territoriale et l’unité, la laïcité de l’Etat et son caractère républicain conformément aux accords de paix ». Ensuite – et alors que deux de leurs composantes ont la notion d’ « Azawad » inscrite dans leur dénomination -, les signataires désignent dans le document le Septentrion malien comme les « Régions du Nord du Mali », formule consacrée par le Pacte national en attendant que les populations se prononcent librement sur une autre appellation. Mais ils soulignent que ces Régions sont « appelées par certains « Azawad » (expression consacrée par les accords de paix antérieurs) ».
La Plateforme indique aussi la volonté des trois groupes de « s’engager avec le gouvernement du Mali de manière constructive sur la voie du dialogue et de la négociation pour une nouvelle gouvernance répondant aux aspirations profondes et aux revendications légitimes des populations des Régions du Nord du Mali (…) lesquelles aspirations reflètent en réalité la diversité géographique sociale et culturelle du Mali ». Le document insiste sur la promotion d’une « plus grande participation des communautés dans la gestion de leurs affaires et des affaires publiques et une présence accrue et équilibrée de ces communautés dans les différentes sphères politiques et administrations de l’Etat ». Enfin, la plateforme invite le gouvernement à « diligenter des mesures de confiance par la libération des prisonniers et de créer les meilleures conditions de retour des réfugiés dès la signature d’un accord global et définitif ».
En ce qui concerne les négociations gouvernement-groupes armés, le document préconise de « poursuivre dans le cadre de mécanismes appropriés devant se réunir sur une base régulière les consultations engagées à Alger en vue de parachever le processus d’harmonisation des positions dans la perspective du dialogue inter malien ». Ainsi que l’on peut le constater, le ton raisonnable et les propositions modérées délibérément choisis par le trio CPA, CM-FPR et MAA (canal modéré) devraient faciliter l’entame des discussions d’Alger. Par contre, un certain nombre d’inconnues subsiste toujours quant à la ligne de conduite que choisira la troïka MNLA, HCUA et MAA (canal radical), auteur d’une « Déclaration d’Alger » publiée le 9 juin. Mais si l’on en juge par les commentaires faits par les différents responsables du Mouvement, toujours aussi actifs sur le plan médiatique, deux faits se dégagent.
Pour le MNLA, les discussions exploratoires d’Alger représentent une simple prise de contact au cours de laquelle le gouvernement malien devra donner des gages convaincants de sa disponibilité au dialogue. Lequel dialogue sera à entamer dans un lieu à définir à l’extérieur du Mali et sous la supervision d’un médiateur international. Deuxième précision fournie par ses différents porte-paroles, le Mouvement demeure attaché à l’autonomie de l’Azawad dans une formule qui restera à préciser. Mais que contient exactement cette exigence d’autonomie ? Des indications intéressantes sont fournies dans un document que nos confrères du Zénith Balé ont eu le mérite de se procurer et de publier en juin dernier. Document qui détaille comment devrait fonctionner une entité dénommée Collectivité de l’Azawad.
La communauté internationale ayant affirmé sa ferme opposition à une quelconque partition du Mali et l’accord préliminaire de Ouagadougou ayant définitivement fermé la porte à toute possibilité de fédéralisme, la troïka a donc travaillé sur le projet de création d’une Collectivité qui bénéficierait de presque tous les attributs et avantages d’un Etat sans en assumer les contraintes dont la principale est de pourvoir à ses propres besoins. Selon le document entériné le 14 juin dernier, la future collectivité de l’Azawad serait créée par une loi organique votée par le parlement malien. En ce qui concerne le territoire qu’elle couvrirait, ses initiateurs ont revu leurs prétentions de 2012 à la baisse. L’Azawad qui au départ devait s’étendre jusqu’à Douentza se ramènerait désormais aux trois Régions du Nord du Mali.
DES COMPÉTENCES ASSOCIÉES. Chacune des capitales de celles-ci abriterait une institution de la future Collectivité. L’Exécutif (ou Conseil exécutif) siègerait à Kidal, le parlement (ou Conseil territorial) s’établirait à Gao alors que Tombouctou accueillerait plus modestement deux instances consultatives, le Conseil économique, social et culturel, de l’Environnement et de l’Education ainsi que le Conseil des autorités coutumières de l’Azawad. Les points les plus intéressants du document portent sur les compétences de la Collectivité. Cette dernière fixerait les règles applicables en matière d’impôts, de droits et de taxes, des mines, du tourisme et de création et d’organisation des services et des établissements publics. Elle aurait donc un contrôle complet des ressources qui peuvent être générées sur son territoire, y compris les richesses minières éventuelles. La Collectivité se verrait aussi accorder des « compétences associées avec l’Etat » dans certains domaines majeurs. Comme dans l’éducation où elle aurait le droit d’élaborer des programmes scolaires, de recruter et d’affecter des enseignants ; comme dans la culture où serait approfondie l’identité azawadienne ; comme dans le sport où les représentants de la Collectivité auraient la faculté de participer aux compétitions internationales avec un hymne et un emblème propres.
Dans le domaine de la coopération régionale et internationale, la Collectivité aurait le droit de participer à la négociation des traités et des accords internationaux, d’être représentée au sein des organismes régionaux et des instances de l’Union africaine et de voir son président inclus dans toute délégation du Mali qui négocierait à l’international des questions intéressant la Collectivité. L’identification faite des futures ressources de la collectivité est significative. Le produit de l’exploitation du sous-sol y est clairement mentionné. La troïka a cependant pris ses précautions. Au cas où les ressources internes ne suffisaient pas à couvrir les besoins de la Collectivité, le gap serait pris en charge par l’Etat malien à travers « une dotation globale de compensation ». En outre, la Collectivité se propose de négocier avec le gouvernement un programme exceptionnel d’investissements d’une durée de quinze ans pour « rattraper le retard en matière d’équipements indispensables à son développement » et pour surmonter « les réalités naturelles auxquelles elle fait face ».
Disons-le tout net, la plupart des dispositions contenues dans le document sont tout simplement inapplicables, même dans le cadre d’une décentralisation et d’une régionalisation poussées dans les limites extrêmes de leur interprétation. Mais là n’est pas l’essentiel pour la troïka. Elle s’est assez peu souciée de la faisabilité de ses exigences, seul lui importait le montage d’un schéma qui la rapprochait de son objectif premier (l’indépendance) ou intermédiaire (une formule fédérale). D’ailleurs, fait significatif, il y a trois semaines, Allaye Ag Mohamed qui se présente comme chargé de communication du Mouvement avait posté dans l’édition en ligne de Jeune Afrique une contribution ampoulée pour défendre la formule du fédéralisme contre l’option de la décentralisation. Le Mali, selon lui, ne serait viable que dans la cohabitation de deux grandes entités, l’Azawad et une autre que l’auteur avait baptisée « Maliba ».
UN MONTAGE FANTASMAGORIQUE. Il n’y a cependant pas à s’échauffer inutilement devant l’outrecuidance des propositions de la troïka. Ainsi que nous le rappelions dans notre précédente chronique, l’historique des négociations de 1991-1992 montre bien que la discussion gouvernement-groupes armés avait toujours été entamée sur des bases apparemment inconciliables pour finalement déboucher sur des compromis mutuellement acceptables. La bonne question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le MNLA, le HCUA et le MAA ont conscience que leur victoire acquise le 21 mai représente un avantage à relativiser fortement. Cet évènement a surtout contribué à accélérer la reprise des pourparlers, il ne fera donc pas obtenir à la troïka des concessions au-delà de ce qui est raisonnablement envisageable. La communauté internationale qui a bien démontré ces dernières semaines qu’elle suit de très près l’évolution de la situation au Mali s’implique autant que possible pour que les solutions à trouver souscrivent au principe élémentaire de la rationalité, donc bien loin du fantasmagorique montage de la Collectivité de l’Azawad.
En outre, une alarmante réalité s’impose avec de plus en plus d’évidence à nos partenaires. Le repli des FAMa a dangereusement abaissé le seuil de sécurité au Septentrion. Le MNLA a profité du champ laissé libre pour essayer comme à son habitude de démultiplier son effet de présence en envoyant des escouades se positionner dans certaines localités ou établir des check points. Cette tactique a incité d’autres groupes armés à se manifester pour souligner par leurs attaques les limites du Mouvement qu’ils veulent à leur tour mettre sur la défensive. Cette flambée d’antagonismes qui existent de longue date et qui se révèlent difficilement contrôlables, rappelle deux nécessités incontournables. Primo, il est impératif que nos forces armées et de sécurité aient la possibilité de retourner le plus vite possible sur les positions qu’elles occupaient avant le revers de Kidal et qui leur permettaient d’assurer un niveau convenable de sécurité dans certaines zones.
Secundo, la MINUSMA doit s’attacher dans les plus brefs délais à mettre en œuvre les recommandations faites lors du renouvellement de son mandat. Autrement dit, à se déployer de manière plus importante en dehors des grandes agglomérations pour notamment neutraliser les bandes armées qui mettent à profil la période de flottement actuel pour reprendre leurs exactions. Ces deux actions revêtent un caractère d’urgence. Car si la présence de l’Etat ne se manifeste pas dans des proportions rassurantes et si les troupes internationales ne s’acquittent pas de la mission de protection des populations de manière plus énergique et plus convaincante, il faut craindre qu’un scénario catastrophe ne s’ébauche.
C’est celui qui verrait des éléments du trio CPA, MAA (canal modéré) et CM-FPR chercher à se manifester de manière plus active sur le terrain pour contenir une éventuelle expansion du MNLA. Il y aurait alors le risque qu’ils soient rejoints par les milices montées par des communautés qui se sentiraient menacées par l’envergure que veut se donner la troïka. Tous ces nouveaux acteurs invoqueraient alors la passivité ou l’impuissance de l’Etat et de la MINUSMA pour se donner le droit de se défendre. Pour le moment, ce scénario relève de la pure hypothèse. Mais si les négociations en arrivaient à piétiner, il se hisserait au statut de probabilité.
G. Drabo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire