Le
problème touareg est aussi vieux que l’Etat malien

Alors qu’un premier contingent de 150 soldats de
l’armée malienne est arrivé vendredi, de manière pacifique, à Kidal, dans le
nord du pays, la question touareg – et plus globalement celle de l’unité
nationale – reste un grand défi pour le retour à la stabilité au Mali. Pour
mieux comprendre les enjeux, nous avons interrogé Mériadec Raffray, auteur d’un
récent livre « Touaregs La révolte des Hommes bleus, 1857-2013″, (Economica, 100
pages, 23 euros) tirés d’une étude que ce journaliste, par ailleurs commandant
dans la réserve opérationnelle, a réalisée pour le Centre de doctrine et
d’emploi des forces (CDEF) de l’armée de terre.
Au Mali, la question touarègue ne date pas
d’aujourd’hui. Quel est l’héritage historique ?
Le problème touareg est aussi vieux que l’Etat
malien. “Qui est ce monsieur Mali qui remplace les Français ? ”, s’interrogent
les tribus de l’Adrar des Iforas au lendemain de l’indépendance malienne, le 22
septembre 1960. En partant, le colonisateur confie les clés du pouvoir à l’élite
locale, issue pour l’essentiel des tribus noires et sédentaires du sud, que
méprisent les fiers guerriers nomades touaregs. Des “caporaux noirs”, selon leur
expression, remplacent les officiers français : les dominés d’hier deviennent
les dominants. Pour aggraver ce choc de civilisation, le nouveau président du
Mali est fortement imprégné de marxisme. Aussitôt, la jeune administration se
comporte chez Touaregs du nord comme en pays conquis, muselant les
revendications des hommes et maltraitant leurs femmes. En 1963, les victimes se
rebellent. Le pouvoir échoue à neutraliser la résistance armée. En représailles,
il s’en prend aux familles. Rafles, viols, exécutions sommaires : la révolte
s’éteint un an plus tard. Les récalcitrants passent la frontière et le
territoire est placé sous administration militaire. Cela durera jusqu’en 1987.
La brutalité a payé mais le fossé s’est creusé entre le nord et le sud.
Alimentée par les tribus qui fuient les conséquences des graves sécheresses des
années 1973 et 1974, la diaspora d’Algérie et de Libye prépare sa revanche. Elle
a l’oreille de Kadhafi. Le Guide enrôle les jeunes dans sa “légion islamique”
qui combat les israéliens au Liban au début des années 80, et initie les chefs
au combat politique. En 1987, ils fondent leur premier mouvement politique. Y
figure déjà Iyad Agh Ghali, le créateur d’Ansar Dine en 2012. Trois ans plus
tard, dans la foulée du discours de La Baule de François Mitterrand,
l’opposition armée passe à l’attaque au Nord-Mali. Cette fois, les combats
durent jusqu’en 1996, se soldent par quatre mille morts et hâtent le délitement
du pays. L’Azawad touareg, en particulier, se transforme en une “zone grise”. En
2006, la reprise des hostilités avec l’armée malienne accélère cette
mutation.
Quels furent les rapports entre l’armée
colonaiale française et les Touaregs ?
Entre les militaires français et les Touaregs, il
existe un lien spécial nourri d’une fascination réciproque. Ce lien s’est forgé
à la fin du XIXème siècle lorsque les Sahariens de Laperrine et les Coloniaux du
Soudan français prennent en tenaille les tribus nomades adossées à leurs
“citadelles de pierre dans le désert”, selon l’expression utilisée par le
colonel Gourand pour désigner l’Adrar des Iforas, avant de soumettre par les
armes les unes après les autres. Ensuite, résume bien l’anthropologue Emile
Masqueray, “ni les soldats n’ont abusé de leur victoire, ni les nomades ne se
sont attristé de leur défaite : il se forma là comme une nation nouvelle face au
désert”. Avec tact, une poignée d’officiers et de sous-officiers d’élite attirés
par le désert et la vie de nomade, marchant sur le traces de Charles de
Foucauld, le Saint-Cyrien devenu prêtre et ermite, conduit le pays touareg sur
le chemin de la civilisation. En 1908, un lieutenant et un sous-officier
administrent le territoire de Kidal, grand comme la moitié de la France ; en
1944, une dizaine d’Européens y réside. Pour les aider dans cette tâche, les
militaires parient sur leurs ennemis d’hier en les recrutant comme supplétifs.
Ils distribuent des Légions d’honneur aux plus fidèles.
Les Touaregs sont-ils les combattants formidables
que l’on dit ?
Les Sahariens ont forgé le mythe du guerrier
touareg. La réalité est plus nuancée. Episode douloureux pour les Français, la
destruction de la colonne Flatters (6 février 1881) lors de la conquête du
Sahara n’a rien de brillant sur le plan militaire : les tribus ont tendu une
embuscade à un adversaire qu’ils surpassèrent en nombre. Adeptes des embuscades
et des coups de mains, elles ne savent pas pratiquer la guerre de siège. Des
officiers français ayant côtoyé les Toauregs au Niger et au Mali dans les années
80 et 90 les considèrent moins comme de redoutables guerriers que de redoutables
pillards ! Attirés par l’argent davantage que par la guerre, plus sensibles au
charme des femmes et à la poésie qu’aux valeurs du travail et de l’effort, ils
ont de surcroit le tort de ne jamais avoir fait preuve de cruauté au combat, à
l’inverse des tribus arabes nomades comme les Assaras, que Bamako utilisa contre
les Touaregs.
Quel rôle ont joué les Touaregs dans la
déstabilisation du pays en 2012 ? Quels sont leurs liens avec les groupes
islamistes ?
Au début des années 2000, les djihadistes du GIA
vaincus par les militaires algériens trouvent refuge au Nord-Mali. Des liens de
circonstance se nouent. Ici et là, des Touaregs leur sous-traitent la protection
de leur territoire. Parfois, ces rapprochements se concrétisent par des
alliances familiales. Par conviction, par cupidité ou par habitude guerrière, un
certain nombre de Touaregs vont grossir les rangs des katibas d’Aqmi. Les
prêches des djihadistes font mouche auprès d’une minorité sensibles à l’islam
radical, mais, globalement, les chefs touaregs traditionnels se méfient des
“fous d’Allah”. Au début de l’année 2011, une succession d’événements poussent
les Touaregs à reprendre les armes pour défendre leur cause. Les durs sont
orphelins de leur chef et se cherchent un nouveau leader. La chute de Kadhafi
tarit les subsides dont le guide gratifiait ses protégés. En revanche, elle
laisse sur le carreau les mercenaires touaregs à la solde du Libyen, qui
repassent la frontière avec armes et bagages et vont grossir les rangs de la
rébellion (et des katibas d’Aqmi). Le 14 janvier 2012, les Touaregs du MNLA,
héritiers de la branche historique de la rébellion touarègue au Mali, passent à
l’offensive à Ménaka. L’armée malienne abandonne ses positions sans combattre et
se replie au sud dans un désordre confinant à la déroute. Puis en moins de dix
jours, avec l’appui d’Ansar Dine, le mouvement fondé par le Touareg islamiste
Iyad Agh Gali quelques mois plus tôt, les hommes du MNLA “libèrent” l’Azawad. La
suite est connue et moins glorieuse : les “Seigneurs du désert” se font doubler
par les “purs” d’Ansar Dine alliés aux katibas d’Aqmi, mieux armés et mieux
financés.
Croyez-vous possible la réconciliation national
au Mali ?
L’opération Serval a rebattu les cartes au
Nord-Mali. Tant que les Français demeureront sur place, les Touaregs seront
condamnés à mettre en sourdine leurs divisions endémiques et à s’entendre avec
les forces armées maliennes. Chacun devra respecter les termes de l’accord signé
sous la pression de la communauté internationale, qui a débloqué des fonds à cet
effet. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ? Au moins, on ne pourra plus dire comme
le diplomate Laurent Bigot au printemps 2012, dans un accès de franchise qu’il a
ensuite payé cash : “Les déterminants de la crise malienne étaient là depuis
longtemps, mais on ne les regardait pas…”