IBK va s’habituer à casser le jeûne du Ramadan en buvant le calice jusqu’à la lie (suite)
L’accord de Ouagadougou avait été signé le mardi 18 juin 2013 après un formidable forcing de l’équipe de Blaise Compaoré. Et beaucoup de ceux qui, désormais, roulent des mécanique du côté de Bamako comme de New York ou d’ailleurs – et pas seulement des Maliens – n’étaient pas encore investis dans la résolution de « la crise malienne ». Et ceux qui auraient dû s’y investir ne croyaient pas beaucoup dans la réussite de Ouaga. 18 juin 2013-28 juillet 2013. Il n’aura pas fallu longtemps pour qu’impossible ne soit pas… malien.
Premier tour de la présidentielle ; puis deuxième tour le dimanche 11 août 2013. Le mercredi 4 septembre 2013, Ibrahim Boubacar Keïta prêtera serment et le lendemain nommera son premier chef de gouvernement, Oumar Tatam Ly. Un rêve ! Qui, après les événements du 17/18 mai 2014 à Kidal, va tourner au cauchemar. Le vendredi 30 mai 2014, le sommet extraordinaire de la Cédéao à Accra va réitérer sa confiance au médiateur, Blaise Compaoré, et souhaiter qu’il puisse poursuivre ses efforts dans le but d’aider les parties signataires de l’accord de Ouagadougou à aboutir à une paix globale et définitive. Le jeudi 5 juin 2014, le président du Faso recevra à Kosyam, le palais présidentiel burkinabè, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Mali, Bert Koenders qui appellera à « relancer les pourparlers inclusifs dans les meilleurs délais ».
Malgré la volonté de Bamako et de quelques autres, l’accord de Ouagadougou est donc redevenu incontournable. Ce qui change, c’est que ceux qui avaient tiré un trait sur ce document n’ont plus désormais que ces trois mots à la bouche : « accord de Ouagadougou ». Trop d’entre eux étaient partis d’un principe simple : IBK élu président de la République avec un score incontestable serait un président de la République incontesté. Incontesté, il l’est de moins en moins ; il avait été élu non pas pour parfaire sa collection de montres de luxe mais pour appliquer cet accord de Ouagadougou dont plus personne, à commencer par IBK, ne voulait plus entendre parler. A commencer par Bert Koenders qui n’avait pas encore pris ses fonctions le mardi 18 juin 2013, même s’il était présent à Ouaga lors de sa signature.
Blaise Compaoré a, en matière de médiation, un principe de base : le chronogramme. Il faut établir un agenda, définir des actions, fixer des dates… L’accord de Ouagadougou devait être mis en œuvre par le Comité de suivi et d’évaluation (CSE), un organisme politique, et la Commission technique mixte de sécurité (CTMS), un organisme militaire. Dans le premier projet d’accord de Ouagadougou, la présidence du CSE devait être assurée par Blaise Compaoré, médiateur de la Cédéao. C’était, bien évidemment, une proposition du ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Y. Bassolé, dont il ne faut jamais oublier qu’il a été, tout comme Pierre Buyoya (Union africaine), Bert Koenders (ONU), Michel Reveyrand de Menthon (Union européenne), un des quatre « témoins » de l’accord de Ouagadougou en tant que représentant de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Cette proposition avait été accueillie favorablement par les experts. Mais Bert Koenders exigera que cette présidence lui soit confiée au prétexte qu’il était sur le terrain malien en tant que représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et chef de mission de la Minusma.
Les groupes armés signataires de l’accord de Ouagadougou vont rejeter cette proposition d’une présidence de la CSE exercée par Koenders. Tiébilé Dramé, négociateur du gouvernement malien (mais qui ne sera pas le signataire de l’accord de Ouagadougou, devant céder la place au colonel Moussa Sinko Coulibaly – cf. LDD Mali 0143/Mardi 1er juillet 2014), soutiendra la présidence de Koenders contre celle de Compaoré. Pour éviter un clash et aboutir à la signature de l’accord, Bassolé va s’atteler à convaincre MNLA et HCUA d’accepter la présidence de Koenders. A Ouaga, on rappellera cependant que l’accord du 18 juin était « le fruit d’un compromis obtenu sur la base d’une confiance en l’autorité morale du Président du Faso, médiateur de la Cédéao » ; du même coup, il semblait être le plus approprié pour assurer le suivi de l’accord. Ce n’était sans doute pas faux puisque, justement, ce suivi sera le point faible, le CSE et la CTMS n’étant que rarement convoqués.
Il aura fallu « l’affaire de Kidal », des dizaines de morts et une nouvelle humiliation infligée aux dirigeants maliens pour que le dialogue soit rétabli. Au moins dans les discours. Le jeudi 29 mai 2014, Modibo Keïta, promu haut représentant du président de la République du Mali pour le dialogue inclusif inter-malien, s’est rendu à Ouaga. Pour, dira-t-il, « une prise de contact avec mes frères maliens. Je vais leur porter le message de paix du président Ibrahim Boubacar Keïta ». Ces « frères maliens » qu’évoquait alors Keïta étaient, en l’occurrence, le MNLA, le HCUA et le MAA qui ont pris leurs habitudes dans la capitale burkinabè. Selon Bassolé, présent lors des entretiens, il s’agissait de discuter « des dispositions à prendre pour promouvoir la confiance entre les parties et surtout déterminer les modalités des futures négociations de paix ». « Ce que je retiens, dira Bassolé, c’est que malgré la gravité de ces événements et les dégâts causés, les parties restent quand même engagées à rechercher une solution par la voie du dialogue. Il nous faut maintenant aller vers des choses concrètes, déterminer avec précision où, quand, comment, avec qui ces pourparlers pourront commencer. Et c’est l’objet de nos prochaines rencontres. Nous essayerons de faire en sorte que ces rencontres préliminaires de Ouagadougou servent à fixer un agenda précis qui engagera les parties ». Il ajoutera : « C’est la raison pour laquelle nous insistons pour que le gouvernement du Mali désigne la délégation gouvernementale multisectorielle qui pourra s’asseoir à la table des négociations avec les représentants des mouvements armés à un endroit et à une date qu’ils choisiront ensemble pour enclencher le débat […] L’objectif ultime est un accord global définitif de paix. Maintenant, il est clair que n’ayant pas pu commencer deux mois après la mise en place du gouvernement comme c’était prévu, il s’impose probablement de définir les modalités à travers un agenda ».
C’est un constat d’échec particulièrement brutal pour Koenders, IBK et les autres. Le mot-clé dans toute cette affaire est : « agenda ». C’est le retour au chronogramme, la lubie de Blaise, mais une lubie qui, dans toutes ses médiations, a fait ses preuves. Dans cette affaire, le Mali – et les Nations unies – ont perdu neuf mois, des hommes et leur crédibilité. Voilà Koenders, qui avait tendance à traiter les Burkinabè par le mépris tant il était ancré dans ses certitudes (il a un diplôme en études africaines de la School of Advanced International Studies de John Hopkins University, à Washington, et a été représentant du secrétaire général des Nations unies auprès de l’Onuci le… 24 octobre 2011), contraint de se rendre à Kosyam pour déclarer que Blaise Compaoré est « vraiment » important dans son rôle de médiateur de la Cédéao pour le Mali. C’était le 5 juin 2014 ; ne s’en était-il pas rendu compte le 18 juin 2013 quand il arpentait la salle de conférences de Kosyam, à Ouaga 2000, dans l’espoir d’intéresser un journaliste ?
Ban Ki-moon, le patron de Koenders, quant à lui, a été reçu par Compaoré lors du dernier sommet de l’Union africaine à Malabo. D’emblée, le président du Faso annoncera la couleur : « J’aimerais pouvoir rencontrer le président Boubacar Keïta et, avec aussi les forces vives, la classe politique malienne, pour voir comment nous pouvons une fois encore nous créer les conditions d’un dialogue fécond ». A peine de retour à Ouaga, Blaise Compaoré va donc s’embarquer pour Bamako et Ségou. Coup double. Médiation + campagne présidentielle. C’était même plus que cela : une leçon de relations internationales mais aussi d’histoire africaine.
Source : Faso.net
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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