Blaise Compaoré, médiateur de la Cédéao dans « la crise malienne », était le lundi 30 juin 2014 à Bamako. Dans la foulée de la tenue, à Malabo, de la conférence de l’Union africaine et alors que son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Y. Bassolé, venait de participer, à Djeddah, au sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).
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Deux des institutions internationales parties prenantes de l’accord de Ouagadougou (avec les Nations unies et l’Union européenne). Pas question de laisser penser que la souveraineté malienne n’était pas pleinement respectée (cf. LDD Mali 0145/Jeudi 3 juillet 2014). Ibrahim Boubacar Keïta, qui n’avait cessé jusqu’à présent d’affirmer cette souveraineté retrouvée (mais grâce à la Cédéao, à la France, au Tchad…), fixera un cadre particulièrement soft à cette visite « singulière » : il s’agit, selon lui, « d’avancer plus profondément dans l’échange de vues sur le processus qui va ramener le Mali à une paix non conjoncturelle, mais cette fois-ci définitive pour que tous les fils et filles du Mali se donnent la main pour construire ce pays ». Rien d’autre, donc, qu’un « échange de vues » sans oublier au passage de laisser entendre que l’accord de Ouagadougou n’avait institué qu’une « paix conjoncturelle ».
Voilà Compaoré de retour dans le dossier malien alors qu’IBK pensait s’en être débarrassé définitivement en faisant l’impasse sur un accord de Ouagadougou dont il n’y avait plus aucun signataire aux affaires à Bamako et en allant chercher, hors de la Cédéao, et notamment à Rabat et Alger, des médiateurs qui ne mettent pas les mains dans le cambouis malien. Raté. « Il faut croire que Blaise Compaoré est insubmersible dans les sables mouvants du Mali » écrivait Adama Ouédraogo Damiss dans L’Observateur Paalga (mardi 1er juillet 2014).
S’en étonnant tout en soulignant : « A moins que cela ne procède d’un quelconque pragmatisme de la part des autorités maliennes : puisque Blaise Compaoré serait le parrain des séparatistes du MNLA, autant le remettre sur selle avec le secret espoir qu’il parviendra à faire entendre raison à ses filleuls. Comme l’a fait Laurent Gbagbo dans la crise qui l’a opposé aux rebelles ivoiriens ». La veille (lundi 30 juin 2014), Le Pays, autre quotidien national privé burkinabè, écrivait dans son édito : « En tout cas, le mandat de la Cédéao mérite d’être honoré. Il était temps de reprendre la main. Ne serait-ce que pour lever toute équivoque. Il y a trop de zones d’ombre dans le développement de cette crise du Nord-Mali. Dans la perspective du futur sommet d’Alger, la visite du président Compaoré à Bamako aidera probablement à enrayer les suspicions. Mais elle devra aussi contribuer à responsabiliser tout un chacun. Car, contrairement à d’autres, le président du Faso va agir en tant que mandataire de plusieurs pays ».
Ces deux papiers sont significatifs. Parce qu’ils sont écrits par des journalistes de la presse privée, que l’un laisse penser que Ouaga tire les ficelles à Kidal avec le MNLA tandis que l’autre souligne, à l’inverse, que dans cette affaire Ouaga ne joue pas solo mais, au contraire, dans le cadre d’une institution régionale dont le mandat « mérite d’être honoré ». C’est reconnaître que ce que vit le Mali depuis près de trente mois (c’est une crise qui traîne en longueur) n’est pas un épiphénomène, une crise conjoncturelle, mais une crise structurelle qui menace l’ensemble du continent africain et pourrait le submerger à l’instar de ce qui se passe au Moyen-Orient.
On notera aussi ce rappel à Gbagbo. C’est nouveau. Jusqu’à la fin de l’année 2013, IBK était l’homme qui avait brillamment gagné la présidentielle de l’été 2013 et qui était en charge de régler définitivement « la crise malienne ». On lui faisait confiance. Aujourd’hui, le voilà « déclassé » ; il se retrouve dans le camp des perdants : ceux qui sont soumis aux diktats de la « communauté internationale » comme l’avait été Gbagbo au lendemain des accords de Marcoussis puis, après l’échec de ceux-ci, de l’accord de Ouagadougou. C’est dire que l’image du président malien a du plomb dans l’aile ; et que nous sommes aujourd’hui bien loin du discours de rigueur tenu par IBK lors de son investiture quand il avait appelé les cadres du pays « à s’acquitter consciencieusement, très consciencieusement, de leur mission ».
Il n’en reste pas moins, cependant, qu’IBK est le président élu (et même très bien élu) du Mali. Et qu’il n’est pas question de le dégager en touche. Comme l’écrivait Le Pays (cf. supra), il s’agit, d’abord, de « responsabiliser » les… responsables politiques. Et dans cette tâche, Blaise Compaoré reçoit le soutien de… son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Y. Bassolé. C’est que son ministre est aussi le représentant de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) dans ce dossier du Mali et du Sahel et, à ce titre, signataire de l’accord de Ouagadougou comme « témoin ».
Bassolé était à Djeddah, où se trouve le siège de l’OCI, du 16 au 19 juin 2014. De retour à Ouaga, il a rendu compte, le mardi 24 juin 2014, aux ambassadeurs des pays membres de l’OCI accrédités dans la capitale burkinabè, de ce qui s’était passé dans celle de l’Arabie saoudite. Il s’agissait, effectivement, de présenter son « Plan d’action pour une sortie de crise au Mali, et l’instauration d’un climat de paix, de sécurité et de stabilité, facteur de développement durable au Sahel ». Un plan concocté sous les auspices du secrétaire général de l’OCI, Iyad Bin Amin Madani (le premier Saoudien nommé à ce poste) et du groupe de contact pour le Mali.
Bassolé a d’abord raconté qu’à Djeddah, une question avait été posée : « Pourquoi, dans cette région, nous en sommes à une situation d’instabilité et d’insécurité ? ». Les réponses n’ont pas manqué : « Les questions de pauvreté, de précarité et de faiblesse de la présence de l’administration et des services sociaux de base justifient la vulnérabilité de cette région […] Nous nous sommes intéressés ensuite au cas spécifique du Mali et nous avons fait le point de l’ensemble des efforts déployés d’une part par l’OCI en tant qu’organisation, et d’autre part par les pays membres de l’OCI pour aider à renouer le fil du dialogue, aider les frères du Mali à reprendre le processus de recherche d’une solution durable ». Il a rappelé que les pays sahéliens sont tous membres de l’OCI. « C’est la première raison qui milite pour l’adoption de cette stratégie ».
Ensuite, la préoccupation, déjà affirmée par le prédécesseur d’Iyad Bin Amin Madani (le Turc Ekmeleddin Ihsanoglu – cf. LDD Mali 053/Jeudi 1er novembre 2012 et OCI 001/Mercredi 30 janvier 2013), « c’est que l’islam, d’une manière directe ou indirecte, se trouve être invoqué dans un certain nombre de crises que nous connaissons au Sahel notamment avec les djihadistes, au Nigeria avec Boko Haram, etc. L’invocation de l’islam interpelle l’OCI et il est bon qu’elle joue un rôle central dans la recherche de solution globale de paix ».
Les Burkinabè reviennent dans la médiation. En force. Un duo : Compaoré/Bassolé. L’un pour la Cédéao, l’autre pour l’OCI. Pas sûr qu’IBK apprécie cette prise en tenaille ; mais plutôt que de « shoppinger » à la recherche de la montre qui correspond à son rang, il aurait dû relire l’accord de Ouagadougou, en particulier l’article 21 relatif au « dialogue inclusif » et l’article 23 qui évoque le « défaut d’un accord par la concertation ».
On notera que lors de la rencontre du mardi 24 juin 2014 entre Bassolé et les ambassadeurs des pays membres de l’OCI accrédités à Ouagadougou, c’est le directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Adama Compaoré, précédemment consul général à Djeddah, qui a annoncé que « Bassolé travaillera à la promotion d’un dialogue inclusif entre toutes les parties, l’appropriation par tous du processus de paix en vue de la restauration de la paix et de la sécurité, l’émergence d’un développement économique et social qui verra le retour des personnes déplacées et des réfugiés » (Bachirou Nana – Sidwaya du mercredi 25 juin 2014).
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Voilà Compaoré de retour dans le dossier malien alors qu’IBK pensait s’en être débarrassé définitivement en faisant l’impasse sur un accord de Ouagadougou dont il n’y avait plus aucun signataire aux affaires à Bamako et en allant chercher, hors de la Cédéao, et notamment à Rabat et Alger, des médiateurs qui ne mettent pas les mains dans le cambouis malien. Raté. « Il faut croire que Blaise Compaoré est insubmersible dans les sables mouvants du Mali » écrivait Adama Ouédraogo Damiss dans L’Observateur Paalga (mardi 1er juillet 2014).
S’en étonnant tout en soulignant : « A moins que cela ne procède d’un quelconque pragmatisme de la part des autorités maliennes : puisque Blaise Compaoré serait le parrain des séparatistes du MNLA, autant le remettre sur selle avec le secret espoir qu’il parviendra à faire entendre raison à ses filleuls. Comme l’a fait Laurent Gbagbo dans la crise qui l’a opposé aux rebelles ivoiriens ». La veille (lundi 30 juin 2014), Le Pays, autre quotidien national privé burkinabè, écrivait dans son édito : « En tout cas, le mandat de la Cédéao mérite d’être honoré. Il était temps de reprendre la main. Ne serait-ce que pour lever toute équivoque. Il y a trop de zones d’ombre dans le développement de cette crise du Nord-Mali. Dans la perspective du futur sommet d’Alger, la visite du président Compaoré à Bamako aidera probablement à enrayer les suspicions. Mais elle devra aussi contribuer à responsabiliser tout un chacun. Car, contrairement à d’autres, le président du Faso va agir en tant que mandataire de plusieurs pays ».
Ces deux papiers sont significatifs. Parce qu’ils sont écrits par des journalistes de la presse privée, que l’un laisse penser que Ouaga tire les ficelles à Kidal avec le MNLA tandis que l’autre souligne, à l’inverse, que dans cette affaire Ouaga ne joue pas solo mais, au contraire, dans le cadre d’une institution régionale dont le mandat « mérite d’être honoré ». C’est reconnaître que ce que vit le Mali depuis près de trente mois (c’est une crise qui traîne en longueur) n’est pas un épiphénomène, une crise conjoncturelle, mais une crise structurelle qui menace l’ensemble du continent africain et pourrait le submerger à l’instar de ce qui se passe au Moyen-Orient.
On notera aussi ce rappel à Gbagbo. C’est nouveau. Jusqu’à la fin de l’année 2013, IBK était l’homme qui avait brillamment gagné la présidentielle de l’été 2013 et qui était en charge de régler définitivement « la crise malienne ». On lui faisait confiance. Aujourd’hui, le voilà « déclassé » ; il se retrouve dans le camp des perdants : ceux qui sont soumis aux diktats de la « communauté internationale » comme l’avait été Gbagbo au lendemain des accords de Marcoussis puis, après l’échec de ceux-ci, de l’accord de Ouagadougou. C’est dire que l’image du président malien a du plomb dans l’aile ; et que nous sommes aujourd’hui bien loin du discours de rigueur tenu par IBK lors de son investiture quand il avait appelé les cadres du pays « à s’acquitter consciencieusement, très consciencieusement, de leur mission ».
Il n’en reste pas moins, cependant, qu’IBK est le président élu (et même très bien élu) du Mali. Et qu’il n’est pas question de le dégager en touche. Comme l’écrivait Le Pays (cf. supra), il s’agit, d’abord, de « responsabiliser » les… responsables politiques. Et dans cette tâche, Blaise Compaoré reçoit le soutien de… son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Y. Bassolé. C’est que son ministre est aussi le représentant de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) dans ce dossier du Mali et du Sahel et, à ce titre, signataire de l’accord de Ouagadougou comme « témoin ».
Bassolé était à Djeddah, où se trouve le siège de l’OCI, du 16 au 19 juin 2014. De retour à Ouaga, il a rendu compte, le mardi 24 juin 2014, aux ambassadeurs des pays membres de l’OCI accrédités dans la capitale burkinabè, de ce qui s’était passé dans celle de l’Arabie saoudite. Il s’agissait, effectivement, de présenter son « Plan d’action pour une sortie de crise au Mali, et l’instauration d’un climat de paix, de sécurité et de stabilité, facteur de développement durable au Sahel ». Un plan concocté sous les auspices du secrétaire général de l’OCI, Iyad Bin Amin Madani (le premier Saoudien nommé à ce poste) et du groupe de contact pour le Mali.
Bassolé a d’abord raconté qu’à Djeddah, une question avait été posée : « Pourquoi, dans cette région, nous en sommes à une situation d’instabilité et d’insécurité ? ». Les réponses n’ont pas manqué : « Les questions de pauvreté, de précarité et de faiblesse de la présence de l’administration et des services sociaux de base justifient la vulnérabilité de cette région […] Nous nous sommes intéressés ensuite au cas spécifique du Mali et nous avons fait le point de l’ensemble des efforts déployés d’une part par l’OCI en tant qu’organisation, et d’autre part par les pays membres de l’OCI pour aider à renouer le fil du dialogue, aider les frères du Mali à reprendre le processus de recherche d’une solution durable ». Il a rappelé que les pays sahéliens sont tous membres de l’OCI. « C’est la première raison qui milite pour l’adoption de cette stratégie ».
Ensuite, la préoccupation, déjà affirmée par le prédécesseur d’Iyad Bin Amin Madani (le Turc Ekmeleddin Ihsanoglu – cf. LDD Mali 053/Jeudi 1er novembre 2012 et OCI 001/Mercredi 30 janvier 2013), « c’est que l’islam, d’une manière directe ou indirecte, se trouve être invoqué dans un certain nombre de crises que nous connaissons au Sahel notamment avec les djihadistes, au Nigeria avec Boko Haram, etc. L’invocation de l’islam interpelle l’OCI et il est bon qu’elle joue un rôle central dans la recherche de solution globale de paix ».
Les Burkinabè reviennent dans la médiation. En force. Un duo : Compaoré/Bassolé. L’un pour la Cédéao, l’autre pour l’OCI. Pas sûr qu’IBK apprécie cette prise en tenaille ; mais plutôt que de « shoppinger » à la recherche de la montre qui correspond à son rang, il aurait dû relire l’accord de Ouagadougou, en particulier l’article 21 relatif au « dialogue inclusif » et l’article 23 qui évoque le « défaut d’un accord par la concertation ».
On notera que lors de la rencontre du mardi 24 juin 2014 entre Bassolé et les ambassadeurs des pays membres de l’OCI accrédités à Ouagadougou, c’est le directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Adama Compaoré, précédemment consul général à Djeddah, qui a annoncé que « Bassolé travaillera à la promotion d’un dialogue inclusif entre toutes les parties, l’appropriation par tous du processus de paix en vue de la restauration de la paix et de la sécurité, l’émergence d’un développement économique et social qui verra le retour des personnes déplacées et des réfugiés » (Bachirou Nana – Sidwaya du mercredi 25 juin 2014).
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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